Maître Ahmed Salem Bouhoubeyni, ancien bâtonnier de l’Ordre national des avocats, membre du pôle des personnalités indépendantes du FNDU:

26 March, 2015 - 00:45

« Le dialogue s'impose aujourd'hui. La Mauritanie fait face à des problèmes structurels qui ne peuvent plus attendre ».

Le Calame : Après une longue attente, les personnalités indépendantes que vous êtes et les syndicats membres du FNDU ont approuvé le document du pôle politique. Pouvez-vous nous explique comment s’est déroulé ce processus que certains pensaient voué à l’échec ?

Maître Ahmed Salem Bouhoubeyni : Je vous remercie de cette opportunité. Il faut dire que le document a été essentiellement préparé par le pool politique, comme vous l’avez dit, les autres pools du forum ont eu à le consulter, avec la recommandation de ne pas le remettre en cause, pour préserver l’équilibre difficilement trouvé au sein du pool politique.

- Pensez-vous que le document que vous avez approuvé est de nature à susciter une réponse positive de ma majorité ?

- D'abord il n'existe pas de majorité, au sens politique du terme, ni même de parti au pouvoir. C'est un homme qui est au pouvoir et je ne pense pas que le document en suscite une réponse positive, quel que soit son contenu. Donc le scepticisme est de rigueur en ce qui concerne la réponse de « la majorité », pour reprendre votre expression. La négociation pour apporter des solutions aux problèmes est une attitude rarement utilisée par les autorités, l'exemple de la SNIM est là pour le rappeler. N'oubliez pas que nous sommes dans un régime militaire.

 

- Le FNDU a donc su éviter le clash en son sein et a fait connaître sa réponse au pouvoir. Selon vous, le plus difficile est-il derrière ou devant vous ?

- Le plus difficile a toujours été de savoir si le pouvoir est ouvert à un véritable dialogue. En conséquence, le plus difficile n'est évidemment pas derrière nous. Mais, dans quelques jours, les dossiers seront sur la table et les parties face-à-face. Les uns et les autres ne seront plus jugés sur leurs bonnes intentions. Il ne sera plus suffisant d'avoir manifesté une bonne volonté ou une disponibilité pour le dialogue. Le véritable examen sera de savoir si cette volonté est réelle et à quelles concessions elle mènera.

 

- Le document  du FNDU, comme celui du pouvoir, liste beaucoup de points à discuter, si le dialogue se noue. Lequel ou lesquels vous paraissent les plus urgents à régler, pour rétablir la confiance entre les protagonistes ?

- Je ne vous cache pas que, personnellement, je ne suis pas satisfait du document du FNDU dans son contenu, sa forme et ses ordres de priorités. Mais je comprends que l’objectif était de trouver un document qui arrange tout le monde. Forcément, il fallait un texte de compromis. Pas plus d'ailleurs que de celui du pouvoir qui s’est borné à lister l’ensemble des questions qui lui passaient à l’esprit, on dirait sans véritable objectif d’y parvenir. Un peu dans le genre : on va traiter les problèmes de la santé, de la justice, de l’éducation, de l’emploi, etc., sans dire dans quel calendrier et selon quelle approche ni avec qui…

En tout état de cause, l’essentiel est que le dialogue ait lieu et que des concessions soient obtenues, des concessions qui garantissent l’alternance et permettent, aux Mauritaniens, de vivre ensemble, dans un Etat juste et égalitaire, tourné vers l’avenir. Enfin, il convient de rappeler qu’il ne s’agit pas tant de rétablir la confiance rompue, comme vous le dites, entre un pouvoir et son opposition, que de régler les problèmes de fond d’un pays.

- Pensez-vous que le pouvoir est aujourd’hui dans de bonnes dispositions pour discuter « sérieusement et sincèrement » avec son opposition ?

- C’est ce qu’on verra dans quelques jours mais le dialogue n’est pas simplement le dialogue du pouvoir avec son opposition, comme vous dites. Il va au-delà. Ce n’est pas seulement avec l’opposition mais avec une classe de plus en plus étoffée des divers horizons de la société qui aspire au changement. En tout état de cause, la discussion s'impose aujourd'hui. La Mauritanie fait face à des problèmes structurels qui ne peuvent plus attendre. Des problèmes qu'on ne peut plus gérer avec des calmants ni même de faux espoirs. Il a été dit, aux Mauritaniens, qu'ils avaient, maintenant, le « président des pauvres » et, effectivement, jamais la pauvreté n'a frappé autant le pays, regardez les chiffres des Nations Unies 2014. On a dit, aux Mauritaniens, que les pouvoir faisait, de la lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics, sa priorité et, effectivement, jamais le pays n'a connu autant de pillage organisé de ses ressources. Je pense donc que le pouvoir est obligé de s’éloigner des slogans et d'être dans de bonnes dispositions pour discuter, sinon, la discussion se fera sans lui, car, comme je l'ai dit, elle s'impose, nous avons des problèmes de fond qui ne peuvent plus attendre.

