Me Bilal Dick, avocat, militant des droits de l’homme : ‘’La question du dialogue n’est pas à l’ordre du jour car elle est liée aux impasses politiques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui’’

22 September, 2021 - 17:56

Le Calame : La voix de la société civile reste inaudible malgré les préparatifs du dialogue politique entre la majorité et l’opposition. Les uns et les autres veulent pourtant un débat inclusif. Que pensez-vous de cette initiative ?

Me Bilal Dick Je tiens d’abord à remercier la tribune du Calame, d’avoir pris l’initiative, de m’interviewer sur les questions nationales qui préoccupent à l’heure actuelle, l’opinion nationale et internationale.

A propos de votre question, je dois dire, sans hésitation et avant d’aborder la question, que la Mauritanie a connu, ces deux dernières années, deux événements historiques, marqués par le passage solennel du pouvoir et de manière pacifique sous le témoignage de l’ensemble des acteurs politiques nationaux et internationaux, après l’organisation des élections, ce qui s’inscrit au crédit de la prise de conscience des populations. Cette journée devrait être commémorée chaque année.

Ensuite, le second événement s’est concrétisé par l’attitude du président de la République Mohamed Cheikh El Ghazouani, en s’ouvrant aux différents acteurs politiques, notamment à l’opposition jadis maltraitée et marginalisée, ainsi que tous les porteurs d’opinion sur les questions nationales. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ces évènements, qui constituent, à mon avis, une opportunité, pour nettoyer les tares que nous vivons, et aller dans le sens de consolider les acquis, et se projeter pour réparer les dégâts subis par le passé.

Pour revenir à votre question, il ya lieu de s’arrêter sur le concept  du dialogue politique dont vous parlez, je pense que le terme dialogue politique a été à ce jour consacré par les partis politiques dont vous parlez, et ce n’est pas l’avis du pouvoir, qui appelle à la concertation/dialogue, et donc il y a lieu aujourd’hui de s’entendre sur la terminologie appropriée. D’ ailleurs, le pouvoir parle du dialogue social, et cela s’est concrétisé par la création d’un Conseil du Dialogue social. Et je pense que ce dialogue social vient être pris en otage par le politique et qui tend à tout prix à le transformer en dialogue politique.

Tant mieux !

Effectivement, la société civile qui, à vrai dire, est la première concernée, par le dialogue social, était absente et s’est vue usurper son dialogue transformé en projet de dialogue politique.

Je pense que l’avenir est déterminant. Qu’il s’agisse du dialogue ou concertation, la participation inclusive est déterminante.

Dans tous les cas la société civile, si proche des populations, joue un rôle important, et ne doit en aucun cas s’auto-exclure ou être exclue, du dialogue ou des concertations sur les questions nationales. Cependant elle doit serrer ses rangs et s’organiser davantage, pour pouvoir entrer dans les jeux.

 

Un acteur de la société civile est laissé en marge jusque-là, c’est parce que les acteurs politiques considèrent qu’ils ont seuls la légitimité de s’occuper des affaires de la cité et que celle-ci n’a pas réussi à s’imposer en partenaire incontournable. Partagez-vous cet avis ?

La société civile ne peut en aucun cas être à la marge, sauf si elle démissionne d’elle-même de sa mission, car elle est, je l’ai déjà dit, sur le terrain et se confond aux populations, et par conséquence son avis sur toutes les questions nationales est crédible, si elle garde son indépendance. Par contre le rôle des partis politiques est, de nos jours menacé par les groupes et formations issus des réseaux sociaux qui occupent d’avantage le terrain politique, ainsi ils deviennent plus influents que les partis politiques. Rien que par la mobilisation, ils menacent dangereusement la stabilité politique. Raison pour laquelle tout dialogue ou concertation inclusif, doit tenir compte de ces acteurs, auteurs de la politique informelle.

 

La société civile parle-t-elle d’une seule voix ? Y a-t-il une société civile ou des sociétés civiles en Mauritanie ?

