Pouvoir – Opposition : Fin de la décrispation !

9 June, 2022 - 03:40

Si l’élection du président Mohamed Cheikh El Ghazwani a eu le mérite de « pacifier » et de « normaliser » les rapports entre le pouvoir, sa majorité parlementaire et l’opposition, le moins qu’on puisse dire que cette page d’amour a pris fin le 1er Juin. En décidant de mettre unilatéralement fin au processus de préparation des concertations, le pouvoir a, semble-t-il, sifflé la fin de cette partie qui aura duré près de deux ans.

Après son élection, non sans contestations, en Juin 2019, le président Ghazwani ouvrit les portes de son bureau aux acteurs politiques. Une ouverture inimaginable, pour certains de ceux-ci, sous le magistère de son prédécesseur Ould Abdel Aziz. Dix longues années durant, le tombeur de Sidi ould Cheikh Abdallahi avait ignoré, pour ne pas dire méprisé, les membres de l’opposition, traitant certains d’entre eux de « croulants » et « gabegistes ». En dépit de deux dialogues censés trouver des solutions aux problèmes du pays, les relations entre le pouvoir et l’opposition furent exécrables durant la décennie du prédécesseur d’Ould Ghazwani.

C’est fort de ce contentieux que le marabout-président décida de décrisper les rapports avec l’opposition en lui tendant une main qu’elle n’a pas hésité à prendre. Reçus au Palais, ses leaders saluèrent, à leur sortie, l’ouverture et la disponibilité du nouveau président de la République. Il s’en suivit une longue période de grâce favorisée par la pandémie COVID. Tous voulaient accorder suffisamment de temps à Ghazwani pour lui permettre de solder les dix ans de règne de son ancien alter ego, devenu, par la force des choses, son adversaire. Les partis politiques de la majorité et de l’opposition représentés au Parlement fondèrent alors un cadre de concertations qui non seulement développa un consensus autour de la lutte contre la pandémie mais favorisa également, après moult hésitations du pouvoir, l’ouverture de ce qu’on a appelé les concertations.

Mais, alors que leur lancement officiel était annoncé pour imminent par bon nombre d’acteurs, voici celles-ci stoppées net par le président du comité préparatoire, Yahya El Waghf, ministre secrétaire général de la présidence de la République. Une décision qui a surpris l’opposition embarquée dans le processus et l’opinion nationale. Lors d’une conférence de presse, Ould El Waghf justifie sa décision par l’absence de consensus au sein des acteurs politiques dont certains, comme Messaoud Boulkheïr, ont émis des conditions jugées inacceptables pour engager le dialogue.

Le président de l’APP réprouve en effet le choix d’Ould Waghf pour présider le processus de préparation et les tentatives de le convaincre se sont soldées par un échec. De son côté, le président Biram Dah Abeïd, qui disait tout le bien de Ghazwani et de son régime, a claqué la porte dudit processus pour protester contre les agissements de la police envers ses militants à Atar… Tenir un dialogue dans ces conditions paraît improductif au pouvoir : il faut, dit-il, donner du temps aux acteurs pour parvenir à des concertations inclusives. Et, de fait, dans quel cadre les discussions pourraient-elles se poursuivre, même si les acteurs de l’opposition ayant refusé d’y participer ou s’y sont résolus, presque sans illusion, accepteraient de se retrouver autour d’une même table ?Le président Ghazwani, dont l’implication était demandéepour ne pas dire exigée… – envisagerait-il de reconsidérer la désignation de son ministre secrétaire général à la tête du comité préparatoire ?

 

L’opposition condamne, l’UPR soutient

Face à la décision de stopper le processus, les partis politiques de l’opposition se sont dits surpris et étonnés de ne pas y avoir été associés. Et d’imputer l’entière responsabilité au pouvoir de ce « coup de poignard dans le dos », disent-ils : il ne peut qu’avoir béni, soutenu ou encouragé ce freinage. C’est la première fois que l’opposition use d’un tel langage. Même si elle a réitéré sa volonté de dialogue, elle risque mettre du temps à digérer le camouflet. Pourra-t-elle même se retrouver et réussir à parler de concert pour relancer le processus ? Wait and see.

De son côté, l’UPR applaudit la décision du comité préparatoire. Après avoir salué le soutien du président de la République au processus et son engagement à mettre en œuvre les recommandations qui sortiraient des concertations, elle rappelle toutes les démarches entreprises par les partis représentés à l’Assemblée nationale et les pas accomplis pour démarrer les discussions. Mais, fait-elle remarquer à l’instar du comité, il est illusoire d’organiser un dialogue qui laisserait en rade des acteurs politiques. L’objectif, rappelle l’UPR, est de tenir un débat national inclusif pour trouver des solutions consensuelles aux questions nationales qui polluent surtout le vivre ensemble.

 

Comme un cheveu sur la soupe

Alors que la classe politique est focalisée sur la suspension du processus des concertations, la justice annonce que les treize suspects du « dossier de la Décennie »vont être jugés par un tribunal habilité. Comme un cheveu sur la soupe, dirait l’autre, même si les procédures étaient déjà en cours. La notification de cette décision a été adressée à Ould Abdel Aziz, en résidence surveillée chez lui depuis son hospitalisation suite à des problèmes cardiaques, après avoir été placé dans une prison spéciale à l’École de police. Certains analystes redoutent que cet épisode ne vienne faire diversion pour enterrer définitivement le processus des concertations. Nul n’ignore que des faucons tapis dans l’ombre du système ont tenté de bloquer celui-ci. Pour eux, la Mauritanie ne connaît pas de crise nécessitant un dialogue politique. Certaines de leurs voix avaient appelé le président Ghazwani à interrompre le processus, d’autres se réjouissent de le voir bloqué… Mais les souffrances du peuple accablé par l’inflation et les injustices n’en restent pas moins vives. Il est où, le bon exemple du vivre ensemble, solidaires dans l’adversité ?

 

Dalay Lam