Mémoires de Méderdra (suite) /Par Brahim Ould Ahmed Ould Memady

3 September, 2015 - 17:02

Chapitre 14 : La marmaille orpheline

Je ne peux jamais parler de la fabuleuse Méderdra et de l’auguste Follenfant sans évoquer  l’autre grande école, de notoriété avérée et très solide… « La marmaille ».

Celle, bien sûr, du doyen de tous les élèves de l’Eparse… Notre principal et très intime formateur ! L’un des plus célèbres Emirs de S’sangue !... Le courtois, l’honnête, l’élégant, le tendre, l’agréable, l’endurant, le généreux, le patient, l’intelligent, l’invariable, le modeste et très poli… Feu Sayar Faye…

Le grand frère très chaleureux, l’ami très intime et le maître compétent !...

Nous fûmes plusieurs promotions sorties de sa digne école !... Il nous avait parfaitement façonnés par ses propres et très belles mains ! Oui, il nous avait forgés à sa guise et bien entretenus tout au long de notre ardeur juvénile ! Encore petits, il fit de nous des commandos ultra-opérationnels et d’une valeur physique très rare !

Son agilité, sa politesse, sa sympathie et sa franchise démesurées furent notre devise ! Avec lui, sur ses longues et solides jambes d’athlète, nous avions physiquement et moralement, le rythme et la portée de toutes les distances qui séparent le village de tout son entourage ! Sur ses trousses aux longues foulées, il nous conduisait en brousse, à tout moment de jour ou de nuit ! Nous le suivions docilement, sans aucune crainte ni regret et en totale symbiose !

Là, c’était bien l’un des plus audacieux et émouvants moments de notre vie « EN CAMPIS » derrière Sayar ! Comme disait Alfred de Musset des « Eléphants » (davesne) : « Celui qui tient la tête est un vieux chef, son corps est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine et l’arc de son échine se voûte puissamment à ses moindres efforts… etc., il guide au but certain ses compagnons poudreux » etc.

C’était vraiment Faye et ses éléphanteaux, «el hemal  » (les perdus dans la nature), notre nom de groupe… 

De Bouzbeile à Charatt, Boutoumbtaya, cheg el Khaïme, N’dabessatt, M’beiket raha, Ten-yidha, Mahsar, Boeir Toress, N’houkara, H’sey Amy et Raihanatt. Notre trajet presque quotidien, juste de quoi maintenir notre condition physique !

Nous ne rentrions jamais bredouilles de nos épopées… Nous ramenions du gibier  (perdrix, pigeons, lapins, hérissons, tourterelles et même des outardes… etc.)

En période hivernale, nous organisons nos descentes pour maraudage (T’KHAMBY) dans les champs !

Nous montions à dos de tous les animaux de selle croisés sur notre chemin.

Durant nos incursions, nous n’avions peur  que de Alioune Gatt, mais pas de nuit où il fut malvoyant…

Nos larcins furent bien des petites bravoures anodines, un reflexe de survie immuable aux gens du désert… Ils étaient plus amusants que maudits.

C’était aussi au temps où la grandeur avait bien ses deux dimensions réelles, la clémence et la générosité. A la différence de la pingritude et l’infamie de nos jours…

C’était donc chez Roughaye,  l’épouse d’Ahmed Laftah le boulanger que nous avions notre tanière, dans leurs taudis transformés en vraie caverne d’Ali Babe !

En tout cas, feu Sayar le paradisiaque, que certains rivaux d’enfance évitaient de comprendre fut bien et strictement égal à lui-même ! Dans sa foi de musulman convaincu, d’homme honnête, il accomplissait exactement tous ses engagements ! De son vivant, il ne haussait jamais la voix ni la tête en vis-à-vis avec les plus âgés que lui !  Auprès des vieux, il perdait d’emblée sa longue taille en se recroquevillant !

Avec les égaux, il fut aimable, franc et correct !

Il était prompt pour aider les plus jeunes et les protéger ! Sans désenchanter, il respectait tout le monde ! Sayar ne commençait jamais la bagarre mais dès qu’elle s’engageait, elle lui obéissait inévitablement…  Grand lutteur chevronné, il l’était aisément ! 

Une fois le nuage babillard de la chamaille dissipé, la paix des braves était toujours à portée de l’accolade…

La grande horreur de Faye fut la capitulation et l’indignité ! Son rire aux cascades narquoises égayait bien les cœurs et les rassurait tellement !

Sayar, l’homme mâle, qui nous avait bien formés et accompagnés le long de l’étape la plus fragile et déterminante de notre vie.

N’étant ni pubères, ni adultes, lors d’une difficile évolution, « l’affirmation délicate » où il faut bien nager ou se noyer… C’était bien lui qui, de la marmaille, passant par l’adolescence et jusqu’à l’âge adulte nous accompagnait sans cesse !

La vie fut certes, courte mais très sobre et limpide ! Sa noble mémoire est en nous tous, elle nous accompagne pour l’éternité !!

Sayar fut absolument, nous tous et tous, nous fûmes, lui seul, puisqu’il nous manque absolument !..