M. Youssouf Ould Mohamed Issa, Président du rassemblement des Démocrates Progressistes (RDP) : ‘’Les deux interviews du Président n'ont pas laissé une trace indélébile dans l'esprit des mauritaniens’’

4 August, 2021 - 20:10

Le Calame : Le président de la République a accordé des interviews à la presse internationale (JA, RFI et France 24). Vous avez écouté ou lu leur contenu. Quelles analyses vous faites de ces sorties médiatiques?

Youssouf Ould Mohamed Issa : Merci d’abord de l’opportunité que Le Calame nous offre pour nous prononcer sur certaines questions nationales. Si je viens à la question, je dirai que force est de constater que les deux interviews n'ont pas laissé une trace indélébile dans l'esprit des mauritaniens. Quel était l'objectif de ces interviews à ce moment précis ? Les réponses du Président n'ont pas sûrement réussi  à convaincre  l'écrasante majorité de la population ni par rapport à l'état des lieux ni par rapport aux perspectives.
La vérité n'a pas été dite et donc je pense que le Président a tout simplement raté son objectif principal qui était de gagner la confiance et de rassurer l'opinion publique à l'occasion de ses deux années au pouvoir.

-Nous assistons depuis quelques semaines à une recrudescence des contaminations de la COVID19. Que pensez-vous de la réaction du gouvernement à ce qu’on appelle aujourd’hui la 3e vague, avec de nouveaux variants? Quel message voudriez-vous adresser à vos compatriotes ?
- En effet, la troisième vague de la COVID19 avec de nouveaux variants n'est que le troisième visage plus agressif de la pandémie du Coronavirus qui s'est étendue très rapidement dans tous les endroits de notre planète en imposant un état de siège et en impactant l'économie mondiale.
Combinée avec la pollution, la destruction de la nature et la détérioration de l'environnement, cette pandémie a remis en cause son créateur l'ordre capitaliste international.
La peur, l'impuissance et l’incertitude par rapport aux virus gardent en alerte des millions d'êtres humains.
Notre pays n'échappe pas au système mondial qui influe de plus en plus sur le déroulement des événements dans chaque pays.
Notre gouvernement a-t-il axé sa politique sanitaire sur la spécificité de notre société en mettant en place un plan stratégique de préparation et de riposte tout en respectant l'approche commune et la conduite des institutions internationales telles que l’OMS.
La majorité des gouvernements nationaux ont été souvent par commission les complices des multinationales pharmaceutiques qui font des affaires avec la santé, et de ce fait, les virus eux-mêmes sont une opportunité pour faire des affaires et accumuler plus de capital.
--l'inefficacité des services de santé et des hôpitaux en tant que conséquence des politiques néolibérales de privatisation, de gabegie, sont sans aucun doute la raison du taux élevé de mortalité et des ravages causés par les vagues  de la pandémie. L'accès du peuple aux services de santé  gratuits et de qualité doit être garanti. Le secteur de la santé ne doit pas être assujetti au commerce et au profit.  Malheureusement, les personnes à risques et/ou testées positives sont abandonnées et laissées entre les mains de leurs  familles au lieu d'appliquer scrupuleusement une approche fondée sur les risques.
Dans le cadre de notre stratégie sanitaire, les axes stratégiques suivants me semblent urgents :
--Mettre en place une Haute Autorité de santé.
--Sur tous les lieux de travail, doivent être garanties de bonnes conditions de travail contre la pandémie.
--Les travailleurs et leurs familles(le corps médical en particulier) doivent recevoir un soutien financier suffisant sous forme de la prise en charge par l'Etat des factures d'eau et d'électricité.
--Réduire le taux d'impôt.
--Exiger et appliquer les mesures qui s'imposent pour maîtriser la transmission.
--Adapter les mesures de santé publique au contexte épidémiologique et aux divers types de rassemblements.
--Lutter contre la désinformation qui encourage la réticence à la vaccination.
--Renforcer les mesures en matière de mobilisation communautaire.
--Encourager  l'application d'une approche de gestion des risques pour les divers types de rassemblements (professionnels, commerciaux, religieux, sportifs et de cérémonies etc.)
-- Et enfin, où sont passées les contributions collectées par le fonds de solidarité et de lutte contre le Coronavirus et quel sort sera-t-il réservé au prêt de 167 Millions de $ accordés par le FMI dans le cadre de cette pandémie ?
J'exhorte tous nos compatriotes, le vulnérable surtout, au strict respect des mesures barrières qui relèvent de la responsabilité de chacun.
Engageons-nous pour notre santé et notre bien-être.

