Question et guerre du Sahara mauritanien (suite)

7 January, 2015 - 15:59

(Suite des publications de documents diplomatiques français,

Voir Le Calame des 14 & 28 Décembre 2010 – 4 & 25 Janvier, 8 & 22 Février 2011 – 22 Juillet, 12 Août & 14.28 Octobre & 3.17 Décembre 2014)

 

 Maroc et Mauritanie face aux nouveaux projets espagnols

 

  L’année 1973 est celle où tout se noue du futur conflit. Elle est pour la Mauritanie particulièrement chargée puisque les accords de coopération avec l’ancienne métropole sont signés au moment où l’Espagne, s’appuyant sur la djemaa, envisage publiquement un referendum d’autodétermination. Puisque la création formelle du Front Polisario est contemporaine avec l’apparition de deux mouvements d’opposition : le M.N.D. en Mai et les Kadihines en Octobre. Le consensus de Nouadhibou – intervenu en Septembre entre Algérie, Maroc et Mauritanie – va se dissoudre au nouveau sommet tripartite, cette fois tenu à Agadir, mais d’ici Juillet 1973, la Mauritanie et le Maroc sont antagonistes : à Nouakchott, on redoute l’expansionnisme de Rabat  et la présence espagnole est un moindre mal.

 

La France aurait pu être en position sinon d’arbitre, du moins d’expert. Le partage de l’ouest saharien entre elle et l’Espagne est antérieur de dix-douze ans au protectorat sur le Maroc. L’organisation du commandement des Confins au sud du 27ème parallèle est fonction du Maroc et Tindouf en est le centre. Ce qui est alors concédé à l’Espagne est retiré à l’ensemble mauritanien et pas du tout au Maroc. En revanche, Tindouf est reconnu marocain jusqu’à ce la rébellion algérienne fasse décider de le soustraire aux accords mettant fin au régime français. Autant Madrid porte la responsabilité d’un partage et d’un transfert de souveraineté hâtifs, autant Paris – vingt ans auparavant – aura été responsable de ces deux spoliations.

 

La publication des archives de l’ambassade de France à Nouakchott trouvera une organisation plus systématique dans un livre à paraître quand elle aura pris fin dans ces colonnes. Elle doit se compléter par l’exploration de ce que les représentations françaises – dans la même période – ont analysé à Madrid,  à Alger et à Rabat. Tout n’est pas circulé entre les quatre ambassades concernées par la question saharienne.

 

Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge

 

 

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AFP 35

Nouakchott, 7 Mars 1973

 

La Mauritanie rejette la proposition du Gouvernement espagnol tendant à organiser un referendum au Sahara sous domination espagnole en vue de l’octroi d’une autonomie interne aux populations concernées, et a adressé une invitation aux ministres marocain et algérien des Affaires Etrangères pour  une rencontre à Nouakchott dans les plus brefs délais, « en vue de dégager une position commune face à la nouvelle attitude du Gouvernement espagnol ».

 

Ces indications contenues dans une déclaration que vient de rendre publique le ministre mauritanien des Affaires Etrangères, constituent une réponse au Gouvernement espagnol qui a récemment saisi les autorités mauritaniennes de son intention d’organiser un referendum dans les territoires concernés.

Dans cette déclaration, le Gouvernement mauritanien réaffirme sa volonté d’œuvrer pour la décolonisation du Sahara et rejette la façon de procéder du Gouvernement espagnol qu’il trouve « non conforme aux résolutions pertinentes des Nations Unies ». Il réitère son attachement à ces résolutions invitant l’Espagne à arrêter avec les gouvernements intéressés « les modalités de l’organisation d’un referendum sous les auspices des Nations Unies et devant permettre à la population autochtone d’exercer librement son droit à l’autodétermination et à l’indépendance ».

 

Enfin, le Gouvernement mauritanien réaffirme sa fidélité à l’esprit de la conférence tripartite qui s’est tenue sur ce sujet en Septembre 1970 à Nouadhibou entre les Chefs d’Etat de la Mauritanie, du Maroc et de l’Algérie.

