La pêche désormais dans l’ITIE : Il y a loin de la coupe…

5 February, 2015 - 01:41

Les 19 et 20 Janvier derniers, le Centre International des Conférences de Nouakchott (CICN-Palais des Congrès), a abrité un forum de haut niveau sur « La transparence et le développement durable en Afrique ». Appuyée par la Banque Mondiale (BM), la manifestation était organisée par le gouvernement mauritanien et  l’Union Africaine (UA) qui vivait les dernières semaines de  la   présidence en exercice  de  Mohamed ould Abdel Aziz.

Elle a réuni environ deux cents participants : représentants des gouvernements, des agences anti-corruption, de la société civile, experts et personnes-ressources, « pour faire le point sur les progrès réalisés, au niveau du continent, dans le domaine de la transparence et de la lutte contre la corruption » ; identifier les insuffisances et dégager les pistes des actions futures de nature à améliorer la gouvernance et la gestion des affaires publiques.

Parmi les communications présentées, citons « La bonne gouvernance et le cadre juridique de la lutte contre la corruption en Afrique », « La transparence et la relation triangulaire entre le gouvernement, la société civile et le secteur privé » (avec les expériences du Liberia, de la Sierra Leone et du Rwanda), « Le rôle des parlementaires dans la promotion de la bonne gouvernance »….

 

La pêche versée à l’ITIE et appel à la cessation des FFI

Au cours de ces assises, le gouvernement mauritanien a annoncé le basculement du secteur de la pêche dans l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE), une option « qui marque une forte volonté des autorités de Nouakchott et de les partenaires techniques et financiers d’aller de l’avant sur la voie de la transparence et de la bonne gouvernance des ressources naturelles ».

Mais le temps fort de la conférence fut, incontestablement l’appel lancé, au moment de la clôture, par le président Mohamed ould Abdel Aziz, à « la fin des Flux Financiers Illicites (FFI) en Afrique », en sa qualité de président en exercice de l’UA s’adressant à ses pairs. Ces propos  du chef de l’Etat mauritanien,  appelés « Déclaration de Nouakchott », plaide vivement « en faveur d’une meilleure gestion des ressources naturelles de l’Afrique et de la fin des Flux Financiers Illicites (FFI), en vue de transformer la vie de millions d’africains, par la création d’emplois, une croissance économique équitable et l’allocation de revenus pour la santé, l’éducation, l’énergie et les infrastructures ».

Une opportunité pour un continent riche en ressources naturelles : pétrole, gaz, minéraux, pêche, forêts, biodiversité, etc. Car, dépit de cette manne, le continent perd, annuellement, 5% de son Produit Intérieur Brut (PIB). Un manque à gagner imputable aux  FFI. Le  panel de haut niveau, dirigé par l’ancien président sud-africain, Thabo M’Beki, évalue ces pertes annuelles à plus de  50 milliards de dollars. Un pactole supérieur au montant de  l’Aide Publique au Développement (APD) consacrée, chaque année, au continent africain. La  principale source de cette hémorragie  est représentée par les industries extractives, selon M’Beki.

Par ailleurs, la pêche illégale fait perdre annuellement aux pays d’Afrique de l’Ouest 170 milliards de F CFA selon la commission sous-régionale des pêches, organisation regroupant plusieurs Etats de la sous-région.

 

Une arête dans la transparence du poisson

Mais on s’interroge, au-delà du constat des bonnes résolutions affichées, sur le frappant décalage entre la pratique quotidienne de terrain et les principes de bonne gouvernance et de transparence. Concomitamment aux assises de Nouakchott, une affaire à  forte odeur de règlement de comptes  et de manipulation du principe de la transparence à géométrie variable, défrayait ainsi la chronique, dans les salons cossus des quartiers résidentiels de la capitale. Meuloud ould Lekhal, armateur bien connu et consignataire de six bateaux auprès d’un partenaire russe, croule sous les grosses  amendes – plusieurs centaines de millions d’ouguiyas – de la Délégation générale à la Surveillance maritime. L’histoire a éclaté le 10 décembre 2014, suite à l’arraisonnement de trois bateaux conduits vers le port de la grande métropole du Nord.

Un des navires, dont le consignataire n’est pas  Ould Lekhal, est rapidement libéré, suite au paiement d’une amende relativement raisonnable,  alors que les deux autres sont soumis à un « traitement de choc », avec l’exigence d’une transaction portant sur plusieurs centaines de millions d’ouguiyas. Pire, on finit par signifier, discrètement, au propriétaire russe de ces bateaux travaillant sous la bannière de la Société Mauritanienne d’Armement Pélagique (SMAP), l’intérêt qu’il aurait à changer de partenaire national, pour rentrer dans les « grâces des décideurs ». Un véritable pied-de-nez au principe de transparence…

La source des FFI dans le secteur minier en Mauritanie

Dans un document intitulé « Contribution à la compréhension du phénomène des flux illicites dans le secteur minier en Mauritanie », Baliou Coulibaly, spécialiste du management des ressources extractives et membre de la coalition « Publiez ce que vous payez ! », relève que, d’après le dernier rapport, produit en 2011, par l’ITIE, les contributions directes du secteur minier, au budget de l’Etat, s’élèvent à 324 millions de dollars US, soit 91 milliards d’ouguiyas (31%). De plus, l’exploitation pétrolière a rapporté, la même année, 68 millions de dollars, selon le même rapport. Soit, au total, un pactole de 392 millions de dollars us, (110 milliards d’ouguiyas, 38% des recettes).

Le constat de monsieur Coulibaly renvoie à « une problématique complexe car les flux financiers Illicites circulent, généralement, en dehors des canaux officiels de transfert d’argent, à savoir les budgets de l’Etat et les banques des pays-hôtes ». En Mauritanie, leurs sources sont diverses : manque de contrôle dans les exonérations douanières, de clarté dans la quantité de production de l’or, de contrôle et de suivi des contrats avec les entreprises fournisseurs de services ; non-paiement d’impôts sur les dividendes exportées ; capitalisation et fluctuation de la  production  pétroliers, fondation d’entreprises fictives, nature de certains contrats miniers actuellement en exploitation dans le pays, problématique du « repos fiscal »…

S’ajoute, à cette série de contraintes, le contexte particulier d’un pays « caractérisé par la faiblesse structurelle des services de l’Etat, vis-à-vis des lobbys tribaux et affairistes, ainsi que la banalisation, voire l’acceptation sociale du phénomène de la corruption ». Du coup, notre expert pense que les FFI pourraient représenter, en Mauritanie, 30 à 40 % du total des revenus et envisage, même, l’hypothèse haute que leur montant total dépasse les recettes de l’Etat…

 

Ben Abdallah