Tawassoul étale sa vision de l’unité nationale : Vaste programme

29 January, 2015 - 00:09

Le Rassemblement National pour la Reforme et le Développement (Tawassoul) a présenté, mercredi 21 Janvier, à l’ancienne Maison des jeunes, son document de vision de l’unité nationale. Dans ce document d’onze pages que nous publierons intégralement sur deux éditions (voir la première partie ci-après), le parti note, tout d’abord, que « le débat sur l’unité nationale est suscité, en permanence, en Mauritanie, sous différents angles. Cela s’explique par un concours d’événements qui ont marqué l’histoire du pays et qui sont liés à l’aspect socio-ethnique du pays, au communautarisme ou à la question de l’esclavage (pratiques et séquelles). […] Nous présentons notre vision de l’unité nationale et  nous sommes ouverts à toutes les propositions critiques dans ce sens »,  affirme le bureau politique, signataire du document. Son secrétaire général, Hamdy ould Brahim, explique le contexte dans lequel ce document a été réalisé, inspiré des ateliers de travail des cadres du parti et finalisé par les débats du bureau politique.

« Il est normal que le parti Tawassoul, doté d’une vision fédératrice et qui se réfère à l’islam, tout en se souciant de l’intérêt de la nation depuis sa fondation, accorde une grande importance à l’unité nationale, que ce soit dans sa documentation, (vision intellectuelle, déclarations politiques, statuts, etc.) ou encore dans son suivi de la question (prises de position, communiqués, relations, etc.) ». Mais ces efforts n’ont pas suffi pour clore le débat. « On s’interroge, de nouveau et à chaque occasion, sur les atouts et menaces de la cohabitation et sur la problématique de la cohésion sociale. Tawassoul a vu alors la nécessité d’élaborer une vision globale et de proposer une approche claire aux Mauritaniens pour ainsi contribuer, sérieusement, à la préservation de leur unité et au recouvrement de leurs droits, ainsi qu’à l’instauration d’une politique de rupture avec les thèses et pratiques qui perpétuent l’injustice ou favorisent la désunion ».

C’est dans cette optique que le parti de Jemil Mansour propose la « discrimination positive » et le « mariage mixte », parmi vingt-deux points, comme solutions au problème de la cohabitation interethnique, conformément aux principes de l’islam. Pour ce qui est de la discrimination positive, il propose de l’instaurer dans les secteurs de l’enseignement et sur le plan économique, en faveur des groupes vulnérables. Concernant le mariage mixte, le parti demande qu’il soit encouragé, pour rapprocher davantage les différents groupes linguistiques du pays : Maures, Halpoulaars, Soninkés et Wolofs. « S’agissant du problème des autres langues nationales : le Pulaar, le Soninké et le Wolof – nous ne devons pas nous retarder dans les généralités. Il faut mener une nouvelle politique de leur revalorisation en y mettant les moyens nécessaires et en leur accordant leur place dans l’enseignement ».

Tawassoul évoque un nouveau découpage administratif favorable à l’ensemble des communautés et à toutes les régions du pays. Il propose également un règlement « définitif » du passif humanitaire et de la question de l’esclavage, demandant même qu’on mette fin à la marginalisation et au mépris dont sont victimes certaines couches sociales, notamment les Harratines et la caste des forgerons. « Il est alors nécessaire d’admettre, avant tout, que certaines communautés du pays, notamment les victimes de l’esclavage et les Harratines, ont subi de l’injustice et de la marginalisation. Des groupes, au sein des différentes communautés, comme les « forgerons » et autres, ont aussi souffert de cette marginalisation et de ce mépris ».

Puis, reconnaissant l’injustice qui a frappé la communauté négro-mauritanienne, surtout au cours des années 1989, 90 et 91 :« il faut commencer par la réparation morale, en admettant les erreurs puis demander le pardon, c’est l’étape nécessaire vers les autres formes de réparation de toutes ces injustices. […] Une solution définitive devra être apportée, au problème du passif humanitaire basée sur les devoirs de vérité, de mémoire et de justice ainsi que sur le principe de la réconciliation et du pardon », car « admettre cette injustice et demander le pardon ne veut pas dire stigmatiser une communauté ou un groupe donné ; les erreurs incombent à ceux qui en sont responsables, qu’ils soient des individus ou appartiennent à un régime. En revanche, le pardon doit être l’affaire de tous. Disons,-pour être honnête, que tous ont appelé à la liberté et à l’égalité. Disons aussi qu’on ne peut pas combattre l’injustice en en commettant une autre. Soyons donc animés par l’esprit de justice et non par le désir de vengeance ».