 

Par ailleurs, on apprend que le nouvel ambassadeur d’Espagne en Mauritanie, M. Juan Baptista Andrada Vanderwilde, est attendu ce soir à Nouakchott, en provenance de Madrid.

 

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Royaume du Maroc

Ministère des Affaires Etrangères n° 187 Cab.   

Rabat, le 11 Mars 1973

 

Monsieur le Secrétaire général,

 

en date du 14 Décembre 1972, l’Assemblée Générale avait adopté la résolution 2983 sur la question du Sahara dit espagnol. Cette résolution demandait avec insistance à la puissance administrante de respecter et de mettre en œuvre scrupuleusement, sous l’égide et la garantie des Nations Unies, les dispositions édictées relatives à la décolonisation de ce territoire. L’Assemblée Générale avait également réitéré son invitation à l’Espagne d’arrêter avec les gouvernements voisins du Sahara sous occupation espagnole, les modalités permettant à sa population de se prononcer librement sur son destin. Mais au mépris de son propre engagement et des nombreuses décisions internationales, l’Espagne continue à agir unilatéralement en prenant de nouvelles initiatives et mesures de caractère tant administratif que politique tendant à maintenir et à consolider sa domination sur le territoire. A cette fin, le Journal officiel espagnol publiait le 28 Décembre 1972 un arrêté renforçant sur le plan administratif et institutionnel, la dépendance du territoire à l’égard du pouvoir central.

 

Le 20 Février 1973, des informations faisaient état d’une déclaration attribuée à la « Djemaa » - assemblée locale et qui aurait été présentée par celle-ci au Gouvernement espagnol « réaffirmant le droit du territoire à l’exercice de son autodétermination quand il le demandera et sans ingérence étrangère, et lui demandant d’ouvrir une période transitoire lui permettant de préparer son avenir ».

 

Le 27 Février 1973, l’ambassadeur d’Espagne à Rabat effectuait une démarche auprès du ministère des Affaires Etrangères du Maroc dans le but de remettre aux autorités marocaines uniquement pour information et sans quelque commentaire que ce soit, la pétition des Sahraouis réclamant le droit à l’autodétermination adressée à son gouvernement ».

 

Cette démarche tendait visiblement à faire croire qu’une consultation entre nos deux gouvernements était en cours. Le gouvernement de Sa Majesté le Roi soucieux de lever une telle équivoque et d’éviter l’accréditation d’une telle hypothèse, a rejeté fermement la démarche Et la note d’information espagnole. Devant cette nouvelle mesure unilatérale du gouvernement de Madrid prise en contradiction flagrante avec les recommandations pertinentes de l’Assemblée Générale tendant au respect de l’expression libre de la volonté des populations sous le contrôle des organes appropriés des Nations Unies, le gouvernement de Sa Majesté le Roi attire votre attention sur les conséquences particulièrement graves que ce fait accompli ne manquera certainement pas de provoquer dans le territoire et dans les relations entre l’Espagne et le Maroc. Le gouvernement de Sa Majesté le Roi a dénoncé à maintes reprises, récemment encore par la déclaration du 6/12/1972 de son ministre des Affaires Etrangères devant la quatrième commission, ce processus par lequel l’Espagne se substituant à l’Organisation des Nations Unies, impose aux populations du Sahara un destin qu’elle façonne sous le couvert de manœuvres colonialistes connues, dans le seul souci du maintien de sa domination politique, de l’exploitation des ressources du territoire et de la réalisation de ses nouveaux objectifs militaires dans la région.

 

suite et fin de la lettre - manquent                                                       

 

 

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Madrid, le 21 Mars 1973

n° 269/75

Objet : Sahara espagnol

 

Le conseiller de cette ambassade a eu avec le directeur d’Afrique et du Moyen-Orient un entretien relatif à la politique suivie par l’Espagne dans sa province saharienne, et aux réactions de la Mauritanie et de l’Algérie à la suite de la pétition de l’Assemblée provinciale du Rio de Oro affirmant le droit de la population de ce territoire à l’autodétermination.

