« Unité Nationale » : adrénaline, morphine ou dopamine à la mauritanienne

11 December, 2014 - 00:19

« Unité Nationale », voici un « mot » qui fait le buzz, au point qu’on se demande si c’est un slogan politique, tapageusement épanché, par les cellules extrémistes, sous forme d’adrénaline, pour produire un big-bang social ; ou sciemment distillé, par le pouvoir, sous forme de morphine, pour apaiser, voire neutraliser les rancœurs. Dans les deux cas, l’effet recherché est atteint : supputations et débats vifs sont engagés… dans la tranquillité.

Cette notion « d’unité nationale », fut d’abord servie, au peuple mauritanien, le 10 janvier 1966, par maître Moktar ould Daddah, suite à la publication du « Manifeste des 19 » (1) et remise au goût du jour en 2007, par Sidi ould Cheikh Abdallahi, dans le cadre du règlement du passif humanitaire (2). Aujourd’hui, après que le Président Maawiya ould Sid’Ahmed Taya l’ait complètement piétinée, défigurée, pendue et enterrée agonisante, elle refait surface, au gré des derniers évènements survenus à Rosso, lors de la caravane contre « l’esclavage foncier ».

Elle a occupé une place importante dans le discours d’investiture du Président Mohamed ould Abdel Aziz (4). À Zoueratt, il l’a abordée sous la forme d’une mise en garde contre ceux qui seraient tentés de la saper. En somme, elle ne laisse personne indifférent, aucune classe sociale, aucun groupe ethnique, aucune formation politique, la société civile, les éditoriaux de la presse écrite, même l’association des oulémas et les imams, dans leurs khotbas du vendredi, s’y sont mis. C’est la preuve que le moment est venu de débattre de cette notion, qui trouve de plus en plus de preneurs sur le marché de la vente aux enchères de slogans politiques.

Mais, si les limites de « l’unité nationale » sont facilement décelables, son contenu est difficilement cernable, au point que chaque mauritanien en a sa propre compréhension. Nombreux sont ceux qui la pensent clé de tous leurs problèmes, quand d’autres y voient la perte de leurs privilèges. Qui a raison ? Actuellement, l’irréfutable constat, à tous commun, est que la notion – qu’on le veuille ou non– est dans l’air du temps moderne, le temps post-esclavagiste, le temps post-événements 89/90 et dans l’ère démocratique du pays, avec des indicateurs économiques flambant verts. C’est justement cette ère démocratique qui plonge notre pays dans une phase propice au parler, entre Mauritaniens, de notre « unité nationale », de lever les équivoques et en profiter pour assainir la suffocante atmosphère où nous cohabitons.

Cependant, on ne peut débattre d’une notion que si l’on connaît son contenu, ou si l’on fait l’effort de s’accorder à lui en donner un. Car nos appréhensions sont disparates et varient en fonction de celui qui prononce ce « mot ». Par exemple, quand le pouvoir prononce « Unité nationale », le citoyen lambda entend « réalisation des engagements sociaux et réduction de la fracture sociale ». Inversement, quand c’est l’opposition, ses plus optimistes adeptes voient, déjà, une inversion magnétique et un chamboulement. Pour nos oulémas et nos imans, « l’unité nationale » se résume à « Tous les musulmans sont des frères » et « Dieu est avec les patients ». Cependant, même si notre sainte religion et Mohamed (PBL), le sceau des prophètes, nous enjoignent à cette fraternité, nous devons, tout de même, nous accorder sur le contenu à donner à cette notion « d’unité nationale ».

 

Une Mauritanie commune

Pour commencer, le genre Homo mauritanicus qu’il soit de l’espèce beïdanoïde, haratinoïde ou négroïde, doit virtuellement voyager dans son passé, revisiter les grands moments qui ont jalonné sa vie et qui ont, progressivement, façonné les traits fondamentaux (mythes, cultures, civilisation, traditions et modes de penser) qu’il est fier de porter. Ainsi, il s’imprégnera de la réalité que nous sommes des groupes ethniques différents, de par leurs traits fondamentaux mais que la Mauritanie nous est commune et qu’aucun ne se laissera assimiler ou phagocyter par les traits fondamentaux de l’autre. Donc, la cohabitation physique et culturelle est inéluctable. Partant de là, l’Homo mauritanicus s’auto-questionnera : « Quel contenu dois-je donner à l’unité nationale ? »

S’il est relativement aisé de trouver le sens des mots « unité »et « nationale », il est plus difficile de trouver une définition satisfaisante de leur conjonction. Le dictionnaire Larousse définit « unité nationale » comme « la cohésion des ressortissants d'un État, essentiellement invoquée lorsque l'existence de celui-ci est menacée, de l'intérieur ou de l'extérieur » (4). Cette définition nous renvoie à un sursaut des composantes de la nation, en période de trouble ou de post-trouble, mais ne fait, en aucun cas, allusion à l’égalitarisme, la justice ou la transparence. Elle est, à la limite, une arme contre l’agresseur. Dans ce cas, qui peut être l’agresseur ? L’Etat et son administration, l’extrémiste, la société civile, le génocidaire ou le propriétaire d’esclave ?