Selon Tawassoul, « il est impératif de mener une politique visant à permettre, à toutes les communautés, de se sentir êtres chez elles et d’occuper la place qu’elles méritent. Cela passera par le respect la diversité culturelle, la préservation des droits, l’instauration de la justice, une garantie d’égalité et, parfois même, par l’application d’une discrimination positive. Il ne faut, cependant pas, que ce dernier point soit l’objet d’une disposition de loi qui pourrait déboucher sur d’autres formes de ségrégation ».

 

Réparer les injustices du passé

Tawassoul prône, dans les axes prioritaires de sa vision, le lancement d’« un projet de réconciliation nationale qui prévoit un dialogue inclusif et objectif, pour corriger les injustices du passé et ouvrir de nouvelles perspectives vers la reconstruction du pays et un nouveau contrat national. Il va falloir« réhabiliter les déportés dans leurs droits foncier et civique et leur accorder une indemnisation juste […] instaurer une loi qui incrimine le racisme et sanctionne ses auteurs comme celle qui incrimine les pratiques de l’esclavage ». Le parti souhaite l’élaboration d’une « réforme éducative, basée sur la culture islamique qui fédère les Mauritaniens, sur la langue officielle et les différentes langues nationales, tout en s’ouvrant aux autres langues internationales, consciente des exigences du progrès et du développement ».

Le document propose encore « l’élargissement de la décentralisation et d’accorder plus de prérogatives aux conseils communaux, pour qu’ils servent davantage les zones, suivant les particularités sociales et les exigences du développement. Réviser, aussi, le découpage administratif sur de nouvelles bases justes et équilibrées ». Il est nécessaire de trouver « un équilibre, entre les différentes parties du territoire, afin que chacune puisse bénéficier des ressources du pays. Il faut aussi prendre en compte les particularités économiques de chaque wilaya, dans une stratégie nationale globale ».Tawassoul plaide, non seulement, pour un règlement juste et équitable du problème foncier mais, aussi, une réforme du  système judiciaire, de sorte « que toutes les composantes sociales y soient intégrées, pour instaurer la justice et garantir son indépendance ».

Synthèse Thiam

 

Unité nationale : vision du parti Tawassoul

Nous avons reçu un texte d’une dizaine de pages, signé du bureau politique de Tawassoul. Daté du 17 Décembre 2014, il tranche, singulièrement, par sa longueur et la mesure de ses propos, avec le commentaire aussi bref que tranchant de son président Jamil ould Mansour, à l’annonce, une semaine plus tard, du verdict de la cour de Nouadhibou, dans l’affaire M’kheïtir. Double langage ? Laissant à chacun le soin de se faire sa propre opinion, nous avons choisi de publier intégralement, en deux parties, le texte de Tawassoul. En voici la première, la seconde suivra, incha Allahou, la semaine prochaine.

 « Bismillahi Rahmani Rahim. Allah, Le Tout Puissant, a dit : «Les croyants ne sont que des frères. Établissez la concorde entre vos frères, et craignez Allah, afin qu'on vous fasse miséricorde. » (Verset 10 de la Sourate 49, « Al-hujurat –(les appartements).» Et le Prophète, Paix et salut sur lui, a dit : « Il est interdit au musulman de tuer un autre musulman, de voler ses biens ou de l’humilier. »

Le débat sur l’unité nationale est suscité en permanence, en Mauritanie, sous différents angles. Cela s’explique par un concours d’événements qui ont marqué l’histoire du pays et qui sont liés à l’aspect socio-ethnique du pays, au communautarisme ou à la question de l’esclavage (pratiques et séquelles). Il est normal que le parti Tawassoul, qui est doté d’une vision fédératrice et qui se réfère à l’islam, tout en se souciant de l’intérêt de la Nation, depuis sa fondation, accorde une grande importance à l’unité nationale, que ce soit dans sa documentation, (vision intellectuelle, déclarations politiques, statuts, etc.) ou encore dans son suivi de la question (prise de position, communiqués, relations etc.)