 

M. Moran a complété les indications déjà données dans ma dépêche n° 140/ANL du 14 Mars 1973, en précisant que cette assemblée avait également demandé au gouvernement de Madrid que soit maintenue l’intégrité du territoire saharien espagnol et souhaite que l’administration en reste confiée à l’Espagne pendant une période transitoire. En attendant que le Chef de l’Etat décide de la réponse à donner à la pétition dont il a été saisi, le palais de Santa Cruz, considérant que les Sahariens espagnols en sont encore au stade « pré-national », estimerait souhaitable de leur octroyer un régime spécial qui les préparerait progressivement à l’administration de leur pays. A ce sujet, notre interlocuteur a ajouté que l’on voulait éviter à Madrid de parler « d’autonomie interne ». Il est permis de penser que cette formule, qui a abouti assez rapidement à l’indépendance des Etats francophones, est considérée ici trop audacieuse.

 

L’Espagne, a souligné M. Moran, ne s’opposera nullement à la présence de représentants des Nations Unies au Rio de Oro, quand le moment de l’autodétermination, au principe duquel elle reste attachée, sera venu. Il appartiendra aux Sahariens d’en faire la demande. L’Assemblée provinciale, a remarqué notre interlocuteur, commence d’ailleurs à manifester de nouvelles aspirations. Certains membres de la Djemaa, les plus jeunes en particulier, demandent que soient organisées de nouvelles élections.

 

En tout état de cause, l’Espagne n’envisage pas de consulter la population dans les termes souhaités par la Mauritanie (le télégramme de Nouakchott n° 167/70 du 14 Mars), c’est-à-dire en lui donnant le choix entre l’indépendance et la « réintégration dans la patrie mauritanienne ». Certes, on comprend ici que la Mauritanie désire voir reconnue par un referendum sa souveraineté sur le Rio de Oro et on estime qu’elle pourrait, le cas échéant, accepter la transformation de ce territoire en un « Etat tampon » indépendant, lié à Madrid par des accords spéciaux, en particulier militaires. Mais le gouvernement espagnol pense qu’il serait imprudent de poser le problème en des termes  qui risqueraient de pousser à bout la patience du Maroc avec lequel les relations sont présentement assez tendues.

 

M. Moran a remarqué la discrétion de l’Algérie après la pétition de l’Assemblée d’El Aiun. Il admet que ce pays est en fait celui qui, parmi les riverains du Sahara espagnol, peut tirer le plus d’avantages de la politique de Madrid.

 

A propos du rapprochement algéro-espagnol, il m’est revenu que M. Lopez Bravo se rendrait prochainement en Algérie pour y rencontrer M. Bouteflika, qui l’a invité à une partie de chasse. /.

                                                                                       Gillet

 

 

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New York, le 5 Avril 1973

n° 1707/08

Objet : Sahara espagnol

 

Je me réfère à mon télégramme n° 1602.

 

Le porte-parole du Secrétariat général a indiqué aux journalistes que l’entretien qui a eu lieu le 2 Avril entre M. Waldheim et M. Benhima, ministre des Affaires Etrangères du Maroc, avait porté sur la question du Sahara espagnol.

 

Le chef de la diplomatie marocaine, a-t-il précisé, a demandé l’application de la résolution 2983 de la XXVIIème assemblée générale qui invite en particulier le gouvernement espagnol « à recevoir une mission de l’Organisation des Nations Unies et à lui fournir toutes les facilités nécessaires, afin qu’elle puisse participer activement à la mise en œuvre des mesures permettant de mettre fin à la situation coloniale dans le territoire ».

