Guerre du Sahara : L’attaque du train /par Mohamed Lemine Taleb Jeddou

2 July, 2020 - 00:07

Samedi, le 17 Décembre 1976. Il est 05h00 du matin, le premier train minéralier (M3) de la SNIM en direction de Nouadhibou entre dans le chantier de Dhi Bilal. Un homme, emmitouflé dans son chèche et bien agrippé dans la place spécialement aménagée pour lui permettre de se maintenir en équilibre, tente de percer du regard les ténèbres qui l’entourent malgré la poussière minérale compacte soulevée par le train. Pendant tout le trajet, il était bercé par les claquements et les crissements cadencés des essieux des wagons. C’est le guetteur du wagon d’escorte du train. Tout semble normal. De temps à autre, une voix vient de l’intérieur du wagon blindé demandant s’il n’y a pas du nouveau et la réponse du guetteur reste invariable: RAS (Rien à signaler). Lorsque les locomotives arrivent au niveau de la baraque du gardien du chantier, une formidable explosion se fait entendre et le train commence à perdre de la vitesse avant de s’immobliser. Instinctivement, le soldat se plaque derrière le paravent d’acier conçu, spécialement, pour le protéger contre les balles d’éventuels attaquants. Les occupants du wagon réagissent instantanément au bruit de l’explosion alors que le guetteur hurle: “nous sommes attaqués”. Puis brusquement le train devient la cible de toutes les armes individuelles et collectives des attaquants. Une pluie diluvienne de projectiles s’abat sur le train. C’était la classique “boule de feu” destinée à prendre de court l’adversaire, créant un effet de surprise  donnant momentanément un ascendant moral à l’attaquant et créant une confusion initiale parmi les forces attaquées. Les soldats prennent position et commencent à riposter à travers les meurtriéres aménagées dans les wagons. Le chef de groupe s’élance rapidement vers le haut du wagon pour se rendre compte de la situation. Il essaie le contact avec l’équipe en queue du train, mais aucune réponse, seul un faible grésillement lui parvient du poste. La liaison radio est assurée par de vieux TRPP8 qui ne fonctionnent qu’à moins d’un kilomètre. Toutefois, les consignes ont été données dès le départ. L’escorte est composée de onze hommes répartis sur deux wagons aménagés pour le combat, l’un à l’avant du train à proximité des locomotives avec six hommes à bord et l’autre à l’arrière du train au même intervalle du fourgon des convoyeurs en queue avec 5 hommes à bord. Chaque équipe sait ce qu’elle a à faire en cas d’attaque. Pendant une heure et trente minutes l’escorte oppose une résistance farouche aux attaquants, les tenant au plus loin possible du train. Les hommes d’escorte disposent d’une flexibilité d’action grâce à l’aménagement des meurtrières dans toutes les directions des deux côtés des wagons. Le renforcement latéral des wagons par des plaques d’acier assure une protection efficace aux occupants. C’est la troisième fois que le train est attaqué depuis le début des hostilités. Les hommes sont aguerris. Ils savent parfaitement que leur survie est liée à leur solidarité, à leur discipline de feu et à la conservation de leur sang-froid. Ils savent aussi que le premier renfort n’arrivera pas avant la fin de l’accrochage. A mesure que l’accrochage se prolonge, les hommes de l’escorte du train s’adaptent à la forte pression du combat. Les yeux rougis par les gaz, le tireur de l’arme collective tient à deux mains la poignée du monstre d’acier qu’il utilise, une mitrailleuse HB 50 qui tressaute entre ses mains. A cause de l’énorme consommation en munitions, un monticule d’étuis et de maillons s’est formé à ses pieds.

 

Résistance farouche

Trahi par les jets de flammes qui s’échappent de son arme, l’homme posté sur le wagon est devenu la cible prioritaire des assaillants. Sentant sa situation intenable, il saute à terre et cherche une protection derrière le wagon. En position au jeter debout, il commence méthodiquement à tirer sur les cibles mobiles devant lui. Soudain, il sentit une douleur fulgurante sous son sein gauche et simultanément sous l’effet de l’impact de la balle, il se sentit soulevé dans les airs avant d’atterrir sur le dos. Rassemblant toutes ses forces, il tente de se relever et arrive à se retrouver sur ses genoux. Plantant la crosse du Mauser dans le sable mou et maintenant fermement le garde-main de l’arme par sa main gauche, il essaya de se hisser sur ses pieds. Son regard incrédule se posa sur le sang chaud giclant à grands jets du trou béant laissé par la balle. Il titube et prend appui sur sa main droite pour se maintenir en équilibre. Dans un effort surhumain, il s’arc-boute toujours prenant appui sur son arme et ramena sa main droite pleine de sable. Il contempla d’un air subitement nostalgique la poignée de sable qu’il serrait énergiquement dans sa main. Il releva légèrement la tête pour voir les prémisses du futur lever du soleil. Pendant une fraction de seconde, il eut l’impression d’avoir flotté pendant des siècles sur des coussins ouateux. Son regard devient vitreux. Il psalmodia quelque chose, puis soudain son corps devient mou et il bascule lourdement sur le côté droit. L’arme, toujours tenue par sa main gauche, tombe sur sa poitrine. Les cristaux de sable glissèrent entre les doigts de sa main inerte.

Au fur et à mesure que les ténèbres se dissipaient, les hommes arrivaient à mieux appréhender la nature des assaillants. Les hommes de l’escorte faisaient face à plus d’une vingtaine de véhicules extrêmement mobiles dotés de mitrailleuses lourdes et d’armes antichars, les redoutables B 10. 

Les assaillants étaient visiblement acculés par le temps. Bientôt il fera plein jour et les avions seront sur place. Ils ne s’attendaient pas à cette forte résistance. Certains véhicules s’enhardissent pour venir au plus près de la voie ferrée, roulant le long du train en rafalant. Finalement, les assaillants s’éloignent du lieu de l’accrochage puis se regroupent. Quelques minutes plus tard cinq véhicules légers reviennent et tentent de lancer un assaut.  L’escorte du train, habituée à ce genre de simulacre, est restée vigilante et réagit à l’attaque. Un avion, un piper de la Snim, survole le lieu de l’attaque à haute altitude. Les cinq véhicules rejoignent le gros des troupes ennemies qui s’élance en direction du nord. Quinze minutes de calme absolu puis vingt suivent le vacarme du combat, interrompu de temps à autre par le gémissement d’un blessé. Visiblement l’ennemi s’était définitivement esquivé. Des têtes émergent timidement des wagons à différents endroits du train. Les hommes de l’escorte sortent des wagons. Un guetteur est mis en place et, après la jonction entre les deux équipes, on fait le bilan de l’attaque.

Deux hommes sont tombés sur le champd’honneur: Adjudant Ahmed ouldEthmanemle 1236 et le garde Sy Amadou Malalmle 3881.

 

 

Extrait de “la Guerre sans Histoire”