Maroc-Mauritanie : Pour une coopération décomplexée/Par Moussa Hormat-Allah, Professeur d’université, Lauréat du Prix Chinguitt

17 June, 2021 - 01:47

Les Mauritaniens, en général, ont toujours eu une sympathie naturelle pour le Maroc et la famille royale. Ce sentiment, avéré ou diffus, est ressenti par une large frange de la population. Il n’a jamais été altéré même dans les moments de tension entre les deux pays. Car le socle sur lequel repose ce sentiment est solidement ancré dans les mentalités. 

L’histoire, la géographie, un brassage de populations, des échanges culturels et commerciaux qui remontent à la nuit des temps, ont induit nombres d’affinités qui sont à la base de ce constat.

Malgré ce constat, les relations bilatérales, que tout pousse, pourtant, à être au beau fixe restent, souvent, tendues, parfois même chaotiques. Pourquoi ce paradoxe ? Quelle est cette raison cachée qui pousse toujours, les uns et les autres, à faire un pas en avant et deux en arrière ?

L’examen approfondi de cette situation, fait ressortir un mot clé : la méfiance. Entretenue à petit feu par un travail de sape continu comme l’effet du ressac sur une digue, cette méfiance vise à maintenir le fossé, le plus large possible, entre les deux Etats.

En effet, des mains occultes s’activent, dans l’ombre, pour entretenir la zizanie et la discorde entre les deux pays. Ces esprits malintentionnés ont réussi, il y a fort longtemps déjà, à introduire un grain de sable pour enrayer la mécanique d’une véritable normalisation des relations bilatérales. Et tant que ce grain de sable ne sera pas extirpé, tout rapprochement maroco-mauritanien restera aléatoire. Il faut donc gagner la bataille du grain de sable.

 

Un passé révolu

Pour crever cet abcès de fixation qui obère les relations entre les deux pays, il faut avoir le courage et la lucidité d’aller au fond des problèmes et mettre en exergue les points de discorde : Que reprochent, ou plus exactement que reprochaient, les gouvernants mauritaniens au Maroc et, dans l’autre sens, que peut faire le Royaume chérifien pour aider la Mauritanie, notamment, dans son développement économique ? 

S’agissant de la première question, les gouvernants mauritaniens ont longtemps reproché au Maroc ses revendications sur leur pays. Après la reconnaissance de la Mauritanie par Rabat, ils ont continué – ce qui peut se comprendre vu le précédent de naguère –, à avoir quelques craintes sur les éventuelles réminiscences d’un impérialisme territorial marocain sous-jacent.

Voilà, une position qui a, au moins, le mérite de la clarté. Autant qu’un observateur puisse en juger, qu’en est-il au juste ?

Outre le fait que la Mauritanie est un Etat indépendant et souverain, de surcroît, membre de l’ONU, les revendications marocaines ont fini par tomber, définitivement, dans la trappe de l’histoire. Elles ne représentent plus, tout au plus, qu’un intérêt historique pour les chercheurs. Une page s’est donc tournée, une autre s’ouvre. Car le temps a fait son œuvre et le contexte géopolitique a été bouleversé de fond en comble, engendrant une nouvelle configuration sous-régionale. 

Les monarques marocains ont pris, officiellement, acte de cette nouvelle donne fondamentale. Ils ont fait table rase d’un passé où on caressait l’idée de la « reconstitution du Grand Maroc ». Hassan II, lui-même, en adepte de la Realpolitik, n’a-t-il pas fini par dire dans un célèbre discours télévisé : « On ne peut administrer Néma de Rabat ».

Il est vrai, que certains dirigeants de parti de l’Istiqlal, en mal de projet politique, font resurgir, de temps à autre, les réminiscences d’un passé révolu, qu’ils ont érigé en fonds de commerce. Mais cela n’engage, naturellement, que leurs auteurs.

Pour avoir côtoyé, plusieurs années durant, certains des proches collaborateurs de SM Mohammed VI, alors stagiaires au Ministère de l’Intérieur, je peux témoigner ici, que s’agissant de la Mauritanie, le nouveau monarque est à mille lieues de toute velléité expansionniste. Pour lui, il s’agit d’un dossier clos. Définitivement clos. Le bon sens et les facultés de discernement les plus élémentaires, excluent, du reste, le simple fait de penser, désormais, à cette éventualité. Soutenir le contraire est une vue de l’esprit.