 

Nous tenons de bonne source que le Secrétaire général, auprès duquel le représentant permanent du Maroc avait effectué la semaine dernière une démarche dans le même sens (mon télégramme de référence), a répondu à son interlocuteur qu’il avait saisi le gouvernement espagnol dont il attendait une réponse. Il ne pouvait donc rien dire de plus pour le moment. /.

                                                                             Guiringaud

 

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Ministère des Affaires Etrangères

Nations Unies et Organisations internationales

Paris, le 6 Avril 1973

n° 35

Note pour le Directeur politique

A/S : Démarche du Ministre Conseiller marocain concernant le Sahara Espagnol (5 avril 1973).-

 

M. Kaghad, Ministre Conseiller de l’Ambassade du Maroc a effectué une démarche le 5 avril 1973 auprès du Directeur des Nations Unies afin d’appeler son attention sur une série d’initiatives récemment prises par l’Espagne au « Sahara marocain sous domination espagnole » et qui inspirent aux autorités de Rabat de vives préoccupations.

 

L’essentiel des indications données par le diplomate marocain se trouve contenu dans deux lettres adressées par le Ministre marocain des Affaires étrangères, d’une part, au Secrétaire général des Nations Unies le 11 Mars 1973 et, d’autre part, au Secrétaire général de l’OUA. Ces mémoires sont annexés à la présente note. Ils font référence aux résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies sur le Sahara Espagnol (notamment celle du 14 décembre 1972), aux engagements pris par l’Espagne, selon le Gouvernement marocain, de consulter les populations du territoire par voie de referendum contrôlé par les Nations Unies, enfin à des décisions récentes tendant à confirmer l’autorité de l’Espagne sur le territoire ou à orienter les décisions de l’Assemblée locale (Djemaa), initiatives que le Gouvernement de Rabat juge contraires aux engagements pris.

 

M. Kaghad a ajouté que le Ministre des Affaires étrangères marocain s’étant rendu récemment aux Etats-Unis, avait appelé l’attention de M. Waldheim sur cette situation. Dans le même esprit l’Ambassade du Maroc à Paris tenait à informer le Département.

 

Le Directeur des Nations Unies a demandé à son interlocuteur si cette question avait été évoquée lors de la visite récente que M. Lopez Bravo a faite à Rabat. M. Kaghad lui a répondu que les entretiens avaient surtout porté sur les questions de pêche.

 

M. Leprette [1] a alors interrogé M. Kaghad sur l’attitude des Etats voisins du Maroc en face de cette récente évolution. Se proposait-on de reprendre contact avec Alger et Nouakchott ? A cette question, le diplomate marocain a répondu que les autorités responsables des trois pays avaient pris sur ce sujet de décisions lors de la Conférence de Nouadhibou (1970). On avait parlé d’une nouvelle rencontre, mais il ne s’agissait que de rumeurs, pour le moment non confirmées.

 

M. Kaghad a exprimé le vœu de connaître les réactions des autorités françaises à ce sujet. M. Leprette lui a déclaré que s’agissant d’une affaire intéressant plusieurs pays amis, nous avions toujours l’espoir que les contacts maintenus entre les parties intéressées, particulièrement aux Nations Unies, ouvriraient la voie à une solution acceptable.

 

A la fin de l’entretien, M. Kaghad se proposait d’effectuer une démarche identique dans la journée auprès du Directeur d’Afrique du Nord et du Levant. /.                                             

                                                                              JL  paraphe de Jacques Leprette

 

 

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Paris, le 6 Avril 1973

n° 285/87 pour Rabat & 174/76 pour Madrid – 221/23 pour Alger, 114/16 pour Nouakchott & 569/71 pour New York

A/S : démarche marocaine au sujet du Sahara espagnol

 

Le ministre-conseiller marocain a effectué le 5 Avril auprès du directeur des Nations Unies et du directeur d’Afrique du nord-Levant deux démarches identiques pour leur remettre, en les paraphrasant, les textes des lettres adressées par M. Benhima, dans le courant de Mars, l’une au secrétaire général des Nations Unies, et l’autre au secrétaire général de l’OUA, au sujet du « Sahara marocain sous domination espagnole ». Vous recevrez ces textes par la valise. Elles constituent une critique sévère des mesures prises ces derniers temps par le gouvernement de Madrid dans le territoire dont il s’agit et s’attachent à démontrer que l’Espagne se livre à une « mystification » destinée à tromper l’opinion mondiale et à lui fournir un nouvel alibi pour se dérober au processus prévu par les Nations Unies ».

