«L’intellectuel, le pouvoir et le peuple: Quelles relations? Quels droits de regard? Quels devoirs civiques?»

26 June, 2015 - 11:35

L’émergence d’une société dépend essentiellement de l’ampleur de son intelligentsia. Autrement dit, l’on mesure la crédibilité d’un peuple à la qualité de son élite. Et chaque nation a le gouvernement qu’elle mérite. Intellectuel, ou ‘‘intello’’ : ce qualificatif tend à devenir de plus en plus ambigu. Mais qui est intellectuel ? Et qui ne l’est pas ? Est-ce un étudiant ou un artiste ? Un enseignant ou un journaliste ? Un militaire ou un activiste ? Un médecin ou un agronome ? Un ministre ou un politologue ? Voilà une série de question pouvant faire couler beaucoup d’encre et de salive si l’on s’évertue à en faire une étude exhaustive. Mais, contentons-nous de l’essentiel pour évoquer deux dossiers, épineux du reste : celui des eaux, à usage domestique, polluées ?, le cas de Boghé ; et celui des terres de la vallée, « spoliées ? ».  

A un certain niveau d’étude, tout scribe et/ou titulaire du baccalauréat se prendrait pour intello. Mais, la réalité voudrait qu’un intellectuel ne soit rien d’autre qu’un citoyen instruit, averti qui s’acquitte dignement de ses devoirs civiques en veillant au respect des liens qu’il entretient avec le peuple et avec le pouvoir dans le cadre des textes de loi en vigueur. Et ne pourrait être intellectuel celui-là qui demeure indifférent par rapport aux événements pouvant influer sur son époque. Je ne réfute point la définition de Sartre pour qui l’intellectuel est « celui qui se mêle de ce qui ne lui regarde pas », c’est-à-dire celui ou celle qui se met au service des opprimés en militant consciencieusement pour leurs droits.      

Ainsi, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, bon nombre de populations riveraines, les boghéens – par exemple – ont soif ! Il parait que leurs cadres n’en sont pas informés. Alors, cette missive leur est destinée. Et que cela constitue un élément d’information, de rappel, voire d’avertissement mais pas une expression réprobatrice, car nul n’est infaillible. Ayant cru et aspiré à la modernisation des services sociaux de base, c’est avec joie et allégresse que les Halaybé avaient accueilli, aux environs des années 2000, le réseau d’adduction d’eau au détriment de leurs puits, tombés en friche. Hélas, cet espoir fait aujourd’hui place à la déception. Car l’approvisionnement du bassin de la SNDE/Boghé est déplorable. Depuis ces derniers temps, nombreux sont ceux qui souffrent des maux de ventre causés, selon des constats hospitaliers, par l’eau calcaire du robinet. Par conséquent, quelques rares points d’eau sont devenus des lieux de rencontre où mères et enfants se mettent en file indienne pour entacher leur soif. La commercialisation de l’eau minérale connait un véritable boum. Situation oblige, même si les moyens en font souvent défaut. Ça sent la Banque Mondiale et le FMI si l’on connait les méfaits de leur enfant monstre : le PAS (programme d’ajustement structurel) qui a pour mission de brader les services publics. De telles conditions rappellent un rude passé où l’on pouvait voir à la télé des images en provenance des régions arides ou désertiques qui nécessitaient d’être secourues. La question de l’eau, source de vie et moyen par excellence de purification, hante la conscience des riverains, pendant que le fleuve qu’ils côtoient depuis toujours alimente la ville de Nouakchott, située à quelques centaines de km. Outre cette question, celle des terres de la vallée n’en est pas moins délicate. La terre, symbole des activités de la campagne et de la vie paysanne, est une véritable source de malentendu et de conflit. L’histoire retient le nom du fameux Tierno Souleymane BALL et de l’affaire « Moudo Horma ». De même, l’on garde en mémoire le malheureux incident diplomatique sénégalo-mauritanien de 1989 qui a causé tant de torts à ces deux pays frères.

En collaboration avec une société saoudienne, dénommée Al-Rajihi, l’Etat mauritanien entend mettre en valeur une étendue considérable des plaines qui longent le fleuve Sénégal. Les investisseurs arabes veulent louer cette étendue pour une durée de 25 ans afin d’y cultiver de l’oignon et de la pomme de terre. Ils promettent assurer une autosuffisance alimentaire en la matière et lutter contre le désœuvrement des jeunes et des mères. Tout comme le nord qui est en train de profiter de l’aubaine de son sous-sol par l’exploitation de l’or et du fer…, le sud aussi a intérêt à mettre en valeur ses terres par le biais de la modernisation de l’agriculture. Ce projet qui devrait, dans les normes, être accompagné d’un sentiment d’attente confiante, met en désaccord les autorités et les populations terriennes. Ce désaccord est lié au manque de sensibilisation et d’étroites concertations d’une part ; et au fait que la foi en l’intégrité personnelle des élus locaux et des cadres ressortissants de ces localités soit remise en cause par leurs électeurs et proches. Nul n’est censé ignorer la loi, dit-on. Et l’on ne saurait mieux aborder cette question sans connaitre ce que prévoit la réforme foncière de 1983. En effet, en voici quelques articles de l’ordonnance 83-127 du 5 juin 1983 : « La terre appartient à la nation. Tout Mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte, peut, en se conforment à la loi, en devenir propriétaire, pour partie », « Le système de la tenure foncière traditionnelle est aboli » (article 3) et « l’individualisation est de droit » (article 6). Toutefois, inspirant du droit traditionnel, la loi attribue la possession de la terre à tout celui qui la valorise pendant plusieurs années. Mais, sont considérées comme terres mortes et appartiennent à l’Etat « les terres qui ne sont pas exploitées depuis plus de dix ans ».

