Élections américaines: enjeux et leçons.Par Seyid Ould Bah

20 December, 2022 - 15:37

Un mois s'est déroulé depuis les élections du mi-mandat aux États-Unis, qui ont été décisives pour jauger la santé politique de la démocratie américaine. Si la «vague rouge» (la victoire éclatante des Républicains aux élections de mi-mandat) a été évitée de justesse, la tendance à la désunion profonde de la société américaine a été confirmée par les résultats des dernières élections.
Le grand quotidien américain, le New York Times, a considéré que les élections du 8 novembre pourraient être vues comme une tectonique de plaques aboutissant à la division de l'Amérique entre deux nations diamétralement opposées dans les politiques sociales, environnementales et sanitaires.
Le consensus libéral minimal qui a maintenu longtemps la cohésion de la société américaine, paraît avoir en effet volé en éclats. L'écart est devenu vaste entre les tenants du «America first» de Trump et ceux du «Americais back» de Biden. Même s'il s'avère clair qu'un retour de l'ancien président au pouvoir est de plus en plus problématique, sa base électorale se maintient, se renforce, et même s'aguerrit. L'Amérique conservatrice, nationaliste et isolationniste qui est la base solide du «Grand Old Party» n'a pas dit son dernier mot.
Face à cette mouvance en ébullition, le parti démocrate reflète aujourd'hui l'autre visage de l'Amérique: une société multiculturelle, multiethnique et mondialisée qui contraste largement avec le visage traditionnel des États-Unis. Malgré l'approche centriste du président Biden, qui tente de suivre une politique classique basée sur les principes fondamentaux du consensus libéral américain, l'aile gauchiste radicale de son parti a la côte et devient même en mesure d'influer sur les choix stratégiques internes et externes.
Sur le plan international, la guerre en Ukraine a constitué en 2022 le défi majeur pour la diplomatie américaine, engagée dans la confrontation avec la Russie et dans la tentative de revitaliser le partenariat atlantique avec l'Europe. Cette politique d'intervention active dans la crise la plus aigüe du système international issu de l'après-guerre froide ne peut être dissociée du débat politique américain interne. Les élus républicains qui vont reconquérir dès le mois prochain leur majorité au sein de la Chambre des représentants se sont montrés réticents à l'appui massif des États-Unis à l'Ukraine, le modèle de l'internationalisme libéral qui a longtemps marqué la politique extérieure américaine n'étant plus attrayant pour eux.

Deux Amériques antinomiques

Le repli isolationniste est l'autre face du conservatisme nationaliste, qui est nourri par des tendances religieuses et communautaires en plein essor, devenues l'ossature de la base électorale du parti républicain. Entre le Mississippi conservateur qui a voté récemment les lois les plus traditionalistes, et la Californie libérale ultramoderniste, le fossé ne cesse de se creuser, symbolisant les deux Amériques antinomiques.
Ce qui est commun à ces deux fronts divergents est le recul du libéralisme américain classique fondé sur l'égalitarisme citoyen et la liberté civique. Ce credo libéral se traduit sur le plan diplomatique par l'idée de la grande «nation bienveillante», qui est à la fois le modèle du monde libre et son protecteur.
Les déboires de l'interventionnisme américain après les événements du 11 septembre 2001 ont conduit à la régression de ce dogme dans ses différentes formulations. Francis Fukuyama, dans son dernier livre, Liberalism and its Discontents, a pointé la résurgence de «l'illibéralisme» au sein du libéralisme américain actuel, sous ses deux faces: l'égalitarisme radical à gauche, l'autoritarisme nationaliste à droite. Pour Fukuyama, ces deux versions contraires de «l'illibéralisme» se rejoignent dans la défense des identités exclusives et intolérantes, au nom de la suprématie blanche ou de la déconstruction de l'universel républicain intégrateur.
Fukuyama garde l'espoir de régénération de l'esprit libéral américain et la guerre d'Ukraine lui a même paru être le catalyseur de ce renouveau. La crise du modèle libéral n'est selon lui due ni à ses défaillances structurelles, ni à sa perte de crédibilité aux yeux des masses, mais aux difficultés ressenties par les sociétés industrielles mondialisées quant à l'inscription de l'idéal libéral dans le nouveau contexte technologique et économique. Cette crise serait donc passagère et limitée, mais ses effets resteront pour longtemps vifs et intenses.

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Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.

TWITTER: @seyidbah

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