-Le 7 octobre 2020 disparaissait le timonier comme l’appelait Feu Habib Mahfoudh, Moustapha Ould Bedredine dont vous êtes proche. Comment avez-vous vécu cette perte ?
-Les honneurs organisés dans ce pays frère l'Algérie que je félicite et remercie du profond du cœur, le soulèvement à la prière mortuaire, les deux cérémonies d'hommage  organisées, la première par le courageux site Chourough à l'hôtel Nouakchott et la seconde au palais des congrès  prouvent que la disparition du grand timonier a été vécue et considérée comme la perte d'un symbole national et régional .
Il n'est pas difficile à un homme de faire quelques bonnes actions, ce qui est difficile, c'est d'agir bien toute sa vie, sans jamais rien faire de mal : voilà, ce qu'est cette figure héroïque qui a incarné des principes nouveaux tout en proclamant jusqu’à son dernier souffle, sa profession de foi progressiste. .
Cet idole révolutionnaire, patriote sans égal, dirigeant exceptionnel, orateur légendaire qui surgissait très concrètement dans des discours où la chair et le sang étaient toujours présents, généreux et simple , accueillant et souriant, feu Mohamed El Moustapha Ould Bedredine était un modèle absolu qui  se distinguait de tous nos camarades par sa capacité à endurer les souffrances les plus cruelles.
Mes camarades et moi exprimons très haut, stoïquement et sans regret, notre profond attachement et sincère amour à notre père spirituel feu Mohamed El Moustapha Ould Bedredine le glorieux artisan et  édificateur de la gauche mauritanienne. Si nous pouvons dire de quelqu’un que nous lui devons la liberté, c’est l’un des premiers noms à mettre en avant.

-Cette disparition intervient alors que l’homme avait été suspendu, avec certains de ses amis par le parti dont il était le secrétaire général. Avait-il souffert de cette décision ? Qu’avez-vous fait, avec ses autres amis et sympathisants pour poursuivre son combat et son œuvre ?
-Nos sanctions étaient une forme indirecte de sanctions non seulement à l'endroit de notre secrétaire général déjà malade mais à l'encontre de tous les camarades qui s'opposent à la ligne de déviation de l'UFP et la liste est très riche et très longue. Feu Mohamed El Moustapha Ould Bedredine était un homme souple et ferme:
il est plus facile de déplacer un fleuve que de changer sa conviction et son caractère. En ce début de crise du parti, il me disait toujours : ce qui me fait peur ce n'est pas la méchanceté des méchants mais le silence des justes.
Le Rassemblement des Démocrates Progressistes (RDP) symbolise la poursuite de son combat et de son œuvre.
Unifions-nous et préparons nos rangs sur le plan politique et en matière d'organisation en vue des batailles qui se profilent à l'horizon.

- Ould Ghazouani boucle, le 1er août, ses deux ans à la tête du pays. Quelle évaluation faites- vous  de ce début de mandat ?
-Un bilan globalement négatif.
Depuis l'élection présidentielle, d’ould Ghazouani,
A-t-on le sentiment de vivre mieux?
A-t-on fait reculer la précarité?
A-t-on relancé le pouvoir d'achat?
A-t-on diminué les prix des denrées de premières nécessités ainsi que ceux des aliments bétails.
A-t-on fait reculer les inégalités sociales et le chômage en relançant la croissance économique?
A-t-on renforcé l'unité nationale?
A-t-on garanti la sécurité alimentaire  ou celle des biens et des personnes?
A qui profitent les richesses du pays et les nominations?
Ce premier bilan n'ouvre pas la porte à des perspectives positives.

