Apres le FISO, quels enseignements ?Cheikhna M’bouhTandia-Juriste/cadre du secteur bancaire et financier

9 March, 2023 - 08:28

La Mauritanie a accueilli la septième édition du festival international soninké (FISO) qui s’est tenue du 22 au 26 février à Nouakchott.
Cet événement de grande envergure a vu la participation de délégations officielles provenant de pas moins de 10 pays : Gambie, Mali, Niger, Guinée Conakry, Guinée Bissau, Egypte, France, USA ; en plus des délégations provenant de villes et villages de l’intérieur de la Mauritanie.
Toutes ces délégations étaient animées de la volonté commune d’une exaltation culturelle, identitaire se rattachant à des valeurs partagées, à un art de vie. Affirmer et afficher la fierté d’être soi, de ses origines et tout ce qui caractérise la culture sooninké : ça a été le leitmotiv de ce festival !
En guise de rappel, le festival international soninké est une initiative de la diaspora soninké de différents pays essentiellement établie en France dont l’objectif primaire est d’affirmer et promouvoir l’identité culturelle sooninké dans un environnement menaçant la transmission des valeurs à la nouvelle génération.
Le FISO est le type de sursaut culturel dont toutes nos cultures ont besoin face aux innombrables défis que leur pose la mondialisation. L’enjeu majeur c’est effectivement de promouvoir nos cultures, les préserver face à l’assimilation j’allais dire l’effacement.
Durant près d’une semaine donc, Nouakchott a vibré au rythme de la culture, au rythme des tambours, des chants, des danses qui expriment les spécificités de cette composante de la culture de Mauritanie qu’est le « sooninkaxu ».
Mais le FISO n’a pas été que cela mais bien encore plus : ce sont des ateliers, des conférences, des stands à vocation commerciale mais également des échanges intra et interculturels remarquables et utiles.
Quels sont donc les enseignements que l’on peut dégager après un événement aussi retentissant ?
Les enseignements sont bien entendu nombreux et peuvent être situés à plusieurs niveaux mais fondamentalement on peut les appréhender à travers trois aspects : la mobilisation, les activités inscrites au programme et du point de vue de l’impact économique.
Nous formulerons aussi des regrets par rapport à certaines attentes non satisfaites durant ce FISO.

- La Mobilisation au FISO

Le FISO a été énorme ! On serait tenté d’affirmer « du jamais vu ! » tant l’engouement, l’intérêt et les retombées culturels sont énormissimes. Car en effet l’un des défis majeurs pour un événement pareil se situe au niveau de l’intérêt que les populations sont susceptibles d’y accorder en prenant part massivement aux différentes activités. Les populations mais surtout la population jeune de tous les horizons et milieux.
Sur ce plan, le FISO n’a pas déçu, ils étaient des milliers tous les jours du festival entre les visites de stands, les conférences sur des thèmes clés mais aussi les soirées culturelles qui déploient tout le potentiel de nos cultures.
Le fondement de cette satisfaction quant à la mobilisation s’aligne sur l’objectif de sensibilisation, de conscientisation sur le combat culturel que pose le monde d’aujourd’hui à notre génération et à celle qui va nous suivre : Exister, préserver son identité et refuser l’assimilation, l’effacement.
Les tentations au renoncement à soi sont nombreuses ; les tentatives d’effacement le sont également et la clé de résistance face à tout cela c’est bien évidemment la jeunesse. Et de ce point de vue, on peut être satisfait.

- Les activités inscrites au programme du FISO

Le FISO n’a été que du folklore mais également un ensemble d’activités à connotation scientifique autour du thème général qui avait été retenu pour cette édition : « parler et écrire la langue comme enjeux de survie culturelle ». Ce sont donc des travaux d’experts animés sur la question notamment de l’harmonisation de l’écrire du sooninké.
En effet, pour préserver une langue, une écriture commune ou tout du moins consensualisée est d’une importance capitale et c’est tout l’enjeu de tels travaux qui regroupent des représentants de différents pays où le sooninké est parlé.
Des conférences ont également abordé des thèmes clés sur des faits historiques se rattachant à l’empire du Ghana, les migrations en milieu soninké, l’agrobusiness ou encore des thématiques se rattachant à la condition de la femme sooninké face aux changements socioéconomiques.
Outre d’un thème crucial qui concerne le système d’organisation sociale et les types de cohabitations contemporaines avec un panel sur la restitution des missions de médiation dans le dialogue intracommunautaire. Ça a été cela aussi le FISO.

