Samba Thiam président du FPC à propos de la conférence de presse du président: ‘’j’ai cru déceler chez le président cette tendance permanente, obstinée, à minimiser les problèmes, voire les occulter, aussi sérieux et graves qu’ils soient’’

2 April, 2015 - 03:04

Vous avez suivi comme nombre de mauritaniens  la conférence de presse du président de la République, jeudi dernier. Quelles leçons en avez-vous tirées?

-Essentiellement  trois : La première a trait à l’ambiance même de la rencontre : lourde, tendue, presque crispée.

La  deuxième impression renvoie aux réponses du Président. Hésitantes, quelque peu  mal assurées; je n’ai pas eu le sentiment qu’il se dégageait  de cette conférence  une assurance dans la maitrise des dossiers et des chiffres.  Autre impression, j’ai cru déceler chez le locataire du palais ocre cette tendance permanente, obstinée, à minimiser les problèmes, voire les occulter,  aussi sérieux et graves  qu’ils soient! Celui de la Snim, présentement, celui  de la cohabitation, depuis toujours; « les chiens aboient la caravane passe », traduit à la perfection l’attitude du Président, telle que je la perçois.

Quelque chose enfin que j’ai noté: un ‘’lapsus’’ de comportement du Président, significatif, révélateur du peu d’intérêt  qu’il  porte pour nous  négro-africains. 

Je passe sur le choix du panel des journalistes sélectionnés, essentiellement  arabophones et Arabo-berbères; un seul francophone, un  négro-africain qui, à son tour, au lieu d’oser jeter un pavé dans la mare en s’adressant  au Président en Pulaar, choisit de poser sa  question  en français ; question, du reste, bidon !  Et c’est là qu’intervient  le ‘’ lapsus’’ dont je parlais …

Le Président Aziz , hésitant un peu après la question posée en français , demande  alors au journaliste  s’il doit répondre en Français ou …, puis  se décide à le faire en  français , - et c’est là qu’intervient  le ‘’lapsus ‘’- ; puis, tout   ‘’naturellement ‘’, se traduit automatiquement  en  hassanya  …pour  les  ‘’autres’’ ! Lapsus singulier, révélateur d’une mentalité ;  lapsus qui en dit long  sur l’attitude singulière d’un Président, peu soucieux des autres, à l’esprit  absolument  pas  tourmenté par le souci d’équité et d’équilibre vis-à vis  de ses sujets…

En effet, à aucun moment,  il n’est venu  à l’esprit de Ould Abdel  Aziz qu’il existe  d’autres nationalités mauritaniennes, non arabophones; ni après son exposé introductif lapidaire, ni pendant  les 9/10e  du temps de la rencontre ! Pas un seul instant l’existence  de ces  milliers de  locuteurs en français, tout aussi mauritaniens que les hassanophones, n’a effleuré  son esprit !

Le comportement  sectaire  et  teinté de mépris du Premier ministre Ould Mohamed Laghdaf, il y a quelques années, trouve ici son origine, ‘’parler arabe ou s’écraser…’’

Cette attitude de négation des uns n’a pas commencé avec cette conférence… Elle est coutumière de la politique du Président  Aziz à travers ses conseils de ministres, à travers l’enrôlement en cours, à travers le recrutement et la promotion au sein des forces armées et de sécurité, à travers  la composition monoethnique de la cohorte qui peuple  nos  grandes écoles spéciales.

L’unité nationale ne peut se fonder que sur le respect mutuel, que sur  l’égale dignité des composantes nationales. La Mauritanie n’est pas qu’arabe; elle est arabe et négro-africaine! Elle est hassanophone,  pulaarophone, wolofone, francophone …

Cette négation des autres, chaque jour plus marquée, comme par défi, comme  par provocation; à travers  l’octroi sélectivement  ethnique des médias privés qui participent de l’étouffement de toute expression autre que Hassanya.