 

M. Kaghad ayant essayé d’obtenir des éclaircissements sur les vues du gouvernement français à ce sujet, ses interlocuteurs ont surtout souligné que cette affaire, importante à nos yeux dans la mesure où elle intéressait directement plusieurs pays amis, devait évoluer dans un sens acceptable pour les uns comme pour les autres ainsi que pour les populations concernées. Nous souhaitions vivement que les gouvernements qui avaient participé à la conférence de Nouadhibou, d’une part, les autorités de Madrid, d’autre part, s’attachent avec succès à dégager des vues communes sur l’avenir de ce territoire.

 

C’est la première fois que le gouvernement marocain tente d’intéresser le Département à cette question. La démarche a été faite à un niveau, et en des termes, qui marquent une certaine circonspection. Il est clair en effet – et les Marocains ne peuvent l’ignorer – que nous ne saurions qu’être très prudents dans une affaire où divers Etats, avec lesquels nous entretenons des rapports également bons, ont des vues et des intérêts sensiblement divergents. Comme vous le savez, nous nous sommes, à l’Assemblée générale des Nations Unies, abstenus dans le vote sur la résolution du 14 Décembre 1972. /.

 

                                                                             Diplomatie

 

 

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Madrid, le 11 Avril 1973

n° 321-325

adressé à Diplomatie – communiqué via le Département à Rabat 33-37, Alger 27-31, Nouakchott 18-22

Directeurs

Objet : visite à Nouakchott de M. Lopez Bravo

 

 

Je me réfère au télégramme de Nouakchott n° 234.

 

Si l’on en croit la direction d’Afrique au palais de Santa Cruz, les interlocuteurs mauritaniens de M. Lopez Bravo, lors de son récent séjour à Nouakchott, auraient été « très compréhensifs » pour la politique espagnole au Sahara. Ils seraient montrés favorables au processus envisagé par Madrid – octroi dans un premier temps de l’autonomie interne suivie à terme de la mise en œuvre de l’autodétermination si les Sahariens la réclament et à condition qu’il n’y ait pas de pressions extérieures.

 

Certes, on avait pu enregistrer initialement de la part de Nouakchott certaines réactions publiques critiquant les intentions espagnoles. Mais elles n’avaient été destinées qu’à sauver les apparences, et ne reflétaient nullement la position de fond de la Mauritanie qui restait déterminée par la crainte que lui inspiraient les ambitions territoriales du Maroc.

 

C’est l’attitude de ce dernier qui constituerait l’unique obstacle à une solution régionale du problème saharien qui pourrait être obtenue par une concertation de Madrid avec les trois partenaires de Nouadhibou. Le principe en aurait été réaffirmé sans illusion par les deux délégations au cours des entretiens de Nouakchott.

 

En ce qui concerne la coopération hispano-mauritanienne au sujet de laquelle a été signé un accord-cadre, nos interlocuteurs assurent qu’elle est d’autant plus souhaitée par les Mauritaniens que ceux-ci se trouvent dans une situation économique difficile, qui pourrait rendre plus aigües leurs difficultés d’ordre interne dues en particulier à l’attitude de la jeunesse.

 

Toutefois, les projets présentés par les Mauritaniens seraient souvent peu réalistes et trop dispendieux, et inspirent de sérieuses réserves ici, du moins au niveau des services. Le seul crédit consenti de façon ferme serait celui, d’un montant de 300 millions de pesetas, destiné à la construction d’un hôtel près de Nouakchott. Le terme « crédit » ne serait d’ailleurs qu’un euphémisme car on considère ici qu’il s’agit d’un versement à fonds perdus. /.