- Impact économique du FISO

A ce niveau on peut juste prendre comme élément de mesure l’affluence autour des stands dressés au niveau du stade olympique de Nouakchott et des foires qui ont permis à des femmes et des hommes d’écouler différents produits.
Et on peut relever que la majorité de ces stands était constituée par des femmes exerçant différents métiers. Des relations d’affaires se sont également nouées entre acteurs économiques locaux et ressortissants d’autres pays. Les stands étaient actifs de 09H du matin jusqu’à 23H pour certains.
Le FISO est aussi l’appel aux services d’hébergement ; de restauration et des besoins en logistiques de différentes natures susceptibles de profiter à tous les acteurs économiques du pays. De la petite AGR à des établissements plus structurés offrant différents services.
Absolument convaincu que si l’on établissait un chiffre d’affaires journalier pour chaque femme, cela représenterait sans doute le double voire le triple de ce qu’elle gagnerait dans son lieu habituel de vente.
Les dividendes de ce festival qui vient de se dérouler chez nous sont donc perceptibles à plusieurs niveaux que ce soit du point de vue de la conscientisation à la sauvegarde de la culture, à l’identité et toute la richesse que ça peut véhiculer auprès des jeunes. Mais aussi en tout ce qui concerne le traitement de questions déterminantes à la sauvegarde de cette même culture d’un point de vue scientifique notamment.
Plusieurs initiatives en sont ressorties avec entre autres : le lancement d’un prix d’excellence dans les différents domaines de la sauvegarde culturelle ou la création de différents réseaux professionnels tels que celui du journalisme soninképhone. Mais tout n’a pas été parfait durant ce FISO et c’est l’occasion de formuler à ce niveau les quelques regrets qui en découlent.

Regrets à l’issue du FISO

Le FISO a été une réussite exceptionnelle pour toutes les raisons évoquées ci-dessus mais on ne peut que souligner certains regrets en espérant que les prochaines éditions dont celle de 2025 attribuée à la Côte-d’Ivoire, seraient plus qualitatives.
On peut regretter le fait que certaines problématiques du vivre ensemble en milieu soninké dont notamment la question centrale des inégalités sociales n’ait pas été totalement circonscrite.
Sur cette question j’attendais personnellement que les « autorités morales » des communautés sooninkés du Monde se prononcent ouvertement et sans ambages sur certains complexes qui persistent encore dans certains endroits du milieu soninké. Complexes qui sont souvent à l’origine de certaines pratiques ou comportements qui ne sont plus admissibles dans le monde d’aujourd’hui.
C’était en effet une occasion exceptionnelle d’interpeller, de sensibiliser, d’alerter et de dénoncer fermement des dérives et actes répréhensibles qui sont indignes entre personnes partageant les mêmes valeurs de vie.
Je pense que c’est le maximum que l’on peut attendre de structures à vocation cultuelle car nous ne sommes plus à l’époque de l’empire où le Roi pouvait décréter sa volonté sur l’ensemble du collectif.
Les sooninko du Monde vivent désormais dans des « pays modernes » avec des lois qui régissent les comportements des individus en société et ce sont ces mêmes lois qui doivent traiter « coercitivement » tout comportement déviant d’où qu’il puisse surgir pour une société des équilibres loin des agissements extrêmes.
L’autre regret que l’on peut formuler c’est l’imprégnation trop forte des politiciens qui provoquent souvent des attitudes partisanes à l’origine de controverses et autres polémiques stériles qui entachent la vocation culturelle de cet événement.
On peut regretter le manque de transparence et de réactivité des instances de décision sur les différents aspects de l’organisation et l’implication très faible des jeunes à des niveaux de responsabilité, les réduisant à des tâches subalternes sans réel pouvoir de décision, ce qui handicape le retard, l’efficacité de certaines actions.
Le regret, c’est aussi l’accaparement de certains aspects d’organisation par des petits groupes d’amis et ou de familles nuisant considérablement à l’implication des ressources humaines de qualité provenant de corps de métiers utiles et variés. Mais en tant que sooninké de Mauritanie, je ne peux exprimer que ma fierté d’avoir pu vivre ce moment incroyable empreint d’amour, de partage, de solidarité.
C’était beau tous ces témoignages de citoyens mauritaniens d’autres communautés culturelles du pays à l’endroit de celle soninké ; c’était beau cette ouverture à la diversité culturelle ; et des autorités politiques et des citoyens lambdas. Ouverture qui s’est exprimée par l’habillement, l’expression de la langue et autres manifestations ; cela exprimait quelque chose qui relève bien de l’esprit de fraternité.
Mon intime conviction c’est que la culture sooninké à l’instar des autres cultures du pays est indéniablement confrontée au défi majeur d’une profonde refonte dans quelques-uns de ses fondements de base. Le verre est quand-même à moitié plein et non moitié vide….
Enfin vu l’engouement qu’a suscité le FISO et ses indéniables dividendes, pourquoi la Mauritanie n’aurait-elle pas aussi son «carnaval de Rio» ; notre véritable « festival national des cultures » ? Avis aux autorités en charge de la Culture et de la promotion du tourisme…

Xanaawari.