C’est exactement là le nœud de la polémique due à une légère nuance des propos du législateur. Car, pour nombre de paysans, ces terres de la vallée sont loin d’être dévaloriser car ils y exercent l’élevage et l’agriculture à leur niveau et selon leur moyen. Cette nuance doit faire l’objet d’éclaircissements. Et il revient aux élus locaux, aux responsables, aux intellectuels, détenant une parcelle de pouvoir ou de moyens de communication, de vulgariser cette loi. Ils doivent comprendre et faire comprendre ces textes à tous afin de trouver une solution idoine. Appelés à vivre ensemble, l’élite, le peuple et les représentants de l’Etat mauritanien doivent faire preuve de responsabilité pour que perpétuent paix et prospérité dans ce pays. Il est temps que la Mauritanie parvienne à se tailler une nation avec son patrimoine et son peuple. Elle a connu et continue de connaitre des hauts et des bas, mais la Mauritanie doit pouvoir braver les obstacles pour devenir ce qu’elle s’est proposée d’être : Une république islamique. Il serait opportun de rappeler les propos de Feu Moktar Ould Daddah (1924-2003) qui écrivait au chapitre 14 de son ouvrage La Mauritanie contre vents et marrées : « … le responsable, le plus haut responsable surtout, doit s’efforcer d’être, autant que faire se peut, inattaquable dans tous les domaines, moral et matériel. Il doit nécessairement être exigeant vis-à-vis de lui-même, pour pouvoir l’être valablement à l’égard des autres. Il doit chercher à plus s’imposer par la vertu, pour l’exemple, que par l’autoritarisme. Il ne doit pas vouloir tout accaparer, le pouvoir et l’argent. Il doit non seulement éviter, mais combattre la corruption sous toutes ses formes…. Le responsable accessible à la prévarication est impardonnable ». De par ces remarques ô combien judicieuses, le père de la nation mauritanienne fait preuve d’un ardent patriotisme, comme pour exhorter ses concitoyens et ses successeurs à avoir le sens du devoir. Puisse donc ces propos nous inspirer. L’intellectuel doit être marqué par le bon sens et la réflexion afin de conscientiser son peuple. Prévenant l’erreur judiciaire, il peut aussi faire éviter à l’Etat de commettre quelques dérapages en lui rappelant la conduite à tenir vis-à-vis de l’exécution des lois en vigueur. La terre est sacrée : Je cite : « La terre sur laquelle nous vivons contient plus de morts que de vivants ».

Soyons vigilants, sachons préserver nos terre, mettons les en valeur, ne ratons pas le coche. Rappelez-vous chers Messieurs, chères Madame, cher Monsieur tout le monde que :

  1. De la nuit des temps, du droit coutumier au droit moderne la terre appartient à celui qui la fait vivre, qui la nourrit et qui l’exploite.
  2. Cet acquis qu’il soit écrit ou verbal est indéniable, irréfutable, inaliénable et incontestable.
  3. Mais la face cachée de l’iceberg, la plus importante, est bien entendue ce que le mauritanien lambda fera de sa terre.
  4. Seuls des contrats juteux et tripartites conçus et adaptés cumulativement entre propriétaires terriens, Etat et bailleurs de fond seront à même de résoudre cette triple équation qui seule viendra à bout du spectre du sous-développement, de la misère voire du redoutable paupérisme dans lesquels est plongé notre pays.

Braves héritiers et serviteurs de notre Chemama la terre ne sert que si l’on s’en sert et autrement dit qu’après elle ne vous sert à rien. « La terre nourricière est l’Alpha l’Omega de notre vie ». « La seule est redoutable corde sensible du propriétaire terrien c’est la terre ». 

Conseil et adage populaire et peulh : « N’écoutez pas votre cœur mais faites parler votre cerveau. »       

A tous ceux qui militent pour la promotion des droits humains et pour la cause du peuple mauritanien. … affaire à suivre ! … Et à bientôt s’il plaît à Dieu. Wo salam !

 

Bocar Baïdy DIA,

Etudiant chercheur en littérature africaine.

bocarbaidy@yahoo.fr/

+ 222 47 49 96 15