Nouvelles d’ailleurs : Indignité...

18 June, 2015 - 01:38

Pendant une poignée de secondes, j'y ai cru... j'ai cru, pendant ces quelques courtes secondes, qu'enfin, Omar Al Béchir serait arrêté, qu'il allait devoir répondre, devant une juridiction internationale, des horreurs commises au Darfour. Pendant quelques secondes... Une poignée de secondes durant lesquelles notre continent se serait grandi. Une poignée de secondes de dignité et de Justice...

Depuis la décision d'un tribunal de Pretoria enjoignant, au président soudanais, de ne pas quitter le territoire sud africain où il assistait au sommet de l'UA, suite à une plainte d'une ONG et aux mandats d'arrêt lancés par la Cour Pénale Internationale, je me disais que nous avions, là, une occasion de penser aux victimes. Pour ceux qui crient à la « colonisation des esprits », au « complot sioniste », aux « manipulations occidentales », je tiens à rappeler les réalités : le Darfour, ce furent 300 000 morts, 1 million et demi de réfugiés. Pas seulement des théories, des concepts flous : 300 000 morts. ; des atrocités, des massacres, des exactions... 300 000 morts.

Autre rappel : après longues enquêtes, après auditions des survivants, deux mandats d'arrêt furent lancés contre Al Béchir : un en 2009, pour crimes de guerre, l'autre en 2010, pour génocide. Crimes de guerre et génocides, 300 000 morts, 1 million et demi de déplacés.... Certains parmi nous se félicitent de la décision sud-africaine d'accorder l'immunité à Al Béchir et à tous les chefs d’État et les délégués participant au sommet de l'UA de Johannesburg, arguant d'une pseudo-fierté africaine, d'un esprit de résistance qui donnerait de la dignité à l'Afrique. Et de dérouler toute la partialité de la CPI. Le même discours, à l'infini, le même discours... La même indignité...

L'Afrique ou comment se protéger entre gens avertis : protéger les génocidaires, les assassins, les dictateurs ; protéger ceux qui ont du sang sur les mains.... L'indignité, version le grand bazar inaudible qu'est l'Union Africaine. L'indignité de l'Afrique du Sud qui, et je le rappelle aussi, est ETAT MEMBRE DE LA CPI, tenue à appliquer ce que celle-ci a ratifié. L’Afrique du Sud aurait pu refuser d'être membre de la CPI. D'autres Etats l'ont fait, comme les États-Unis ou Israel.... Pas l'Afrique du Sud. Elle a signé. Elle a ratifié. Elle se devait, surtout elle, avec sa mémoire de sang, de faire appliquer le droit international.

L’Afrique du Sud qui bafoue sa propre justice et les décisions de ses juges, au mépris du droit. L’Afrique du Sud qui bafoue la mémoire des victimes, tout comme cette brochette de chefs d’État de l'UA, tout fiers d'insulter l'humain. L'UA nous dit, pour se justifier, que la CPI fait dans le sélectif, qu'elle ne condamne que les Africains, que « ce n'est pas juste »... Une injustice pour justifier une autre injustice.

Oui, la CPI ne touche que les « faibles », ne lance pas de mandats d'arrêts contre d'autres assassins comme Bush ou Netanyahu. Oui. Mais l'Afrique ne fait rien. Sur notre continent, c'est le règne de l'impunité totale. Chaque chef d’État sait qu'il sera protégé par ses pairs africains. Le permis de tuer, le permis de massacrer son peuple, le permis de se comporter en Ubu Roi, le permis de s'accrocher au pouvoir, le permis d'être génocidaire.

Omar Al Béchir a quitté l'Afrique du Sud, libre. La justice sud-africaine a beau crier au scandale, c'est ainsi : le tcheb tcheb à l'africaine a gagné. L'impunité a gagné, si tant est qu'elle n’ait jamais perdu. Oui, cette pseudo fierté africaine, cette pseudo victoire de « braves » africains, face aux « méchants » occidentaux, est une indignité, une honte. Une honte pour nous, Africains qui laissons libre un assassin. Une honte pour notre continent. Une honte pour l'exigence de justice, seule préalable à la paix civile et à une bonne gouvernance.

Continuons donc à crier à la colonisation. Continuons à nous gargariser, à nous enfoncer dans les indignations vertueuses. Et, pendant que nous crions contre l'Occident, certains chefs d'État échappent à la justice la plus basique. L'UA n'a JAMAIS jugé un chef d’État africain, jamais ! Alors, quand nous ne sommes pas capables de donner un sens à nos institutions, nous ne pesons rien. L'UA restera cet « entre soi » des VIP, discourant à l’infini, incapable de mettre en place un vrai cadre juridique pour notre continent. Ce « machin » de « gens biens » qui boivent le thé ensemble coûte cher et ne sert pas à grand-chose. Omar Al Béchir est rentré triomphalement dans son pays, sous les sourires ravis de ses pairs. Aucun compte à rendre pour les 300 000 morts.

Alors, pendant quelques secondes, j'ai rêvé de cette justice qui nous est interdite à nous, Africains. J'ai rêvé de tribunal, j'ai rêvé... J'ai rêvé de voir ceux qui ont du sang sur les mains être, enfin, punis. Puisque nous sommes incapables, nous Africains, de punir nos assassins, laissons donc les autres le faire pour nous. Si l'UA avait un sens, un homme comme Taya aurait été jugé et ne se contenterait pas de couler une retraite dorée dans les pays du Golfe. Si l'UA avait un sens, Al Béchir serait derrière les barreaux, face à ses victimes. Si, si...

Non. Nous avons choisi l'indignité.

Salut

Mariem mint Derwich