Nouvelles d’ailleurs : Homo Mauritanicus Ramadanus...

25 June, 2015 - 01:41

Revoilà revenu le temps de l'Homo Mauritanicus Ramadanus, celui qui apparaît une fois par an, jeûnant tant bien que mal, mangeant plus que de raison, pour les plus riches, et jeûnant plus que de raison, pour les plus pauvres. Cet Homo Mauritanicus en orbite régulière s'est distingué plusieurs jours avant le début du Ramadan, écumant les boutiques, les marchés, dévalisant les supermarchés, emplissant son frigo de moult denrées, pris, semble-t-il, d'une frénésie alimentaire à l'encontre de la frugalité recommandée pour ce mois béni.

On n'achète jamais autant de nourriture que quand on va se serrer la ceinture. Allez savoir pourquoi, mais c'est ainsi. La peur du manque, peut-être. L'anticipation de la faim. Une façon d'exorciser les cris des estomacs. Et, chaque année, les commerçants prévoient le coup. Même les prix sont à la fête ! Eux ne jeûnent pas. Ils auraient tort de se gêner, nos prix : il n'y a pas pénurie d'acheteurs. L’Homo Mauritanicus râle que tout est cher, trop cher, mais achète quand même. Alors, les prix, et leurs propriétaires, les commerçants, ont le sourire pieux jusqu'aux yeux. Un beau concentré de « jeûnons, mes frères, et par ici, la monnaie ! » Je ne parle même pas du mouton de la Fête. Celui-là va être vendu au prix de l'or. Tout le monde rouspétera mais tout le monde achètera. Du moins ceux qui en ont les moyens et ceux qui s’endetteront pour acheter. Sans parler de s'endetter pour les habits de fête et nourrir tous les cousins, même ceux des périphéries les plus lointaines de la famille et de la tribu. Les jours de fête, nous découvrons que nos familles pratiquent, sûrement, la reproduction spontanée, nous donnant l'occasion de découvrir des parents dont on ne soupçonnait même pas l'existence. Parents à visites éphémères qui repartiront se planquer dans le monde de la parentèle à multiplication rapide… en attendant la prochaine fête.

Pour le moment, nous sommes encore loin de ces rencontres familiales émouvantes et fort dispendieuses. Laissons cela pour plus tard. A chaque temps son fardeau. Pour le moment, nous en sommes au début du Ramadan. Les esprits ne se sont pas encore trop échauffés. Peu de bagarres entre automobilistes. Peu de crises de nerfs et d'insultes fort peu pieuses. Pour le moment, nous dépensons. Les boulangeries et pâtisseries sont prises d'assaut par des foules de gens affamés qui préparent le f'tour. Et plus la faim est grande, plus grands sont les achats. La mode, ce sont les crêpes, les beignets, les mini-sandwichs, les pizzas, les omelettes, tout ce qui se frit, se farcit et s'ingurgite.

Chez ceux qui ont les moyens, plus la table est garnie, mieux c'est. Sûrement un moyen de relier une peu probable montée future au Paradis au nombre de plats. Certains doivent se dire que déployer tant de nourriture fera rentrer plus vite au Ciel. Les voies du Seigneur étant, par définition, impénétrables, cette gestion d'une vie après la mort en vaut bien une autre. Bref, Le Ramadan ou la grande bouffe. La grande bouffe qui dure toute une nuit.

Que je détaille la journée d'un jeûneur. En fin d'une nuit passée à rire avec les amis, à rendre visite à tout ce qui respire, à manger, à se gaver, on avale la dernière bouillie, on fume la dernière clope et on se dit que, quand même, faudrait penser à aller dormir un peu car nos Z'Autorités compétentes ont décidé que nous devions travailler jusqu’à 17 heures. Après, pour les courageux et ceux qui n'ont pas fait appel aux diverses maladies ès paresseux, direction le boulot. OK, la tête n'est pas au rendez-vous, on a la mine en papier mâché, on a toute cette nourriture nocturne qui pèse sur le moral. On fait alors, ce que l'on sait si bien faire dans nos bureaux : faire semblant de travailler, alors qu'on dort. Là-dessus, rien à redire : si nous ne savons pas tricher au bac, on sait tricher au travail. Et l'on regarde la journée s'écouler, s'écouler, s'écouler... On téléphone aux amis qui bullent dans d'autres services. On pense aux intelligents qui, « malades », sont encore au lit. On imagine le f'tour du soir. On espère que le muezzin de son quartier aura réglé sa montre et qu'il n'appellera pas en retard.