 

                                                                                         Gillet

 

 

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Nouakchott, le 12 Avril 1973

Robert Oddos chargé d’affaires de France a.i. en Mauritanie à Son Excellence Monsieur Michel Jobert, ministre des Affaires Etrangères

Direction des Affaires Africaines et Malgaches

n° 121 DAM

A/s. : Visite en Mauritanie de M. LOPEZ BRAVO.

 

La « visite de travail » que M. Lopez Bravo a effectuée à Nouakchott le 4 avril, à l’invitation de M. Hamdi Ould Mouknass (mes correspondances des 31 mars et 9 avril), s’ajoute à la longue suite de rencontres du Chef de la diplomatie espagnole avec son homologue mauritanien. Leur dernier entretien s’était déroulé secrètement à Las Palmas. L’entrevue suivante ne pouvait, pour des raisons de convenances, se situer qu’en terre mauritanienne. Après avoir dû en repousser la date à plusieurs reprises, M. Lopez Bravo, réussit, non sans difficulté, à inscrire son voyage dans un créneau de moins de vingt-quatre heures. Arrivé le matin, il déclinait une invitation à dîner du Président Moktar et repartait à 18 heures pour Madrid.

 

Son Directeur d’Afrique disposait heureusement de quarante-huit heures supplémentaires pour mener à bien le programme d’échanges de vues organisé entre la délégation espagnole et les responsables des ministères techniques mauritaniens.

 

M. Lopez Bravo avait, avant de quitter Nouakchott, signé avec M. Mouknass un communiqué dont j’adresse ci-joint le texte au Département.

 

Le visiteur, rapporte ce document, a été reçu en audience par le Chef de l’Etat et au cours d’échanges de vues « empreints de la plus franche cordialité » …, « approfondis et fructueux », les deux ministres « se sont livrés à un examen minutieux et détaillé des problèmes d’intérêt commun », dont la coopération entre les deux capitales, que l’on veut « voir se renforcer et s’étendre à tous les domaines », ce dont témoigne la signature par M. Lopez Bravo et M. Hamdi Ould Mouknass d’un « accord-cadre en matière de coopération technique et économique ».

 

En matière internationale, le communiqué ne mentionne que le problème du Moyen-Orient, «  sur lequel les deux interlocuteurs ont plus particulièrement porté leur attention » pour demander une nouvelle  fois l’application de la résolution du Conseil de Sécurité du 22 Novembre 1967 et le respect « des droits inaliénables du peuple palestinien ».

 

En réalité, c’est sur le sort du Sahara sous administration espagnole qu’ont essentiellement porté les conversations politiques du 4 avril.

 

Les deux ministres, que lie une vieille amitié, auraient exposé franchement leur position.

 

D’accord sur une évolution vers l’indépendance, comme statut final du Rio-de-Oro et de la Seguiet-el-Hamra, ils envisagent – si l’on en croit leurs prises de postions officielles – différemment la manière de la conduire. Le gouvernement mauritanien a déclaré (mes communications des 7 et 14 mars 1973) ne pouvoir accepter que Madrid organise un referendum. Les « Sahraoui » consultés, se prononceraient en effet selon les instructions reçues de l’administration et non en toute liberté, comme ils seraient capables de faire sous contrôle international.

 

Nouakchott verrait pourtant avec faveur la poursuite, pour un temps, d’une assistance militaire et administrative espagnole au Sahara, protégé ainsi d’une mainmise marocaine. L’octroi d’office de l’autonomie interne le préparerait à se gouverner. A l’issue de cette période transitoire, les populations décideraient librement, sous le contrôle des Nations Unie, de leur destin : l’indépendance ou une autre formule, à l’exclusion toutefois d’un rattachement au Maroc.

