L’école mauritanienne: Un diagnostic consensuel et apaisé s’impose

25 November, 2020 - 23:55

L’éducation : « C’est le moyen le plus efficace dont dispose une société pour former ses membres sur son image. »(1)

Après avoir figuré en tant que priorité dans les programmes des candidats à la dernière élection présidentielle, l’avenir et les enjeux de l’école mauritanienne sont, de nouveau, remis sur le tapis. En Mauritanie, depuis l’indépendance du pays en 1960, la problématique de l’école a fait couler beaucoup d’encre. Il en est de même des réformes scolaires que le système éducatif national continue à subir. Celles-ci, souvent décidées à l’improviste, n’ont que très rarement fait l’unanimité. Certaines d’entre elles ont même failli, par le passé, conduire le pays à l’implosion. C’est le cas en particulier des réformes de 1968 et de 1979 qui furent très mal accueillies par l’élite négro-africaine de Mauritanie et provoquèrent, à Nouakchott et dans les grandes villes riveraines du sud, de sanglantes rixes entre élèves arabo-berbères et négro-mauritaniens. En matière de réformes éducatives, comparativement aux pays francophones de la sous-région, la Mauritanie détient la palme d’or. Car elle a procédé, en moins d’un quart de siècle, à plus de cinq réformes scolaires et autant d’ajustements et réajustements linguistiques.

 Aujourd’hui le pays est au seuil d’une nouvelle réforme éducative dont l’objectif principal est d’adapter notre système éducatif aux exigences de l’évolution scientifique et technologique caractérisant le monde. Celui-ci étant devenu un village planétaire, aucun pays ne peut naturellement vivre en vase clos. Pays à la croisée de nombreuses civilisations, la Mauritanie ne peut qu’être imperméable aux influences des deux ensembles régionaux auxquels elle est organiquement liée, à savoir le monde arabe et l’Afrique noire. Son ouverture au monde extérieur, par le biais de l’école moderne, a boule vers étant d’habitudes et ébranlé autant de certitudes. Avec la massification des effectifs scolaires des années 60, l’école, en tant qu’institution majeure d’instruction et moyen de promotion sociale, est devenue l’arène privilégiée où politiciens de tout bord croisent le fer. La transposition des querelles politiciennes dans le champ scolaire fut, sans nul doute, la goutte qui a fait déborder le vase, en ce sens qu’elle fut à l’origine de l’effritement des valeurs véhiculées par l’école mauritanienne d’antan.

Contribution au débat

Pour asseoir une école républicaine qui se respecte, les contenus des programmes réécrits dans le cadre de la nouvelle réforme doivent pouvoir prédisposer l’élève mauritanien à s’insérer dans la vie active et poursuivre des études supérieures. Ce qui ne peut se faire que par un enseignement de qualité qui garantira à la société l’équilibre nécessaire, sa pérennité et lui permettra de relever les défis de la mondialisation en particulier celui de l’économie numérique. Car l’avènement de la digitalisation est aujourd’hui une réalité qui s’impose et que de nombreux pays africains ont intégrée dans leurs curricula(le Ruanda, le Kenya,  l’Ethiopie,…).

Le présent article se veut une contribution au débat soulevé, dans le pays, par l’avenir et les enjeux de l’école. Il fait un éclairage succinctement sur les réformes éducatives les plus marquantes de l’histoire de la Mauritanie indépendante et sur les choix linguistiques prônés par les différents gouvernements Pour commencer, je signale que la première réforme scolaire qu’a connue le pays fut décidée en 1959 et avait, pour objectif, « de renverser le rapport de force français-arabe une fois l’indépendance acquise, en vue de conférer à la langue arabe le rôle qui devait être le sien dans la Nation aux côtés du français »(2) et d’instaurer un « bilinguisme, plaçant peu à peu sur un pied d’égalité, l’arabe et le français »(3). Les troubles qui ont émaillé l’année scolaire 1966-1967 vont par ailleurs alerter les pouvoirs publics sur la nécessité d’une réflexion sur le système éducatif dans le but d’entreprendre d’éventuelles mesures de son adaptation, en ménageant les susceptibilités, pour l’avènement d’une plus grande paix sociale. Ce qui conduira les autorités politiques du pays à réformer de nouveau l’école. Ainsi vit le jour la réforme de 1967. Elle « était chargée de transférer le monopole du français à l’arabe »(4) et ambitionnait de faire des écoliers mauritaniens des bilingues franco-arabes. Mais après évaluation, il s’était avéré qu’elle fut un fiasco. D’où le vote, en 1973, d’une troisième réforme qui, cette fois-ci, instaura le système des deux filières (bilingue et arabe) dont notre système éducatif a gravement souffert. Les élèves inscrits en filière arabe vont désormais suivre toutes les disciplines dans un enseignement carrément arabisé tandis que ceux de la filière bilingue recevront un enseignement où « le français est objet d’étude et véhicule des matières scientifiques ainsi que d’autres matières telles que l’histoire, la géographie ou la philosophie ».(5)

