Interview (presque) imaginaire avec le président de la République, Mohamed ould Abdel Aziz: "Vous pensez que je ne peux pas fomenter un troisième coup d'état contre un bout de papier?"

17 June, 2015 - 01:03

Chaque trois ou quatre régions visitées, le président Mohamed Ould Abdel Aziz organise une conférence de presse à laquelle sont invités quelques journalistes. Cette fois, il a dérogé à la règle. De retour du Trarza, du Brakna et du Gudimakha, il a bien voulu se confier au seul Calame.

Le Calame : Assalamou aleykoum, monsieur le Président. Avant de commencer, une question qui taraude les observateurs : pourquoi avoir choisi notre journal, alors que vous l’avez toujours exclu, systématiquement, de vos rencontres avec la presse et de vos visites ?

Mohamed ould Abdel Aziz : Exclu ? Moi jamais. Vous croyez que c’est moi qui choisis les journalistes ? J’ai d’autres chats à fouetter que de m’occuper des peshmergas. Mais si j’ai exigé, cette fois, votre concours, c’est que j’en ai assez des ronflards et des béni oui-oui. Je veux de vraies questions.

- Vous avez achevé la visite de huit régions. Comment avez-vous ressenti les accueils ? N’éprouvez-vous pas une impression de déjà-vu ?

- Jamais de la vie. Jamais il n’y eut accueil aussi spontané et désintéressé. Parfois, je me demande, moi-même, que faire viennent faire tous ces gens. Je ne leur donne, je ne leur promets rien et je les salue à peine.

 

- Vous avez pourtant vu les mêmes visages accueillir vos prédécesseurs…

- C’est vrai qu’il y a des momies parmi eux. Mais que voulez-vous ? Il faut faire avec et puis, ces gens sont indispensables, pour mobiliser la foule et pendant les élections.

 

- Quelles élections, monsieur le Président ? Vous êtes censé ne plus vous présenter à aucune. C’est votre dernier mandat, non ?

- Je n’ai jamais démenti le fait que c’est mon second mandat. Quant au dernier, C’est autre chose. Nous ne décidons rien, en ce bas-monde. C’est au Tout-Puissant que revient le dernier mot.

 

- Il y a donc risque de tripatouillage constitutionnel ?

- La Constitution, c’est comme les Accords de Dakar, ce n’est pas le Coran. Qu’est ce qu’on a fait d’elle, en 2005 et en 2008 ? J’ai renversé deux présidents élus. Vous pensez que je ne peux pas fomenter un troisième coup d’Etat contre un bout de papier ? C’est bien mal me connaître.

 

- Les choses sont donc claires à présent…

- Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. J’ai tant donné, à ce pauvre peuple affamé et assoiffé, saigné à blanc par tant dedirigeants corrompus, que j’ai larmes aux yeux, chaque fois que je songe, un instant, à devoir le quitter.

 

- Vous pourriez faire comme Poutine. Qui choisiriez-vous, dans ce cas ?

- Je dois vous avouer que cette idée m’a effleuré l’esprit mais je l’ai chassée rapidement. J’aime trop ce peuple pour ne pas le confier au premier venu.

 

- Mais vous disposez, dans votre équipe, de cadres d’assezhaut niveau pour prendre la relève...

- Cadres, quels cadres ? Nous avons, c’est vrai, des gens bardés de diplômes mais ce sont des incapables. Moi, je les ai tous tournés en bourriques, qu’ils soient de l’opposition ou de ma majorité.

 

- N’empêche que, constitutionnellement parlant, c’est votre deuxième et dernier mandat…

- Dernier mandat… dernier mandat. C’est ce qui m’énerve, avec vous. Au Calame, chaque fois que vous écrivez « deuxième mandat », vous ajoutez « dernier » avec un point d’interrogation, comme si vous cherchiez à infiltrer, dans l’esprit de vos lecteurs, qu’il pourrait ne pas être le dernier. Oui, vous avez vu juste. Je n’ai pas encore dit mon dernier mot. Mais cessez, c’est un ordre, de parasiter ma réflexion à ce sujet.

 

- Comme vous voulez, monsieur le Président. Parlons donc plutôt de votre fortune. Certaines mauvaises langues vous classent parmi les hommes plus riches du pays. Une allégation d’autant plus aisée que vous n’avez pas rendu publique votre déclaration de patrimoine. Peut-on savoir ce que vous possédez réellement ?

- Incha Allah ! (rires). Riche, moi ? Tout le monde sait que l’argent ne m’a jamais intéressé. Seul compte, pour moi, l’intérêt de mon peuple bien aimé. Je possède, certes, quelques terrains, quelques boutiques, deux ou trois sociétés dont aucune n’est à mon nom, bien sûr, et un peu de liquide, au cas où madame voudrait faire des emplettes, à Paris ou à Dubaï. Vous voyez qu’il n’y a vraiment pas de quoi faire tout un tapage.

 

- On parle de plus en plus d’un remaniement ministériel. Certains membres du gouvernement n’ayant pas donné satisfaction. Peut-on savoir lesquels ?

- Lesquels ? Tous. Aucun n’a donné satisfaction. Je suis obligé de les talonner, pour qu’ils mettent en œuvre le programme pour l’application duquel la majorité de ce peuple m’a choisi. Voilà pourquoi je suis toujours au four, au moulin et à la boulangerie. Je suis obligé de tout contrôler, à tel point que je n’ai plus une minute pour moi ou pour lire.

 

- Que lisez-vous en ce moment ?

- La vie cachée de Fidel Castro, un ouvrage rédigé par son ancien aide de camp. J’ai toujours admiré la longévité du Leader Maximo. J’aurai pu faire la même chose avec Maaouya mais j’ai préféré le renverser. En Mauritanie, il est plus facile de faire un coup d’Etat que d’écrire une biographie ou une quelconque œuvre littéraire. C’est beaucoup plus rentable.

 

Propos (presque) recueillis par AOC