 

Ces vues sont proches – malgré une appréciation fort différente de la durée du processus envisagé – de celles de Madrid comme, selon l’Ambassade d’Espagne, de celles d’Alger. Elles s’inspirent, d’après M. Mouknass, de « l’esprit de Nouadhibou », dont M. Lopez Bravo a cru, devant son homologue mauritanien, devoir contester l’existence.

 

C’est, soutient le Chef de la diplomatie espagnole, l’incapacité des trois participants à la Conférence de Nouadhibou à se mettre d’accord et à proposer une formule conjointe, qui constitue l’obstacle majeur à une solution concertée du problème du Sahara. Cela, même s’il le pense, M. Mouknass ne peut le reconnaître publiquement. Il se résigne assez facilement à une présence espagnole qui sert, indirectement, les intérêts mauritaniens, mais la fraternité africaine et les exigences de l’opinion lui imposent, jusqu’à un certain point, de participer à la surenchère anticolonialiste et de ne pas se laisser, à cet égard, distancer par Rabat.

 

Si nouvel ambassadeur d’Espagne pouvait sur ce point nourrir des illusions, une motion  du 5ème Congrès de l’U.T.M. [2] , lue une semaine après la visite de M. Lopez Bravo, en présence du Corps diplomatique convoqué pour la circonstance, les aura effacées. Le Syndicat officiel, intégré au Parti, que préside M. Moktar Ould Daddah, considère en effet, dans sa résolution, « que les menaces, intimidations et massacres barbares organisés systématiquement par la soldatesque du Général Franco constituent un défi aux Nations Unies et à la Communauté internationale », et « salue avec joie la naissance du Mouvement de Libération dit ‘Avant-garde de la Seguiet el Hamra et du Rio-de-Oro ». L’outrance de ces propos doit évidemment être replacée dans le contexte d’une démagogie de circonstance. Elle n’en a pas moins la caution du pouvoir.

 

Madrid, dont les relations avec Rabat se détériorent, trouve avantage, malgré certains éclats des dirigeants de Nouakchott, à prendre patience et à jouer avec eux la carte de l’amitié, au moment où la Mauritanie, affirmant sa rivalité avec le Maroc, fait figure d’ « allié objectif » de l’Espagne.

 

Ainsi M. Lopez Bravo a-t-il marqué, lors de sa visite, la volonté de son gouvernement de coopérer plus largement au développement de la Mauritanie.

 

L’accord signé le 4 avril définit le cadre juridique dans lequel les deux partenaires négocieront les divers projets d’assistance. Il régularise, en leur donnant une base juridique – sous réserve des protocoles qui les viseront nommément – des engagements antérieurement pris par Madrid et dont les Cortes eussent, faute de support formel, contesté la validité.

 

Plus significatif encore apparaît l’institutionnalisation d’une coopération qui gardait un caractère exceptionnel et temporaire. Plutôt que de réexaminer chaque année le principe de son assistance à un Etat avec lequel il entretient des relations amicales, le gouvernement espagnol inscrirait désormais automatiquement au budget un crédit correspondant à environ un milliard de francs CFA au titre de l’aide à la Mauritanie.

 

Le programme 1973 comporte une série d’opérations relativement modestes – don de céréales, au titre des secours alimentaires, et de camions destinés à leur transport, couverture du déficit du complexe de pêche IMAPEC [3], à Nouadhibou (approximativement deux cent millions) – et un projet d’hôtel touristique sur la plage de Nouakchott.

 

La mise en chantier de cet établissement, que les espagnols se déclarent prêts à entreprendre, suppose préalablement réalisés le branchement électrique, la voirie et l’adduction d’eau. Les Mauritaniens attendent du FED qu’il finance ces équipements d’infrastructure.