Mais ces efforts n’ont pas suffi pour clore le débat. L’on s’interroge, de nouveau et à chaque occasion, sur les atouts et menaces de la cohabitation et sur la problématique de la cohésion sociale. Tawassoul a vu alors la nécessité d’élaborer une vision globale et de proposer une approche claire aux Mauritaniens pour ainsi contribuer, sérieusement, à la préservation de leur unité et le recouvrement de leurs droits ainsi que l’instauration d’une politique de rupture avec les thèses et pratiques qui perpétuent l’injustice ou favorisent la désunion.

Introduction

Nous n’avons pas besoin de replonger dans l’histoire ou de s’arrêter sur chaque événement pour constater que les spécialistes et ceux qui sont intéressés par la question de l’unité nationale sont unanimes sur le fait que différentes communautés, d’origine africaine, sanhadja (berbère) ou arabe, ont cohabité sur ce territoire qui est «La République Islamique de Mauritanie.» Mais leurs relations, parfois tendues et selon des contextes historiques particuliers, n’ont jamais fait sombrer le pays dans des conflits raciaux, comme ce fut le cas dans d’autres pays, pourtant semblables à la Mauritanie, sur le plan socioculturel.

Marqué par son caractère fédérateur et par son message universel, l’islam a toujours constitué le trait d’union et le principal facteur de cohésion entre nos différentes communautés. En revanche, les régimes sectaires et raciaux ont favorisé l’existence de clivages ethniques et ont généré des conflits sociaux lesquels ont été amplifiés par la colonisation. Celles-ci ont connu leur meilleur moment de cohabitation durant le règne islamique, à l’époque notamment des Almoravides, qui ont joué un grand rôle dans la propagation et l’ancrage de l’islam, et durant la période où s’est développée l’expérience politico-réformiste, au sein des grandes composantes ethniques, dans un climat d’unité et de fraternité, comme relaté dans les écrits de l’époque.

La colonisation a mené une politique de discorde et d’invasion culturelle. La conséquence a été négative sur les relations socioculturelles qu’entretiennent les communautés qui vont constituer, plus tard, la Mauritanie indépendante. L’État, lors de son indépendance, le 28 novembre 1960, n’était pas doté d’une vision claire lui permettait de bâtir une nation unie sur le principe de citoyenneté. En adoptant la forme islamique, la République naissante prouva que seul l’islam peut unir les Mauritaniens. Cependant, l’État a suivi une politique visant à faire taire les revendications socioculturelles ou à proposer des solutions incomplètes. Il a été aussi incapable d’adopter une position d’arbitre, dans les conflits ethnico-culturels, notamment lors de la crise de 1966 (manifestations, affrontements et arrestations).

Après le coup d’État de 1978, la situation s’est détériorée, avec le renforcement de la thèse nationaliste et ethnique. Elle s’est encore aggravée à l’arrivée du président Maouyaa ould Sid ‘Ahmed Taya (1984-2005) dont le régime a sévi sévèrement, surtout après la publication du « Manifeste du négro-mauritanien opprimé (1986) ». Cela a été suivi d’arrestations et de la tentative de coup d’État de 1987. La crise de 1989 fut une étape douloureuse durant laquelle des Mauritaniens, comme des Sénégalais, ont été victimes d’exécution sommaire. La situation a pris une tournure plus dangereuse, entre la période 1990-1991, avec le ciblage systématique, par l’État, de la communauté négro-mauritanienne dont plusieurs membres seront soit tués soit exilés.

L’unité nationale en a été profondément secouée. Les politiques ont alors formulé des revendications, dont le flambeau a été porté par les défenseurs des droits humains, pour exiger le règlement du problème dit du « passif humanitaire » et demander à ce qu’on mette un terme à ces injustices. Il y a eu également les tentatives successives d’apaiser la situation aboutissant à l’initiative du président Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallah (2007-2008) de rapatrier les déportés mauritaniens au Sénégal et de présenter les excuses de l’État mauritanien. D’autres dispositions furent prises, par son successeur, pour rétablir de bons rapports entre les Mauritaniens, comme quelques indemnisations et la prière de Kaédi. Malgré cela, la crise persiste et la méfiance règne encore, entre les communautés. La question ethnique, les relations intercommunautaires et le contrat de citoyenneté demeurent des problématiques qui doivent être discutées, à partir d’une vision éclairée.

