Affaire de la décennie : Quand un procès révèle l’inimaginable (seconde partie)

7 June, 2023 - 08:45

Dix-huitième jour d’un procès qui devient de plus en plus curieux. Je dirais même captivant par ses révélations inattendues et plus surprenantes les unes que les autres. Ould Abdel Aziz est un voleur. C’est ce que certains politiques – des voleurs eux aussi – ont cherché à démontrer. Ce qui donnait au départ l’impression d’une réelle volonté à faire toute la lumière sur les agissements incompatibles de l’ex-chef de l’Etat avec ses fonctions, pour le détruire politiquement, semble accoucher d’un déballage dont personne parmi les organisateurs et, peut-être même au-delà de ceux-ci, les « « commanditaires » n’avait apparemment calculé ni les risques ni les conséquences.

Une véritable bombe à retardement. Petit à petit, il apparaît maintenant clairement aux yeux des Mauritaniens que tout le vacarme qui précéda l’inculpation de l’empereur des fortunes colossales et sa  jetée manu militari  derrière les grilles n’étaient que les éléments légaux d’un puzzle visant à détruire un homme devenu encombrant dans le collimateur d’hommes politiques, notamment des sénateurs très mécontents, mais également des officiers supérieurs agacés par l’arrogance d’un des leurs qui ne  marquait plus le pas et « désertait » la caserne.

Toutes les affaires pour lesquelles Ould Abdel Aziz fut cité à comparaître l’incriminent. C’est une évidence. Une évidence étayée par des preuves réunies par des enquêteurs de la police dite d’« Ély ould Mohamed Vall ».  Une police que l’ex-Président aujourd’hui inculpé exploitait à son profit pour toutes sortes de missions extrajudiciaires mais qu’il négligeait complètement, en la reléguant au second plan des autres corps constitués. Elle n’a pas raté son coup : au regard des charges retenues contre lui ainsi que du volume des preuves et des pièces à convictions rassemblés, Mohamed ould Abdel Aziz ne peut apporter aucun démenti aux accusations portées à son encontre. Il le sait parfaitement bien, ses avocats aussi. Comme dit le proverbe : « tous les chemins mènent à Rome » ;  toutes les pièces de ce procès mènent à MOAA, directement ou par personne interposée.

 

Des témoins intouchables qui chargent l’accusé… en s’accusant eux-mêmes

Beaucoup de témoins ont déjà défilé. Trois se dégagent du lot. Hacena ould Ély, tout d’abord, qui faisait office de « majordome » auprès d’Ould Abdel Aziz. Un « bon à tout faire » en toutes circonstances. Quasiment un pantin fabriqué de toutes pièces par son patron et nanti de fonctions taillées à la mesure des rôles spécifiques qu’il devait jouer. Appelé à la barre, Hacena y fait diversion en anesthésiant le public avec l’histoire des enfants d’Ould M’Sabou, un témoignage sans apport de preuves et sans donc aucun intérêt ni pour l’un ni pour l’autre des pôles de défense. Une diversion peut-être calculée pour faire somnoler les avocats de la partie civile qui ne s’est guère montrée curieuse d’apprendre où était passé le million de dollars versé au capital de la Société Mauritanienne pour le Développement et la Coopération (SMDC) dont les actionnaires américains étaient des escrocs introduits en Mauritanie par une diplomatie de complaisance. Président du conseil d’administration de cette SMDC taillée sur mesure de l’arnaque en règle mais décrétée d’utilité publique, Hacena ould Ély est pourtant censé savoir quand et au profit de qui cette somme colossale fut retirée de son compte de domiciliation.

Se dégage aussi du lot l'homme d'affaires Selmane ould Brahim. Selmane ould Brahim – c’est clair et même très clair : il l’a avoué lui-même… – n’était qu’un prête-nom pour des vols en bande organisée. Le tribunal l’a appelé à la barre le 6 Avril 2023 pour répéter ce que celui-ci voulait qu’il répète devant l’accusé. Rodé dans les affaires de corruption passive ou active, complicité dans l’usage du faux, Selmane ould Brahim servit un temps d’écran de fumée pour l’ex-Président dans des transactions à effet boomerang. Ses témoignages à valeur d’or pour la partie-civile ont été d’autant moins démontables par les avocats de la défense qu’il n’avait aucune obligation de répondre aux questions posées par ceux-ci.