 

Afin d’éviter que pareil retard ne se produise dans la réalisation des opérations ultérieures, la délégation espagnole s’est enquise des projets mauritaniens demeurés sans financement. Parmi ceux-ci, l’étude du tronçon de route Akjoujt-Fdérik, sur l’axe Dakar-Nouakchott-Tindouf-Alger, aurait été retenue en priorité au titre de l’exercice 1974. L’Espagne ne saurait, en revanche, prendre à sa charge les dépenses afférentes à l’exécution des travaux (estimés à 16 millions de francs CFA/km). Elle se serait engagée à patronner la demande que Nouakchott pourrait présenter à la Banque Mondiale en vue d’obtenir le prêt nécessaire à la construction de cet ouvrage.

 

M. Lopez Bravo aurait enfin promis d’étudier la mise à la disposition d’Air-Mauritanie de pilotes. La compagnie nationale devrait en effet recevoir prochainement plusieurs appareils (DC3 et DC4) du groupe aérien de l’Armée (GARIM) précédent confiés à des navigants de l’assistance militaire française en instance de départ, et se doter d’avions à hélices plus modernes (Twin Otters, Fokkers ou Frégates).

 

Interrogé sur une éventuelle participation d’IBERIA au capital d’Air-Mauritanie, désormais société d’économie mixte (ma dépêche d’actualité n° 8 DA-DAM du 12 avril 1973), le Ministre s’est montré très réservé. Il a fait valoir, pour justifier sa réticence, le souci de rentabilité de la compagnie espagnole, les gros investissements qu’elle venait d’effectuer et les frais considérables qu’entraînait pour elle le maintien de lignes de prestige sur l’Amérique du Sud et d’une liaison avec la Guinée équatoriale.

 

M. Mouknass, rendant ainsi hommage aux talents de ses interlocuteurs espagnols, souhaiterait, en ce qui le concerne, confier à l’Ecole diplomatique de Madrid la formation de certains agents de son département. Le caractère spécifiquement national – en certaines manières – de l’enseignement dispensé ferait obstacle, semble-t-il, à l’admission dans cet établissement d’élèves ou stagiaires étrangers.

 

Nouakchott tire en matière économique des avantages certains de la visite de M. Lopez Bravo. Est-ce à dire que celui-ci s’est assuré, en contre partie d’une nouvelle aide, la « complicité » mauritanienne dans l’affaire du Rio-de-Oro ?  On l’affirme évidemment à l’Ambassade du Maroc.

 

En fait, le gouvernement mauritanien ne peut modifier sensiblement son attitude aux yeux de l’opinion africaine, devant laquelle il joue le jeu de l’anti-impérialisme le plus intransigeant. Mais, qu’il mette ou non une sourdine à sa campagne en faveur d’une « décolonisation rapide du Sahara », il s’accommodera volontiers, comme M. Mouknass l’a laissé entendre à son hôte, d’une situation dont Madrid dicterait, pendant quelques années encore, l’évolution et qui permettrait, à terme, de soustraire aux appétits marocains un territoire où nomadisent en paix les éleveurs mauritaniens, dont la propre famille du Ministre des Affaires étrangères./.  

 

 

 

 

 

 

[1] - note BBF Ould Kaïge – succédant à Pierre Anthonioz, le Haut-Commissaire pour la période d’autonomie interne, Jacques Leprette a été ambassadeur à Nouakchott du 27 Décembre 1961 au 2 Décembre 1963 ; il y a vécu la « guerre des sables » déclenchée par le Maroc, le 28 Octobre 1963, en direction de Tindouf

 

[2] - note du rédacteur en bas de page – L’Union des Travailleurs Mauritaniens a tenu son Congrès du 10 au 12 avril. Celui-ci était en fait organisé et dirigé par le Secrétaire Permanent du Parti et le Ministre du Travail

 

[3] - note du rédacteur en bas de page – Selon l’Ambassadeur d’Espagne, la construction d’une usine de glace à Nouadhibou serait envisagée. IMAPEC n’aurait plus ainsi, en matière de froid, à s’approvisionner à l’extérieur et réduirait sensiblement un déficit d’exploitation que le contribuable espagnol éponge, non sans réticence, jusqu’à présent.