Quant à la problématique de l’esclavage et ses questions relatives, dont la place des Harratines (esclaves affranchis) au sein de l’État et de la société, elle n’a pas été traitée très tôt, comme cela a été cas de la cohabitation. Le sujet de l’esclavage a été certes abordé dans les archives coloniales et en début d’indépendance mais de façon superficielle. Il a été ensuite posé comme problématique par le mouvement politique de gauche, apparu à la fin des années 60 et jusqu’au début des années 70 où l’on assista aux premières tentatives d’isolement de la question. Ainsi naquit le mouvement El Hor et la question a commencé à intéresser toutes les parties prenantes, y compris l’État et le courant islamique. Ce dernier l’a abordé par l’enseignement et le rappel du respect des préceptes de l’islam.

Les différents régimes civils ou militaires qui se sont succédé ont nié l’existence du phénomène de l’esclavage. Ils ont aussi mené des campagnes contre les organisations qui posaient la problématique, en les accusant de collaborer avec l’extérieur dans l’intention de nuire au pays. Paradoxalement, tous ces régimes ont instauré des lois explicitement ou implicitement relatives à l’esclavage. Il y a eu l’Ordonnance d’abolition du 9 novembre 1981, sous le régime de Mohamed Khouna ould Haïdallah (1980-1984), la loi de 2003 contre le commerce d’êtres humains, sous l’ère Maaouya, puis, sous la présidence démocratique de Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallah, la Loi 48-2007 qui incrimine l’esclavage et prévoit une peine allant de 5 à 10 ans de prison à l’encontre de quiconque s’y adonnerait ; et, enfin, les amendements constitutionnels recommandés à l’issue du dialogue qui se déroula du 17 septembre au 19 octobre 2011. Le sujet intéresse davantage les courants et partis politiques ainsi que diverses organisations. Il existe, finalement, une sorte d’unanimité, autour de l’esclavage, malgré les différences de point de vue : certains dénoncent son existence, le combattent et appellent à l’éradication de ses séquelles, tandis que d’autres pensent qu’il n’en reste que des séquelles.

 

Diagnostic

Nous nous basons sur l’introduction générale pour définir le sujet et diagnostiquer le problème. L’unité nationale inclut tous les thèmes relatifs à la cohésion sociale, à l’intégrité territoriale ou à l’unité du peuple, et par conséquent tous les sujets en rapport avec les problèmes ethniques, socioculturels ou ceux liés aux droits, au sectarisme, au régionalisme, etc.

La question ethnique pose la problématique de la cohabitation interethnique, la question des langues et le souhait de tous les citoyens de vivre dans un État garantissant leur diversité et leur bonne cohabitation. Elle aborde les violations des droits de l’homme par le passé (victimes et exécutions sommaires), en prenant l’exemple des déportés qui souffrent de problèmes de réintégration, de manque des services indispensables et de l’irrespect des droits fonciers et d’état civil.

La question sociale et des droits pose la problématique de l’esclavage et les moyens de son éradication complète, ainsi que de ses séquelles, en vue d’instaurer un État basé sur la citoyenneté, l’égalité et la discrimination positive en faveur des marginalisés.

La question du communautarisme pose la problématique de la catégorisation sociale au sein des composantes nationales, ce qui a abouti à la marginalisation morale et matérielle de certains groupes. Elle exige de promouvoir l’égalité et demande d’initier une politique de rupture avec le mépris et l’exclusion. Les citoyens doivent tous se sentir protégés par l’État et par la société.

La question liée au régionalisme concerne le besoin d’équilibre en matière d’importance, de valorisation et de développement entre les différentes parties du territoire, afin que toutes les régions du pays soient au même pied d’égalité, dans les domaines de l’enseignement, de la santé, des services publics ou de fondation de pôles de développement, tout en prenant compte les spécificités économiques de chaque région, afin de garantir un développement homogène du pays.

La question de l’unité nationale, partant de ces quatre dimensions précitées, divise les Mauritaniens : les uns ignorent cette réalité et nient les violations des droits, le déséquilibre dans les rapports de force, dans l’influence, le pouvoir ou la richesse. Les autres exagèrent, dans leur manière d’aborder la question, refusant de reconnaître les progrès sociaux réalisés dans le domaine qu’on pourrait améliorer et élargir pour en tirer profit. (à suivre)

 

Le bureau politique de Tawassoul

Le 17 Décembre 2014/25 Safar 1436