 

La Mauritanie, un allié précieux pour le Maroc

A présent, les dirigeants des deux Etats, le Maroc et la Mauritanie, cherchent à instaurer entre les deux pays des relations de coopération et d’amitié, exemptes de toutes arrières pensées politiques suspicieuses. Des relations fondées sur le respect mutuel et la non-ingérence dans les affaires intérieures.

Ces relations tardent, il est vrai, à se hisser au niveau des aspirations des deux peuples. On verra, plus loin, notamment, ce que pourrait faire le Maroc pour les dynamiser. En retour, la Mauritanie reste pour le Royaume, incontournable dans tout règlement durable de l’affaire du Sahara et son soutien dans ce conflit est des plus précieux.

Lors d’une réunion au ministère de l’Intérieur, je pris, un jour, la parole pour dire que s’agissant de l’affaire du Sahara, si d’aventure, on venait à proposer au Maroc de choisir entre un soutien total des Etats-Unis d’Amérique et celui de la Mauritanie, je conseillerais, sans hésiter, de choisir le soutien de la Mauritanie. On s’esclaffa de rires et quelqu’un me dit : « Hormat-Allah, tu es tombé sur la tête… »

En récupérant le Sahara, le Maroc visait trois objectifs : Eviter l’encerclement du pays dans un environnement sous-régional hostile, avoir une respiration stratégique et ne pas être coupé de l’Afrique.

Ce que mes amis semblaient n’avoir pas intégré, c’est que même si la marocanité du Sahara venait à être consacrée sur le plan international, une Mauritanie hostile l’enfermerait dans une situation géopolitique intenable et les trois objectifs précités seront remis en cause. D’où la nécessité d’avoir un régime allié et ami à Nouakchott.

En effet, couper le Maroc de l’Afrique à partir du Sahara ou de la Mauritanie, le résultat reste le même. On se rappeler​a alors la mise en garde prémonitoire du Sultan marocain Mansour Ed-Dahbi. Ce monarque réunit un jour ses conseillers et leur tint ces propos : « Nous avons au Nord un ennemi héréditaire (l’Espagne), à l’Est, nous avons un autre ennemi, les Ottomans (en Algérie), à l’Ouest, nous avons la mer et nous n’avons pas de culture maritime, nous respirons par le Sud, notre profondeur stratégique ».

 

Une coopération bilatérale inédite

Comme on le voit, la Mauritanie est une pièce maitresse dans le jeu géopolitique sous-régional. Pour avoir un régime allié et ami de façon pérenne à Nouakchott, le Maroc devra créer le cadre d’une coopération multiforme pour relever ce challenge.

En espérant, toutefois, que les nuages de la discorde et de la désunion qui s’amoncellent dans le ciel maghrébin, ne viennent contrarier le cours de cette coopération inédite. 

Si on excepte la formation dans les écoles et les universités marocaines de milliers d’étudiants mauritaniens – ce qui, du reste,  n’a pas de prix –, la présence du Maroc en Mauritanie se résume à une coopération des plus timides : construction d’une grande mosquée à Nouakchott, un joyau architectural, excentré, ceinturé et assombri, de partout, par les marchands de charbon, de matériaux de construction, de fruits et de légumes. Autre volet de la coopération bilatérale, des aides matérielles conjoncturelles sous forme de dons. C’est dire que cela n’a pas un grand impact sur la population.

Le Maroc a toujours privilégié la coopération d’Etat à Etat, sans se soucier, outre mesure, de son absence d’impact sur le peuple mauritanien. Hormis, une fois de plus, la formation dans le Royaume de milliers de cadres et de techniciens mauritaniens, il n’y a pas de présence significative visible du Maroc en Mauritanie.

Mauritel, Attijari Bank…sont des entités commerciales à but lucratif. Elles rapatrient l’argent gagné dans leur pays. Elles n’ont aucune incidence sur la vie, au quotidien, du citoyen lambda. Elles pourraient être, tout au plus, un appoint dans une coopération multi-forme.

Pas de méprise. Le Maroc a une grande place dans le cœur de beaucoup de mauritaniens, mais sur le terrain, l’intendance ne suit pas. Or, il faut entretenir et consolider cet élan de sympathie. D’autant que les générations montantes sont un peu comme Saint Thomas : Elles ne croient que ce qu’elles voient. Pour le moment, ce qu’elles voient, n’est pas, tout à fait, à la hauteur des attentes.