-Depuis que le successeur de l’ancien président est aux commandes du pays, une grande partie des partis traditionnels de l’opposition, connus pour leur radicalisme contre Ould Abdel Aziz se sont comme murés dans un silence « complice » pour ne pas dire « coupable ». Ils ne dénoncent que timidement la gestion du nouveau Raïs. Quelle appréciation faites- vous de cette situation ?
-Exactement, la même appréciation que vous: Silence complice voire coupable, dénonciation timide, louanges indirectes : telle est la conduite imposée par tout alignement avec le pouvoir. Apparemment, leur radicalisme ne ciblait pas un système d'oppression qui n'a pas du tout changé mais plutôt un homme.
Aujourd'hui, ces partis traditionnels de l'ancienne opposition utilisent les slogans du dialogue et du front contre la pandémie comme tactique quoique ridicule, prétexte et parapluie d'une politique de normalisation dont les retombées se résument pour le moment à quelques nominations.

-Les deux ans de mandat du président Ghazouani sont marqués par la gestion du dossier dit de la décennie qui a vu l’inculpation et le placement en détention préventive de l’ancien président. Que vous inspire ce dossier ? Pensez-vous que la justice sera dite et que la Mauritanie recouvrira les montants qui ont été détournés et les terrains spoliés… ?
-Seule la justice  a le droit de condamner à tort ou à raison un inculpé. Honnêtement, quel sentiment avez-vous vis à vis d'un dossier orchestré par
un pouvoir législatif  et une éventuelle condamnation prononcée par un appareil judiciaire tous deux à la solde d'un pouvoir exécutif en conflit avec l'inculpé en gestation?
Le dossier dit de la décennie n'est rien d'autre que l'expression des contradictions au sein d'une même classe sociale: la bourgeoisie d'origine militaire et civile. Son devenir dépend des intérêts de cette classe bourgeoise et de la gestion de leurs contradictions.
Les deux ans du mandat du Président Ghazouani sont marqués entre autres par le dossier dit de la décennie dont il était l'un des piliers des parties prenantes mais également par :
--La persistance d'un système néolibéral d'oppression fondé sur l'exploitation de la majorité par une minorité.
--Le rejet de tout dialogue inclusif.
--Le piétinement des libertés publiques donc  la négation de la démocratie   (violation de l'ordonnance 91-024 du 25 juillet 1991 relative aux partis politiques, interdiction des marches et des rassemblements,  la loi contre la manipulation de l’information).
--Le renforcement de l'autoritarisme et l'odeur de la loi martiale  (Loi portant protection des symboles ou plutôt des étoilés nationaux et leurs acolytes et l'incrimination des atteintes à l'autorité de l'Etat).
Dans ce cadre, sachez que si la liberté d'expression nous est enlevée alors, muets et silencieux, nous pourrons être conduits à l'abattoir comme des brebis.
--Le renforcement du système répressif (arrestation des victimes du 28 Novembre lors d'une marche pacifique, arrestation des étudiants et des mouvements de jeunes).
--L'unité nationale largement menacée par la montée du chauvinisme, la persistance des injustices et des pratiques discriminatoires et d'exclusion (recrutement de l’armée, des forces de l'ordre, de l'enseignement, de la santé, les nominations etc.)

 

Feu Moustapha Bedredine est l’un des grands défenseurs de l’unité nationale, de la justice et  des démunis etc. Que pensez-vous de ce qu’on appelle la question nationale ? Pensez-vous que le dialogue dont parlent les partis politiques de la majorité et de l’opposition pourrait enfin apporter des solutions idoines à la question du vivre ensemble dans le pays ?
-A juste raison, l'intérêt national dont l'unité nationale constitue le fondement était pour le grand timonier au-dessus de toute considération.
Qu'il y ait dialogue ou non la question du vivre ensemble (question nationale)  aujourd'hui largement menacée par les courants particularistes de tout bord passe obligatoirement par une solution équitable et juste du passif humanitaire (massacres et déportations) axée principalement sur :
--L'abrogation de la loi d'amnistie de 1993.
--Une commission d'enquête indépendante.
--Une conférence nationale pour instaurer la réparation, la justice et le devoir de mémoire au profit de toutes les victimes.
Feu Mohamed El-Moustapha Ould Bedredine n'a-t-il pas joué un rôle déterminant pour l'élaboration et la propagation des lettres ouvertes dites des 50 et 125 signataires  qui réclamaient en Mars 1991 les mêmes revendications?

                                                     Propos recueillis par Dalay Lam