 

- Que gagnerait le président de la République et son gouvernement, en accédant aux doléances de l’opposition ?

- En temps normal, ils ont tout à y gagner : corriger leurs erreurs, apaiser le climat, très tendu, préparer une alternance en douceur et lancer un signal d’espoir, utile, en ce moment, pour les Mauritaniens qui ont besoin d’être apaisés et rassurés sur leur avenir.

 
- Pensez-vous, comme le professeur Lô Gourmo, que toute modification de l’actuelle loi fondamentale soit impossible ?

Oui, je le pense et je dis, en plus, qu’il convient de lancer un mouvement disant, clairement : « Touche pas à ma Constitution ». Qu’il soit clair qu’il n’y aura pas de troisième mandat de président, fût-il sous appellation de Premier ministre. La circonstance qu’il s’agisse d’une réponse à une mobilisation populaire (provoquée) n’y changera pas grand-chose.

- Quelles réflexions vous inspirent, et la grève des employés de la SNIM qui perdure, et la visite du président de la République dans les deux Hodhs ?

- Pour la SNIM, personne n’arrive à comprendre comment peut-on traiter des revendications des travailleurs, légitimes du reste, avec autant d’indifférence. Comment, dans ce contexte de crise, l’administrateur de la SNIM vaque à ses occupations habituelles, comme si de rien n’était, et le Président visite l’intérieur du pays, en proposant, comme solution, le licenciement de quatre délégués et plus de trois cents travailleurs, pour fait de grève, le refus de négocier, l’interdiction de réunion à Nouadhibou et la campagne médiatique contre les grévistes…. En fait, de quoi s’agit-il ?

Les hommes et les femmes qui ont fait tourner la SNIM, au moment où le fer était à 180 dollars, exposés aux aléas et risques de leurs métiers, mal payés, surexploités et peu couverts, sont, aujourd’hui, dans la rue, pour avoir, simplement, revendiqué leurs droits. Ils nous observent, incapables de comprendre cette ingratitude collective, cette injustice manifeste, incapables d’expliquer l’humiliation du pouvoir, d’un côté, et notre silence complice, de l’autre. C’est cela, la question de la SNIM : que chacun mesure sa responsabilité face à ce drame, au moins en le dénonçant et en se déclarant solidaire des travailleurs.

Quant à la visite des Hodhs, j'aurais souhaité que le président de la République apporte des solutions aux problèmes, connus, de ces deux régions. Il n'est pas besoin d’entreprendre un déplacement coûteux, en particulier pour les populations locales, pour se faire une idée des problèmes des Hodhs, savoir qu’ils sont rudement affectés par une sécheresse dévastatrice et un manque cruel d’infrastructures. Un président au pouvoir depuis sept ans devait savoir que les populations d’Adel Begrou n'ont pas d'accès à la santé, que ceux qui en ont les moyens se soignent au Mali, les autres attendant désespérément dans les tentes qu'il a vues. Dommage qu'après sept ans, il faille, au Président pour s'en rendre compte, venir sur place. Dommage, pour les populations, qu’après une aussi longue attente, ils reçoivent, non pas des dispensaires et des médicaments, mais la visite du Président, pour l'organisation matérielle de laquelle ils ont contribué financièrement.

Un président au pouvoir depuis sept ans devait savoir que les populations de Timbedra manquent d’écoles, que les populations de Vassala ont soif. Dommage qu'après sept ans, il faille, au Président pour s'en rendre compte, venir sur place. Dommage, pour les populations qui attendaient écoles et infrastructures hydrauliques, de recevoir, non pas l’école et l'eau, mais la visite du Président, pour l'organisation matérielle de laquelle ils ont contribué financièrement. Dans ce contexte, je ne peux malheureusement voir, dans la visite du Président aux deux Hodhs, que son aspect négatif.

 

Propos recueillis par DL