Difficile de répondre à cette question. En effet, la société civile souffre d’un malaise lié à l’« appartenance politique ».En dehors du Barreau qui se distingue quelque part de celle-ci par son indépendance totale, la société civile vit aujourd’hui sous l’ombre du pouvoir et des partis politiques (du pouvoir et de l’opposition), ce qui l’affaiblit gravement .Elle n’arrive pas à s’unir et dépasser les divergences afin de constituer un pôle incontournable.

De toutes les façons, je pense qu’avec la mise en place de la plateforme de la SOC, elle tente de s’organiser davantage.

Je tiens à rappeler que la nouvelle loi instituant le système déclaratif constitue un  grand pas, et c’est une opportunité pour la société civile, de se ressaisir.

 

Dans le cadre des préparatifs, une polémique semble opposer une partie de l’opposition et de la majorité. La première exprime des réserves et demande un véritable dialogue, non des concertations préconisées par le président de la République. Que pensez-vous de ces divergences ? La société civile pourrait-elle jouer le médiateur entre les deux camps ?

Je pense que l’opposition tire sur la ficelle pour faire dire au président de la République ce qu’il n’a pas dit. La question du dialogue n’est pas à l’ordre du jour, car elle est liée aux impasses politiques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les institutions politiques fonctionnent régulièrement. En revanche, les questions nationales peuvent avoir des réponses adéquates, par la concertation inclusive basée sur la sincérité, le respect, les sentiments patriotiques et la croyance à la Nation. Et je pense que le président de la République a cassé la glace, entre l’opposition et le pouvoir en place par son attitude d’ouverture.

 

Quelle appréciation vous faites de la feuille de route concoctée par la majorité et des partis de l’opposition dans la perspective des concertations en gestation ?

Je pense que d’ores et déjà la retrouvaille des deux antagonistes est à saluer. Elle constitue une réussite pour la démocratie, et elle est porteuse d’espoir pour la Nation. N’oubliez pas que l’opposition était étranglée et était au bout du souffle. Aujourd’hui avec l’ouverture, elle doit jouer le rôle qui lui est dévolu. J’espère que cette concertation préliminaire soit porteuse d’espoir pour aller ensemble afin de régler les problèmes fondamentaux de la République.

 

Dans cette feuille de route, les partis ont listé plusieurs thèmes dont la bonne gouvernance, l’unité nationale et le renforcement de la démocratie… Qu’en pensez-vous ? Que faire pour régler les problèmes qu’ils rencontrent ?

Qu’il s’agisse du dialogue ou concertation, tous les thèmes à vocation de garantir l’unité, la consolidation de l’Etat de droit doivent être évoqués, sans tabou, a fortiori la bonne gouvernance, ainsi que la répartition équitable des ressources, et la participation à la gestion de tous les mauritaniens. Enfin, je pense que si les échanges sont sincères et de bonne foi, les partis en concertation arriveront à mettre sur pied l’instrument adéquat pour aller vers les assises nationales en vue de résoudre les problèmes réels de la Nation.

 

Au cours d’un point de presse, 8 partis politiques de l’opposition ont décrit une Mauritanie en crise, une Mauritanie où des populations noires (Haratine et négro-africains) sont marginalisées. En réponse, les partis de la majorité ont réfuté ces allégations parce que, disent-ils, cette image ne correspond pas à la Mauritanie actuelle. Pensez-vous que le dialogue pourrait se tenir dans ces conditions ?

Je pense qu’aujourd’hui nous vivons une situation où les disparités sont criantes. Visibles à travers la répartition des postes de gestion de l’administration centrale, des sociétés d’Etat, à travers la représentation diplomatique, les recrutements…bref une situation en réalité, qui ne cadre pas avec l’image d’un Etat de droit, fort, bâti par son peuple et tout son peuple. J’écarte toute volonté manifeste du pouvoir actuel, toutefois il endosse la responsabilité de la persistance d’une situation inacceptable qui menace l’unité et la stabilité du pays .En outre je pense qu’il n’ya pas lieu de continuer à recenser les problèmes et s’arrêter, il ya lieu de s’interroger sur les raisons de leur existence, pour enfin préconiser des solutions adaptées.

 

                         Propos recueillis par Dalay Lam