On l’a observé, il n’y a guère de temps, avec  le limogeage de  Bah Ould Saleck, communicateur professionnel, consciencieux, viré pour ‘’ délit de complaisance ‘’ à l’endroit des négro-africains ; il lui était reproché d’octroyer trop d’espace à l’expression du Pulaar, du français, du Soninké ! Sahel Tv  vient de récidiver avec le jeune Gaye qui insistait pour me recevoir  sur son plateau. Il n’y a pas  longtemps c’était au tour de Hanevi –directeur talentueux de Watanya,  de faire les frais de ce sectarisme;  puis s’en suivit  la suppression de l’émission, à succès, de Beylilatou, remplacée  par une autre en arabe, avec  la complicité d’intellectuels arabo-berbères de formation francophone de souche,  qui  se  prêtèrent  au jeu …

Au niveau des radios, nous avons assisté à la même pratique : suppression de l’émission pulaar  à Saharamédias,  de ‘’Kaalden goonga ‘’  à Mauritanides, sous  prétexte de ‘’ panne de radio ‘’ … Je n’ai pas évoqué la pléthore de ces  autres radios qui émettent les 9/10e  du temps  en arabe…

Devant  le rétrécissement programmé de l’espace d’expression francophone, il ne reste, pour la frange  monolingue francophone, qu’à se rabattre sur RFI …Pas un mot, pas une ligne pour dénoncer, stigmatiser, cette dérive. Un silence surprenant  de la part de nos intellectuels arabes honnêtes, et de nos forces de gauche, si volubiles, si promptes à parler de tout et de rien, sauf… de l’essentiel…

Alertons  encore une fois l’opinion pour dire que nous empruntons  un chemin dangereux… Rappelons, encore une fois, que les germes du génocide, de la partition du Soudan, avaient pour nom  ’’ impunité, complexe de supériorité, arrogance, mépris de l’autre’’, toutes choses aujourd’hui réunies chez nous !

L’unité, encore une fois, doit reposer sur le respect  mutuel et l’égale dignité …

Une nation ne pouvait être moitié, libre moitié esclave, disait  A Lincoln, …

-Que pensez-vous la réponse du président sur la grève, depuis bientôt deux mois, des employés de la SNIM?

J’ai noté la même intransigeance, la même attitude à  fermer les yeux sur les problèmes graves … je l’ai déjà dit plus haut. Il prendra peut-être conscience  de  ces erreurs quand  il sera trop tard  …
-Vous avez l’air déçu?

-Oui, absolument !  On pourrait dire que la montagne a accouché  d’une souris ; à moins que le Président  se soit ravisé en chemin…

Quelle lecture faites-vous par ailleurs de la situation sociale globale ?

 -Je perçois, à travers certains signes, comme un grondement lointain qui sourd, se rapproche, en s’amplifiant ; une sorte de révolte sourde, diffuse  mais perceptible.

E. Durkheim aimait à  comparer le corps physique au grand corps social ; j’ai le sentiment que, comme pour le corps physique,  certains  symptômes  annonciateurs de la fièvre se manifestent. Notre corps social  semble  atteint de frémissement, comme dans  une sorte  d’incubation  avant l’éclatement de la fièvre …

Beaucoup attendaient quelque chose sur le dialogue en gestation depuis quelque temps. Pensez-vous M. Thiam que ce dialogue, tant attendu, aura lieu ?

-A entendre le  président  Aziz qui rejette tout préalable au dialogue et au regard de la position du FNDU  qui  y tient, je ne vois pas comment le dialogue pourrait se tenir. Il faudrait être d’un optimisme démesuré pour y croire.

Pour ma part, de toute  façon,  un dialogue centré essentiellement sur  des questions périphériques,  mû par l’esprit du « ôte-toi de là que je m’y mette » n’est pas ma préoccupation, encore une fois. Alors  qu’il se tienne ou ne se tienne pas, je n’y vois pas  grand  intérêt.

 

Propos recueillis par DL