Mais bon, cela n'est pas véritablement un problème. Le jeûneur a l'ouïe développée et sait entendre le premier muezzin qui appelle, même si celui-ci est à l'opposé de la ville. A 17 heures, nous passons, ostensiblement, devant le bureau du patron, pour lui montrer qu'on est bien « monté » au travail et que nous rentrons, honnêtes travailleurs ramadanesques. On se tape les embouteillages, pris dans cette folie de dizaines de milliers d'estomacs affamés et de gosiers desséchés. L’Homo Mauritanicus devient alors un grand corps stomacal, arc-bouté sur une idée fixe : les achats à la boulangerie. On arrive chez soi, on se douche... Et commence, alors, le temps long, si long, du « je regarde ma montre »... Ce temps-là est interminable.

Une demi-heure avant le f'tour, on se positionne dans le salon où ont déjà été exposés les dattes, l'eau, le zrig, le bissap, les jus de fruits, le miel, les crêpes, le pain, la soupe, etc., etc. Chacun prend place, faisant son bien élevé, risquant un œil rapide vers ces merveilles culinaires. Honte à celui qui bave et personne ne veut avoir la hchouma ! Alors on discute, on fait semblant de s’intéresser à la culture des pois chiches dans les Territoires Occupés ou au discours d'Obama... tout en mettant ses oreilles en mode radar, afin de capter l'appel du premier muezzin, celui qui ouvrira les réjouissances.

Enfin, la délivrance arrive ! A nous les dattes ! Puis la prière, puis tout le monde est prêt à faire bombance.

Et le lendemain on remet ça. Bien sûr, je parle de ceux qui ont les moyens de tant bouffer et de tant d'achats. La majorité de la population se contente de repas plus maigres. Faut dire que, dans un pays où un poulet est vendu 1500 UM, beaucoup se passeront de poulet. Le salaire moyen étant de 40 000 UM, calculez... Eux jeûnent en temps normal et jeûnent en temps exceptionnels. Ils sont même les marathoniens de la frugalité obligée. OK, il y a les boutiques Ramadan, avec des produits de base. Elles ne vivront que le temps de ce jeûne.

Mais, bon, il paraît qu'il y a moins de pauvres. L'info vient de là-haut : on a un taux de pauvreté qui n'est plus que de 31%. Cela sous-entend, donc, qu'ils seront plus nombreux ceux qui mangeront plus. CQFD. Ces 31 % là iront dans les boutiques. Et, après le Ramadan ils se contenteront de rêver aux boutiques. Je serais tentée de dire que, dans un pays de si grande misère, dans un pays musulman qui n'est pas un Eldorado, au lieu de boutiques ponctuelles, il faudrait imposer des prix, arrêter ce libéralisme sauvage qui fait que nos commerçants sont des voleurs de grands chemins, des profiteurs de la misère, des spéculateurs. Il faudrait une plus grande fermeté des pouvoirs publics. Mais ces derniers laisseront faire... Et laisseront faire cette honte : la spéculation sur les prix du mouton par exemple, à l'encontre de toute morale d'une république dite islamique.

Bref... Nous voilà partis pour un mois de jeûne, peu tourné vers la prière mais plutôt vers la fête. Peu tourné vers l'introspection et la nécessaire prise de conscience de notre fragile humanité. L’Homo Mauritanicus s'amuse. L’Homo Mauritanicus baffre. C'est que tout va bien. Ramadan Kerim à tous ! Salut.

 

Mariem mint Derwich