Si le Maroc cherche un soutien et un appui stratégique en Mauritanie, ce n’est pas nécessairement du côté des gouvernants qu’il faudra d’abord les chercher, mais bien du côté du peuple. Les gouvernants changent et le peuple reste. Ne jamais perdre de vue que l’opinion publique en Mauritanie, comme partout ailleurs, a une grande influence sur le pouvoir politique.

A cette fin, le Maroc devra se défaire d’une coopération bilatérale, somme toute, statique en faveur d’une coopération plus dynamique.

Telle que je l’imagine, cette coopération pourra se décliner, grosso modo, en quelques points. On peut, au pied levé, donner ici, certaines pistes de réflexion. A noter, toutefois, qu’il s’agit d’un cadre flexible, une feuille de route pour la mise en place d’un dispositif de coopération inédit, qui prendra forme progressivement. Ce dispositif pourra, naturellement, être ajusté ou réajusté en fonction des moyens et des besoins des deux parties. De quoi s’agit-il ?

- Don de denrées alimentaires : blé, sucre, huile… avec l’inscription : « Don du Maroc au peuple mauritanien » et la mention : « vente interdite ». Cette opération pourra se renouveler en cas de grave sécheresse en Mauritanie ;

- Investissements conséquents du Maroc en Mauritanie : Construction d’une université, d’un hôpital, d’une route inter-régions…Pour la postérité, le nom du Maroc sera jamais associé à ces infrastructures. On parlera de ‘’l’hôpital marocain’’, de ‘’l’université marocaine’’, de la ‘’route marocaine’’. Par ailleurs – et c’est là un point d’une importance cruciale –, le Royaume devra inciter les pays du Golfe à investir en Mauritanie. Car le Maroc reste un passage obligé pour toute véritable coopération avec ses monarchies pétrolières ;

- Banque marocaine de développement pour le financement des petites et moyennes entreprises avec, parallèlement, des guichets pour les micro-crédits ;

- Pôle marocain à Nouakchott pour la vente d’équipements domestiques et industriels, de même que pour les produits manufacturés ;

- Unité industrielle pour l’agro-alimentaire (conditionnement) : dattes, lait, poisson…

- Concessionnaires marocains à Nouakchott et Nouadhibou pour vendre en Mauritanie, à des tarifs préférentiels, les voitures, camions et autobus fabriqués, sous licence, au Maroc ;

- Lignes maritimes régulières entre le Maroc et la Mauritanie ;

- Société marocaine spécialisée dans la collecte et l’incinération des ordures ménagères ; 

- Faire profiter la Mauritanie de la grande expérience du Maroc en matière de tourisme ;

- Société marocaine pour la prospection et l’exploitation des mines, en particulier aurifères. Le Maroc a une grande expérience dans ce secteur. Il possède plusieurs mines d’or dans certains pays africains ;

- Etudier la possibilité de l’exploitation par l’office chérifien des phosphates (OCP), des gisements de phosphates de Boghé (Bofal). Un éventuel acheminement de ce minerai par route (camions) ou par chemin de fer (à construire) au port de Nouakchott serait fort onéreux. En revanche, son transport par voie fluviale (cabotage) vers le nouveau port de Ndiago, à la pointe sud-ouest de la Mauritanie, se ferait à moindre coût. Ce port est situé, à quelques encablures du Sénégal. Cela pourra permettre, notamment, l’approvisionnement en phosphates des pays, partenaires traditionnels du Maroc en Afrique de l’ouest ;

- Dépôt (ni prêt ni don) de quelques dizaines, voire centaines de millions de dollars auprès de la BCM pour raffermir le cours de l’ouguiya ;

- Don de matériel et d’équipements militaires, puisés sur le surplus des FAR (forces armées royales), pour l’armée nationale et les forces de sécurité : quelques chars, quelques blindés, des véhicules tout terrain, des pièces d’artillerie de différents calibres, des fusils d’assaut, des armes de poing, des munitions, du matériel de transmission, des uniformes… ;

- Lots de médicaments et de matériel médical ;

- Professeurs de médecine (missionnaires) pour la faculté de médecine et les hôpitaux ;

- Assistance de techniciens agricoles ;

- Suppression des visas entre les deux pays, etc.

Cette nouvelle ère de coopération entre les deux Etats pourra être inaugurée par une visite officielle en Mauritanie de SM Mohammed VI ou de SAR le prince héritier Moulay Hassan. Une visite attendue avec impatience depuis, déjà, fort longtemps.