Avec cette définition, nous sommes loin de l’idée que certains avaient, en 1965, quand maître Moctar ould Daddah utilisait la notion « d’unité nationale ». À cette époque, s’engager pour celle-ci revenait à cautionner un processus d’assimilation programmé. Plus près de nous, en 2007, quand le Président Sidi ould Cheikh Abdellahil’a mise en avant dans son programme, quel opprimé n’a pas vu, dans ses propos, un processus devant aboutir à une parfaite égalité des citoyens ? Actuellement, lorsque Biram Dah ouldAbeïd surfe sur elle, quel descendant d’ancien esclave ne voit pas, là, la solution à son « complexe d’infériorité » ? En somme jusqu’ici, le contenu que nous avons mis dans notre « unité nationale » est subordonné aux péripéties du moment. Il est temps qu’on lui donne un sens fédérateur et qu’on lui ôte son impression d’arme à brandir contre les indociles.

 

Un destin commun

En relisant les discours du Président Mohamed ould Abdel Aziz, où« l’unité nationale » est abordée, on voit qu’elle y prend le sens d’une dopamine, c’est à dire « une prise de conscience ». D’accord mais de quelle conscience s’agit-il ? Celle qu’au-delà de notre hétérogénéité en termes d’origine, d’histoire, de culture, de traditions et de langue, notre destin est commun et que l’Etat s’engage à garantir, à chacun, avec équité, justice et transparence, un égal accès à tous les services publics. Voilà qui est séduisant, voire alléchant. De plus, ce sens permet, à « l’unité nationale », de passer du statut de slogan à celui d’une vision politique, concrète et réalisable par le gouvernement de Mohamed ould Abdel Aziz, qui prépare, semble-t-il, un grand forum là-dessus.

Cela dit, la prise de conscience que prône le président de la République ne sera tangible que si elle est accompagnée d’une satisfaction des légitimes doléances. Nous ne pouvons parachever notre « unité nationale » sur un fond égalitaire en droits et devoirs, en occultant la légitime doléance de la réparation des préjudices moraux et physiques subis par une frange de la population, suite aux effets de l’esclavage, du passif humanitaire et de l’enrôlement. Poser cette doléance ne doit pas être pris comme une tentative de saper « l’unité nationale ». Loin de là. Elle ne fait que la raffermir. Et l’espoir de voir ces problèmes résolus semble proche, dans la mesure où un problème évoqué ou discuté est un problème à moitié résolu et le président de la République les évoque tous, sans tabous.

Cependant, le facteur limitant notre « unité nationale » gît dans notre éducation civique et morale. Jadis exemplaire et enviable, aujourd’hui le constat est acerbe. L’Homo mauritanicus tend à devenir un arriviste, doublé d’un intolérant, d’où notre incapacité à nous mettre d’accord sur l’essentiel. Il oublie que, si l’ambition est un trait de noblesse, il n’en est pas de même pour l’arrivisme. Ces parasites nécrophages néfastes à notre « union nationale » polluent notre atmosphère, ils sont partout. Les plus funestes sont ceux qui distillent, en sourdine, des discours xénophobes, pensant pouvoir s’attirer la sympathie du pouvoir, comme au temps de Maawiya ould Sid’Ahmed Taya. Alors qu’ils ne font que retarder notre « unité nationale » et, par ricochet, la tâche du Président Mohamed Ould Abdel Aziz, l’homme des incontestables grandes réalisations.

Quant à l’intolérance, elle va à l’encontre de l’enseignement de notre sainte religion, l’islam. La Sunna du prophète Mohamed (PBL) ne nous dicte-t-elle pas d’adopter la posture de l’homme tolérant ? A l’opposé même de cette intolérance qui  rend notre « unité nationale » difficilement réalisable et notre cohabitation morose. Pour exorciser notre pays de tous ces maux, chaque formation politique et groupuscule activiste devra se débarrasser de ses xénophobes.  Nous devons nous parler, à cœur ouvert, autour d’un forum axé sur la vérité et la réconciliation. L’Etat doit mener le jeu, en s’engageant le premier, dans ce combat qui a une allure de prérogative régalienne.

 

Dr. Hampâté Bâ

Directeur-adjoint de l’INRSP

Président de la Commission Suivie et Evaluation CNJ/UPR

Moughaata de Mbagne

 

 

NOTES

(1) : Réaction du Président Moktar ould Daddah à la publication du « Manifeste des 19 », le 10 Janvier 1966. http://www.cridem.org/C_Info.php?article=646183

(2) : Discours du président de la République Sidi ould Cheikh Abdellahi, le 29 Juin 2007

http://fr.ufpweb.org/spip.php?article1092

(3) : Discours d’investiture du Président Mohamed ould Abdel Aziz, Le 2 Août 2014

http://www.ami.mr/fr/index.php?page=Depeche&id_depeche=27892

(4) : http://www.larousse.fr/dictionnaires/