En 1979, le pays est au rendez-vous avec une autre réforme qui crée un schisme au niveau de l’enseignement en mettant en place deux écoles nettement distinctes, l’une pour les Arabo-berbères, l’autre pour les Négro-africains. Dans la filière à option arabe, l’enseignement est totalement dispensé en arabe. Le français y sera enseigné comme langue seconde. Alors que dans la filière à option française, l’enseignement est entièrement donné en français. L’arabe y sera enseigné comme langue seconde. Commentant le système éducatif mauritanien de l’époque, Hindou Mint Ainina s’est exprimée en ces termes :« Aujourd’hui, à la suite de toutes ces réformes et de tous ces changements aux finalités controversées, on se trouve avec une école  divisée en deux moitiés bien distinctes, et entre lesquelles aucune communication n’est possible : l’école arabisée entièrement et dont la plupart des élèves sont quasi-analphabètes en français ; l’école francophone, dite bilingue, dont les ressortissants ne sont pas plus forts que les premiers et quasi-analphabètes en arabe ».(6)

 

Ultime réforme

Vingt ans après l’instauration de ce système éducatif qui privilégie la quantité au détriment de la qualité, les pouvoirs publics décidèrent, en 1999, la mise en chantier d’une nouvelle réforme du système éducatif, avec comme orientation principale, l’ouverture sur le monde extérieur à travers l’introduction de l’informatique et le renforcement de l’enseignement des langues étrangères. Cette ultime réforme s’est accompagnée de la réécriture des programmes et des curricula d’enseignement selon l’«Approche par les Compétences ». Contrairement aux précédentes, elle ne s’est pas réalisée dans l’improvisation et a eu le mérite de mettre fin au système de deux filières. Mais elle ne s’est pas faite accompagner par les mesures qui lui sont subséquentes, bien que sa mise en application ait perduré tout le long de deux décennies. Néanmoins elle n’a pas manqué de soulever un certain nombre de problèmes dont les plus récurrents sont « les résistances traditionnelles aux changements, les suspicions autour des choix linguistiques qu’elle prône, le manque d’adhésion des acteurs surtout les enseignants des disciplines scientifiques, l’absence de compétences linguistiques pour enseigner en français et l’absence de mesures d’accompagnement nécessaires à sa mise en œuvre (à titre d’exemple l’enseignement de l’informatique n’a pas pu avoir lieu faute d’équipements et de manque de professeurs qualifiés pour le faire).(7)

Au terme des différentes réformes qu’a connues le système éducatif mauritanien, le bilan de l’école reste globalement négatif, et de graves carences au niveau des méthodes et des contenus l’empêchent encore de tourner à plein régime. La baisse vertigineuse des taux de réussite aux examens nationaux corrobore ce constant alarmant. Ces réformes ont par ailleurs montré une nette dépréciation du niveau d’instruction scolaire à la fin de chaque réforme en comparaison avec celles qui la précédent. Ce phénomène peut s’expliquer, entre autres, par le fait que ces réformes ont toujours pris en compte la langue de l’enseignement et non son contenu, l’élève et non l’enseignant (8).Gouverner étant prévoir, nous avions tous, involontairement, manqué à notre devoir compte tenu de la politisation et du caractère passionnel du problème des langues. Un diagnostic sérieux, consensuel et apaisé est aujourd’hui la voie royale pour la délivrance de notre système éducatif. Si les différents projets de rénovation appelés à son chevet (ARSEM,PARSEM,BIEF et AFRAM) n’ont pu redresser la barre, c’est que l’échafaudage sur lequel s’est érigée l’école mauritanienne renfermait déjà, en son sein, les causes de son affaissement. En effet, la collusion du politique et du social a sonné le glas de la réputation de notre école et contribué significativement à la dépréciation de son enseignement.

 

L’empreinte de Noubgouha

Les Mauritaniens ont aujourd’hui le regard rivé sur le projet de réforme de leur système éducatif. L’école républicaine qu’on cherche à faire advenir aura comme objectif principal de promouvoir un enseignement qualitatif et égalitaire pour tous en cultivant chez nos enfants les valeurs citoyennes du civisme, de la tolérance et du respect de la différence. Ces valeurs constituent de nos jours des gages sécuritaires face à un monde marqué par la prolifération de foyers de tensions potentiellement exportables. Comme ses précédentes, la présente réforme doit pouvoir créer un citoyen mauritanien ancré dans ses valeurs traditionnelles, ouvert au monde extérieur. Cette ouverture sur l’autre ne doit nullement se faire au détriment de nos valeurs culturelles car le passé est la lumière qui permet de maîtriser le présent et de tracer l’avenir. Les pays qui ont réussi à accomplir quelque chose d’extraordinaire l’ont toujours fait grâce à la fidélité qui les liait à leur passé. Donc, quel que soit le régime qui dirige la Mauritanie, il devra impérativement concilier et l’indispensable enracinement à l’intérieur et la nécessaire ouverture sur le monde extérieur avec lequel elle doit obligatoirement coopérer. Nous devons se placer dans une perspective actionnelle et rester cohérents avec nous-mêmes. Il est vrai que cela exige fermeté et abnégation. Il n’en demeure pas que cela est à notre portée, si nous nous en donnons les moyens. Les mesures drastiques prises, en 2006 et 2007, par l’ex-Ministre de l’Education Nationale, Madame Noubghouha Mint Mohamed Vall, restent une leçon à méditer. Car elles ont permis de dresser un diagnostic sincère et objectif du système éducatif national et d’entrevoir des solutions définitives aux dysfonctionnements constatés. Il est vrai que nul n’est prophète dans son pays. Néanmoins, Mint Mohamed Vall a posé à jamais son empreinte sur le système éducatif mauritanien en déliquescence. Les fonds qu’elle débloqua et la logistique qu’elle déploya ont eu un impact positif sur le rendement de l’école d’alors. Ils ont mis à l’évidence qu’en assainissant le secteur, on peut arriver à de bons résultats. Le MEN absorbe une part non négligeable du budget général de l’Etat et bénéficie en plus de l’appui financier des institutions onusiennes telles que la Banque mondiale, l’UNICEF, l’UNESCO et le FNUAP. Mais cette manne financière n’a eu qu’un impact infime sur les performances de ce secteur. Ainsi la qualité de l’offre scolaire n’a cessé de se détériorer, les conditions de vie des enseignants se détériorent de jour en jour nonobstant le fait qu’au MEN tout manque sauf le nerf de la guerre. Mais encore faut-il trouver des hommes prêts à mettre à profit les ressources mises à leur disposition, intègres, patriotes et déterminés à sortir notre système éducatif de son agonie. Les responsables éducatifs du pays seront jugés à l’aune de l’efficacité de l’accompagnement permanent et qualitatif de cette réforme sur laquelle la collectivité nationale fonde de grands espoirs. Sa conduite consensuelle et apaisée est la condition sine qua non de la réussite des méthodes et stratégies qui la sous-tendent. Au préalable, une synergie sans faille doit s’établir entre les différentes directions du MEN pour que le dispositif mis en place, dans la perspective de cette réforme, soit efficace.

Quoiqu’il en soit, la pérennité des actes qui seront posés dans le cadre de cette ultime réforme dépendra de la pertinence des nouveaux programmes, de la fiabilité de l’Approche utilisée (Vision Holistique), de la qualité et de la disponibilité du manuel scolaire ainsi que de l’efficience des formations qui seront organisées au profit des enseignants. Notre souhait le plus ardent est que la Mauritanie sorte, de tout cela, plus unie, solidaire et engagée.

 

Sidi Mohamed Ould Ismail

Inspecteur d’enseignement secondaire

 

(1)M. HLBWACHS, L’évolution pédagogique en France. Paris, PUF, 1969.

(2)Moktar Ould Daddah, La Mauritanie contre  vents et marées.  Paris, Editions Karthala, 2003, p.

(3)Moktar Ould Daddah,  op. cit, p.295.

(4) Med Mahmoud Ould Hadj Brahim, Politiques et stratégies  de l’éducation en Mauritanie, Mémoire de maîtrise en Sciences de  l’éducation, Université de Bordeaux II ,  soutenu en 1982.

                             

(5)Bah Ould Zein, Le Français en Mauritanie. Etude morphosyntaxique et lexicale. Thèse pour l’obtention du doctorat en lettres et en sciences humaines.  Université  de Provence Aix-Marseille I, 1995.

(6)Cité par Jacques Bariou dans Notre Librairies  n°120-121,  Janvier-Mars, 1995.

(7)O/ Hadj Brahim, op. cit.

(8)Lekbeid Ould Hemdeitt, Rapport sur le système éducatif mauritanien , Nouakchott, 1999.