Nouvelles d’ailleurs : La faute au Chef

28 May, 2015 - 01:42

Si notre Sultan n'existait pas, il faudrait sûrement lancer un concours géant afin de l'inventer. Non pas que cela aurait une utilité publique reconnue mais, au moins, cela occuperait la populace, notre pays aux trois millions et des poussières d'habitants, très poussiéreux habitants et très fatigués. Et si les masses laborieuses refusaient de se prêter au jeu, on (Tiens, le revoilà, celui-là, cet « On » qui s'immisce dans tous mes textes !) mettrait au point un concours spécial opposition. Imaginez un peu notre opposition dialoguiste sans Aziz... Ça s'ennuierait ferme dans les états-majors. Il y aurait des ateliers de réflexions intensives, afin de trouver de quoi tuer le temps, entre deux verres de thé et trois atomisations de mouches. Attention ! Loin de moi l'idée de dire du mal de nos oppositions ! Elles font leur job. Avec, peut-être, un peu plus de zèle qu'il n'en faut.

Regardez l'arrivée de galettes de fuel sur nos plages. Hé bien, c'est la faute à notre Sultan. Ben oui. Au cas où nous ne le saurions pas, notre Sultan est responsable de tout : des marées noires, de la course des étoiles, du réchauffement climatique, de la sexualité des cafards, du taux de divorces, des gastro, de la grippe, des moustiques, de la varicelle et j'en passe. Je suis toujours ébahie de la vitesse à laquelle des communiqués sont pondus. Y a-t-il des cellules es-spéciales communiqués, bunkers invisibles remplis de militants guettant le moindre hoquet et élevés à l'art de la réaction réactive en temps de crise ? Kham... Donc , je résume : la petite marée noire est de la faute à notre Président. Pas besoin d'enquête, pas besoin de gaspiller l’argent du contribuable. Nous avons le coupable. De là à ce que les oppositions demandent, en vertu du principe « pollueur/payeur », au Patron de rembourser, via des communiqués indignés, il n'y a qu'un pas. A la lecture des communiqués, j'en suis même arrivée à la déduction suivante : notre Sultan a profité des délestages pour aller polluer les côtes. Nous avons donc et la cause de la pollution et le pourquoi des délestages ! Je m'aime : je suis trop forte...

Redevenons sérieux un moment, voulez-vous ? Affirmer que le Président est responsable de la marée noire est ridicule. Le tenir responsable des dégâts l'est encore plus. Aucun pays au monde n'est à l'abri et l'on a vu les plus grandes puissances impuissantes, devant des catastrophes pires que celles-ci. D'ailleurs, en ce moment, c'est la Californie qui est victime d'une marée noire, à Santa Barbara.

Pour être crédible, il faudrait un peu plus de logique et un peu moins d'opposition « pour s'opposer ». Ce n’est que récemment que notre pays a pris réellement conscience de son potentiel maritime. Il a eu du mal à quitter la « terre ferme » pour s'ouvrir à la mer. Le long de nos côtes passe un rail, une autoroute maritime, énorme, avec des centaines de bateaux qui longent les côtes ouest-africaines.

Depuis la fin des années soixante-dix et l'agrandissement progressif de nos eaux territoriales, qui sont passées de douze miles à soixante-dix, le domaine maritime a, petit à petit, retenu l'attention de nos gouvernements successifs. Aux politiques de pêche et au maillage de nos zones en trois espaces – du Nord, du Centre et du Sud – s'est maladroitement juxtaposé, avec l'arrivée des entreprises extractives, un autre maillage : celui des exploitations pétrolières et des champs d'extraction. Notre économie rentière de location de nos sous-sols et des puits pétrolifères a camouflé cette réalité : qui dit offshore, dit risques accrus de pollutions maritimes. 

Des poissons morts sur nos plages ? Ce n'est pas nouveau. J'ai souvenir de centaines de poissons retrouvés ainsi, victimes des filets et de certaines méthodes, comme la pêche à l'explosif. Sans que cela ne provoque la moindre indignation. J'ai vu, adolescente, des galettes de fuel, sûrement dues à des dégazages sauvages, à la limite de nos eaux territoriales. Depuis des décennies, nous laissons tous les navires du monde venir pêcher, avec leurs filets qui peuvent aller jusqu'à 800 mètres de fond, dévastant la faune maritime... Depuis des décennies, nous entretenons un cimetière de navires à Nouadhibou, sans que cela ne semble gêner personne, chez les politiques de tout poil.

Entre les plates-formes offshore et les dégazages, nous ne sommes pas à l'abri d'une catastrophe majeure. Dans la mini-marée noire qui nous concerne, il semblerait que ce soit la plateforme au large de Ndiago qui soit responsable des galettes de fuel. Mais, quand je lis les communiqués, tant officiels que de l'opposition, j'ai envie de m'arracher les cheveux : nous voilà entre «tout est sous contrôle » et « catastrophe environnementale majeure » ! D'une esbroufe à une autre, tout est fait pour que les bonnes questions soient  évitées. L’opposition parle de drame. Je croise les doigts pour que n'arrive jamais une vraie marée noire. Que diraient alors les communiqués de notre opposition ? A quoi ça sert d'amplifier un problème, alors qu’aucune solution n’est avancée ?

Les frontières, entre politique et capital financier issu de la mer, sont minces et sans couleur politique : je ne suis pas sûre que nos opposants feraient réellement bouger les lignes... Mais les indignations populistes sont plus faciles. Tout le monde semble découvrir l'envers du décor d'un pays qui possède une immense façade maritime le long de laquelle tous les navires du monde passent. Faire semblant de ne pas voir que certains de ces navires peuvent dégazer en haute mer est criminel. Faire semblant de découvrir que l'industrie offshore ne présage rien de bon, en matière de marées noires, est un déni politique.

Cette mini-marée noire n'est sûrement qu’un avertissement. Il nous faut une réelle autorité de régulation et non pas plusieurs ministères qui se retrouvent, en même temps mais tout aussi peu préparés les uns que les autres, à gérer une situation de crise. Qui est responsable, réellement ? Le ministère de l'Environnement ? Celui de la Pêche ? Aujourd’hui, il semble que ce soit celui-ci... alors que ce devrait être celui-là ! Trop d'interférents. Trop d’intérêts contradictoires. Trop d'enjeux économiques. C'est en cela que ce gouvernement est responsable. Et c'est en cela que l'opposition a aussi sa part de responsabilités, certains de ses membres ayant occupé, par le passé, des postes en différents gouvernements. Alors, faisons de la politique politicienne et passons à autre chose... jusqu'à la catastrophe majeure qui viendra forcément… un jour...

Salut

 

Mariem mint Derwich