M. Samory Bèye, Secrétaire général de la Confédération libre des travailleurs de Mauritanie : ‘’Le dossier de la gabegie semble moisir dans les tiroirs, en attendant de trouver la bonne formule pour l’enterrer ‘’

23 December, 2020 - 22:27

Le Calame : Alors que les syndicalistes que vous êtes attendent un dialogue social inclusif en panne depuis des années, le gouvernement a décidé de fonder un Conseil chargé du dialogue social. Qu’en pensez-vous ?

Samory Bèye : Ce Conseil National de Dialogue Social (CNDS) n’a rien à voir avec le dialogue social ou concertation tripartite prévue par la loi et les conventions internationales de l’OIT, dont l’objectif est de discuter des grandes questions du monde du travail entre les partenaires sociaux. À cet égard, nous nous réunissons justement le lundi 21 décembre 2020, afin de discuter d’aussi importantes questions que le rehaussement du taux de cotisation patronale à la CNSS, la protection sociale et les pensions. Quant au CNDS institué par arrêté du ministre du Travail et de la fonction publique, sa mission reste à définir.

 

-Comme en politique, on note une pléthore de syndicats et cela entrave évidement le travail syndical. La question de la représentativité demeure sur la table depuis quelques années. Où en est le combat pour le renouvellement des organisations syndicales ?

- La Mauritanie ne compte qu’à peine quatre millions d’habitants et une quarantaine d’organisations syndicales :c’est d’autant plus une pléthore que la plupart de ces organisations sont fictives, des organisations « jaunes » qui gênent beaucoup le travail syndical et fragilisent les organisations syndicales qui remplissent réellement leur mission et leur rôle de partenaires sociaux crédibles, disposant de l’expertise et du professionnalisme à même de défendre les intérêts matériels et moraux des travailleurs. Devant cette situation, le BIT insistait auprès du gouvernement mauritanien depuis 2008, afin qu’il engage un vrai processus d’élections sociales. Mais c’est  seulement en Septembre 2020 que le ministre du Travail et de la fonction publique a pris un arrêté à l’adresse du patronat et toutes les institutions, en leur demandant d’organiser sans tarder les élections des délégués du personnel au sein de leurs sociétés. C’est au dépouillement des résultats de ce scrutin que les organisations syndicales seront classées et celles qui ne franchiront le seuil fixé par la loi disparaîtront. Mais le gouvernement semble indécis et laconique, voire confus, nous le constatons, dans sa position et sa responsabilité d’organiser dans de bonnes conditions ces élections, en concertation avec les organisations concernées.

 

-Quel est l’impact, selon vous, du COVID19 sur les travailleurs des secteurs sociaux ? Ont-ils bénéficié du fonds spécial mis en place par le gouvernement lors de la première vague ?

-S’agissant de l’impact néfaste du COVID19, je peux dire que cette pandémie a pesé lourdement sur la population, particulièrement les groupes les plus vulnérables et démunis. Les promesses, les engagements de Taazour  et ceux du gouvernement furent au final décevants, sans effet ni impact. Seules quelques familles dont le recensement a été réalisé sur la base du clientélisme traditionnel, loin de la transparence et de l’équité, en ont bénéficié. Le programme était en lui-même partiel et limité, géré unilatéralement, sans implication de la Société civile et des acteurs non-étatiques.

 

-Quelle lecture faites-vous de l’état d’avancement du « « dossier corruption » impliquant plus de trois cents personnes dont l’ex-Président Mohamed ould Abdel Aziz ?

-Le dossier de la gabegie semble moisir dans les tiroirs, en attendant de trouver la bonne formule pour l’enterrer : tout le monde est mouillé, totalement empêtré dans ce crime odieux. Ceux censés diriger et gérer les affaires du pays se trouvent au cœur de cette opération de dilapidation des deniers publics et du potentiel de notre pays, détruisant le fondamental de la Nation, brisant dans l’esprit du citoyen la notion même de l’État et sapant les espoirs légitimes de notre peuple à vivre dans le progrès social et le développement humain durable, dans un contexte national de paix, d’harmonie et de cohésion sociales. Le pays se retrouve dans l’inertie et le chaos. C’est une situation qui nous inquiète beaucoup pour le devenir de la Mauritanie aujourd’hui au bord du gouffre, suite à une gabegie effrénée de grande échelle et d’une ampleur sans précédent dont les auteurs, rapaces, brillent sans être inquiétés et continuent à dilapider impunément  nos biens publics, sans rien épargner. Les trois cents que vous évoquez et sûrement d’autres encore sont malheureusement complices, tous ont trahi la cause nationale et tous méritent le châtiment pour leurs méfaits et manquements. Face à cette situation d’une extrême gravité, le peuple doit s’éveiller et se révolter, seule voie salutaire pour rétablir l’ordre et le respect de la chose publique et bannir les infâmes pratiques de violation des droits et principes de bonne gouvernance.

 

-Depuis l’élection du président Ghazwani, l’opposition reste amorphe. Quelles sont, selon vous, les raisons de ce silence ?

-L’opposition s’est défilée en se confondant avec la majorité. Toutes les deux sont à l’agonie, tandis que la situation du pays empire de jour en jour. Les problèmes s’accumulent à tous les niveaux, tant aux plans social, économique, humain qu’en ceux de la cohésion sociale, de l’unité nationale et du vivre ensemble. Nous souffrons d’une politique et d’un système d’une extrême ambiguïté périlleuse et morbide qui pousse à l’enlisement et l’engouffrement. Ceci pour dire que toutes les raisons  justifiant une opposition active sont là, pertinentes et motivantes. Et pourtant…

 

-Que suscite chez vous le nombre de contaminations et de morts de la 2e vague COVID19 ? La réaction du gouvernement est-elle à la hauteur des inquiétudes des Mauritaniens ? 

-Ce nombre inquiétant des contaminations et de décès atteste l’échec de notre système sanitaire qui s’est avéré précaire mais aussi de notre politique nationale en manque de vision et de cohérence. Des carences amplifiées par la mauvaise gestion et la gabegie qui gangrène notre modèle de gouvernance.

 

Propos recueillis par Dalay Lam