 

Oum Tounsy aéroport passoire ; Casa, Istanbul et Dubaï, des couloirs sécurisés ?

Et enfin, le plus surprenant de tous, Ahmed Samiou, mauritanien né en 1983 et versé dans la magouille de toutes natures et formes depuis 2014. On peut résumer son témoignage par l’affirmation qu’ il suçait Ould M’Sabou et Asma mint Abdel Aziz avant de vendre son âme au diable rodant dans les couloirs de la police des crimes économiques et financiers. Ses déclarations ont été très riches en informations et révélations surprenantes. Sans froid aux yeux ni vergogne, il a reconnu, devant une justice censée juger des faits, crimes et délits liés au trafic de devises, vols en bande organisée et crimes transfrontaliers, avoir joué le rôle de « mule » grassement payée pour ses prestations de services. En passant entre les mailles des filets des contrôleurs de l’aéroport international de Nouakchott sous escorte du BASEP, s’il vous plaît ! Il aurait ainsi fait sortir du territoire national, a-t-il avoué, deux millions de dollars en petites coupures et vingt-cinq kilogrammes d’or estimés à 1 485 300 dollars américains, soit près de cinq cent cinq millions MRO. Un récit présenté comme un exploit personnel d’avoir réussi à saigner le pays ; devant des juges censés traquer des « escobars » de son espèce, s’il vous plaît ! Ahmed Samiou aura été un témoin-clé capital pour la partie civile et peut-être aussi pour le ministère public. En s’accusant devant un tribunal d’exception d’avoir commis de graves crimes transfrontaliers, s’il vous plaît !

Ce témoin qui ne pouvait pas même s’expliquer sur des curiosités élémentaires, s’est abstenu de répondre aux cinquante-neuf questions que lui ont posées les avocats des deux pôles. Cet homme que le transport de vingt-cinq kilos d’or sur les épaules n’avait guère fatigué entre Nouakchott, Casa, Istanbul et Dubaï a paru à ce point épuisé par la narration des faits invraisemblables qui l’accusent qu’il ne pouvait pas répondre aux questions des avocats. Seulement voilà, on aimerait tout de même connaître, à l’instar de la jolie Sandrella qui lui a posée celle-ci, comment la mule Ahmed Samiou a-t-elle pu contourner les services sécuritaires et douaniers des aéroports des pays traversés et de celui de destination finale.

D’autres BASEP en ces pays jalonnaient-ils le parcours du trafiquant de métaux précieux et devises fortes pour le « débarquer » et «rembarquer » ; ou était-il invisible et indétectable par les portillons contrôlant les zones d’embarquement de ces aéroports ?  La question ne devait pas non seulement susciter la curiosité des avocats de la défense d’Ould Abdel Aziz, mais aussi celle du président du tribunal et du procureur de la République… Ne serait-ce qu’afin d’élucider une éventuelle chaîne de complicités mise en place par une mafia bien organisée et bien structurée le long du parcours de ce trafiquant de grande envergure. Si Ahmed Samiou avait le « privilège » de se faire escorter jusqu’à la passerelle de l’avion par une force spéciale investie d’une « mission spéciale », il pouvait bien également profiter de ce statut pour transporter, à son propre profit ou à celui de personnes peu scrupuleuses, des produits prohibés, illicites, voire éminemment dangereux. La question mérite tout de même d’être posée.

 

Faire « craquer » Ould Abdel Aziz, un objectif à atteindre ?

Mais bref : au 19ème jour du procès et au regard de ce qui s’y est passé, on a comme l’impression que les témoins appelés à la barre et la nature même de leurs dépositions ont été soigneusement triés par une volonté de faire « craquer » Ould Abdel Aziz pour lui faire reconnaitre son entière et solitaire responsabilité dans les affaires pour lesquelles il est poursuivi. Mais même si l’ex-Président se décidait, par exemple, à reconnaître tous les faits qui lui sont reprochés, rien que pour disculper ses anciens collaborateurs coaccusés et se retrouver finalement seul face aux juges, cela autorise-t-il le tribunal à laisser des témoins à charge empêtrés dans des délits et infractions graves – et qui les reconnaissent publiquement – s’en tirer à si bon compte et facilement, au seul titre d’avoir coopéré avec cette justice à « deux poids deux mesures » ? La question est aussi celle-là.

 

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant