S’achemine-t- on, en Mauritanie, vers une voie sans issue? Par Mohamed Mahmoud ould Bakar

28 October, 2015 - 08:53

Il n’est pas exagéré de dire que notre pays est confronté à une situation périlleuse parce que son avenir est, de plus en plus, incertain. Entre les deux seules perspectives envisageables : une situation désastreuse, difficilement redressable mais au prix de la conjugaison de tous nos efforts, d’une part, et, d’autre part,  la destruction, dans une ampleur imprévisible ; nous voilà, aujourd’hui, comme pétrifiés, dans une paralysie dévastatrice dont il est difficile de prévoir les conséquences, négatives  pour la nation entière.

Les Mauritaniens ferment les yeux, consciemment ou non, sur une réalité têtue. Tandis que la Russie et la Chine exercent des pressions en vue de résoudre la crise syrienne, il devient nécessaire, aux maîtres de ce monde, de provoquer des tensions ailleurs. Or la Mauritanie se trouve, actuellement, au centre d’une haute zone de turbulences, entre Afrique noire et Maghreb, non loin de l’Europe et des Amériques. Elle est également frontalière d’Etats en dérive, fragiles ou à l’avenir aujourd’hui hypothéqué, dans une région où prévalent des conflits à caractère ethnique, territorial et religieux. Cet espace est, plus que jamais, l’objet d’enjeux entre plusieurs nations, tandis qu’y sévissent, à grande échelle, la pauvreté, le trafic de la drogue et des armes. D’autres défis majeurs, comme le terrorisme ou la faiblesse de la démocratie, pèsent lourdement sur le devenir des Etats. Les risques d’explosion à tout moment, dans un contexte marqué par de grandes manœuvres géopolitiques, sont bien réels.

 

Pas de réponse aux défis majeurs

La conduite du Monde actuel est nourrie par deux mensonges : d’une part, le danger du terrorisme ; d’autre part, la protection des droits de l’homme et de la démocratie. C’est sous cette chape que les Etats-Unis d’Amérique ont dépensé – investi ? – cinq cent millions de dollars pour entraîner et armer six cents assassins de l’opposition en Syrie, tout en demandant, à la Communauté internationale, de mener une action forte contre le terrorisme ! L’autre grand mensonge qui sous-tend la démarche de certains acteurs de la scène internationale, c’est la défense des droits de l’homme et de la démocratie, alors que, paradoxalement, l’Occident a détruit les institutions et la légitimité de nombreux Etats, en Irak, la Libye et Syrie, notamment, au nom des principes sacrés qu’il prétend défendre. Cette destruction d’Etats souverains s’accompagne de l’imposition de modèles inadaptés de pouvoir, porteur des germes de l’instabilité et de l’absence de toute institution nationale crédible.

Malheureusement, nous sommes concernés, au premier degré, par ces deux mensonges, renforcés de celui, spécifique, que nous vivons depuis l’indépendance : l’illusion de disposer d’un Etat. En effet, les fondements qui font de nous un seul peuple sont mal bâtis, peu profonds et très insuffisants pour résister à la moindre secousse d’ampleur. Les légitimités existantes tirent leur force d’une histoire et de concepts approximatifs qui représentent des motifs de controverses, pour certains. Avec les récentes revendications identitaires, ces légitimités apparaissent d’autant plus anachroniques que les valeurs fondées sur la confiance n’ont pas connu le moindre développement, au cours de l’évolution de l’Etat indépendant. Par ailleurs et mis à part un islam constamment mis en brèche, dans le quotidien des faits politiques, il n’existe plus de critères de convergence pour regrouper les diverses composantes de notre peuple et fonder une réelle unité nationale. Les régimes qui se sont  succédé à la tête de l’Etat n’ont pas développé un environnement propice à la protection de la culture, ni mené aucune action pour préserver notre patrimoine spolié.

En fait, nous sommes en présence d’un Etat que tous s’acharnent à détruire et à refonder sur de nouvelles bases, contraires à celles qui prévalent actuellement et avec une motivation inconciliable avec l’héritage du passé. Cette démarche ne s’accommode pas, non plus, d’un esprit lucide, d’une réforme en douceur, encore moins d’une action concertée. Le cadre politique général censé produire la position du gouvernement n’apporte aucune réponse aux défis majeurs auxquels fait face le pays. Il s’en trouve même loin, en-deçà des enjeux du moment. On n’a pas encore suffisamment mesuré la gravité de la situation que vit notre pays et qui se complique chaque jour davantage, sous nos regards impuissants. Nous sommes un peuple qui tourne le dos à son avenir, aux fortes menaces d’instabilité qui le guettent et qui le conduiront, fatalement, à une catastrophe irréversible.

 

Aspiration à une saine évolution politique

 

Le régime actuel est la manifestation de cet état des choses. Il en constitue même la consécration, en son cumul de décisions génératrices d’explosion, ses préparatifs en perspective de la fin de son second mandat et la multiplication des tensions avec l’opposition. Autant d’échecs patents, en réalité, dans la mise en place d’institutions viables et l’instauration de la justice sociale. La fin de ce régime, en 2019, est une condition sine qua none du retour à la stabilité dans le pays. On doit donc s’atteler à préparer cette échéance qui  concrétisera notre légitime aspiration à une saine évolution politique, via une alternance pacifique, une réconciliation nationale effective préservant la loi fondamentale, si souvent malmenée.

Mais, pour l’heure, notre pays s’engouffre profondément dans la crise. Les acteurs de la scène politique nationale feignent d’ignorer sa situation préoccupante et n’apprécient pas convenablement les conséquences fatales qui en découleront, tôt ou tard. Le drame est que la fin du régime actuel ne conduira pas, forcément, à une situation meilleure pour le pays, sauf si le changement politique s’opère de manière fonctionnelle, par les voies démocratiques les plus sereines. Les perspectives d’un tel choix sont, cependant et a priori, limitées, par l’absence de confiance entre les forces politiques en présence, ainsi que par la difficulté à mettre en place, de façon consensuelle et transparente, les règles du jeu démocratique.

Le régime maîtrise toutes les règles du processus électoral et n’accepte, de partenaires, que ceux qui consentent à opiner du chef, en permanence, en signe d’approbation totale, exactement comme les pendules d’une horloge  fixée en façade de mosquée. La classe politique de l’autre pôle et du régime est à ce point aveuglée qu’elle est incapable de saisir la complexité et la gravité des problèmes engendrés par la situation actuelle. Aussi se montre-t-elle nonchalante et peu encline, sinon à  rechercher des solutions, du moins à suivre des pistes de réflexion dans la bonne direction. La démarche du régime est toute confuse, propageant des informations peu crédibles qui couvrent mal ses intentions réelles. Des ministres sont, à cet effet, mobilisés et matraqués régulièrement, comme cela apparaît au cours de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres d’un gouvernement « technocrate », incapable, à ce jour encore, de s’occuper des souffrances et des préoccupations quotidiennes des citoyens abandonnés à leur sort malheureux ; un gouvernement dont les propos sont émaillés de contre-vérités, n’offrant, au président de la République, aucune proposition de nature à conjurer les périls, en ce moment difficile que vit le pays.

Bien au contraire. Les ministres de ce gouvernement ne se complaisent que dans la flagornerie,  parcourant les villes de l’intérieur sans jamais apporter la moindre réponse aux sollicitations des citoyens relatives à leurs conditions de vie. Citons, par exemple, les tarifs, devenus exorbitants, d’une électricité exportée aux pays voisins, alors que les délestages sont fréquents ; la faible couverture en services de base, tout particulièrement l’alimentation en eau potable ; la prolifération d’épidémies ; la décomposition accélérée de notre système éducatif, etc.

Les ministres de ce gouvernement pêchent par incapacité, manque de lucidité et de clairvoyance, quand il s’agit de parler du dialogue, non pas à cause de leur amateurisme politique mais par ignorance des intentions réelles d’un pouvoir détenu par une infime minorité principalement issue des les rangs de l’armée. De son côté, le FNDU se cantonne dans une position dominée par un verbiage excessif et l’idolâtrie du bras de fer politique. C’est, à l’évidence, mettre la charrue avant les bœufs, alors que la Mauritanie s’agite à l’intérieur, en l’attente de la goutte d’eau qui fera, à tout moment, déborder le vase, on ne sait où, ni quand.

 

Elite affaiblie

Nous sommes attachés à quelque chose d’unique ; un seul leitmotiv, sans intérêt, nous anime : la prolifération de leaders aptes à s’imposer, mais jamais sur la base de compétences reconnues de tous. L’élite de notre société s’est ainsi affaiblie, au point de ne savoir couronner, parmi les siens, en guise de dirigeant éclairé, chef fidèle, que celui capable de confectionner, à lui seul, un mensonge sans égal. Chaque fois, nous répétons le même scénario pour produire des « ânes », à l’image du jeu traditionnel Essigue, avec, pour résultat, de nous enfoncer davantage dans nos malheurs génériques. Nous restons figés derrière ces personnalités, l’une après l’autre figurant aux pieds croisés, de manière permanente, et dont l’échec est, a priori, assuré. Alors disparaissent nos traces, au summum de la fête que nous leur consacrons allègrement. Notre lot quotidien, à nous citoyens, c’est la maladie, l’ignorance, la pauvreté, le chômage, la saleté, l’absence de réseaux d’assainissement dans nos villes, l’insécurité, etc. Tandis qu’engraisse la bête noire qui nous guette, depuis soixante ans : tout simplement, la dislocation  du pays ; d’autant plus que rien ne semble freiner – du moins à court terme – cette marche inexorable vers le néant.

Le vrai problème, qui nous hante depuis les temps illustres, réside dans le hasard qui a présidé à l’émergence de nos chefs et de nos dirigeants politiques. Comment donc ne pas considérer cette situation comme porte-malheur ! De fait, il n’y a pas pire que de voir les gens rivaliser, vaille que vaille, dans la médiocrité la plus exécrable. C’est d’ailleurs pourquoi la majorité des mauritaniens sincères, nos oulémas, nos sages, nos intellectuels et tous les hommes de dignité ne se sont pas inscrits à cette compétition futile. En réalité, il s’agit d’une véritable mise en scène où le pays semble s’installer durablement. Nous traînons, depuis la naissance ou, si vous voulez, depuis l’indépendance, une expérience vouée à l’échec, en ce qui concerne le concept de l’Etat national, parce qu’il n y avait, au départ, aucune base fondatrice de la République Islamique de Mauritanie, ni aucun grand projet de société inspiré des  combats de notre peuple.

Nous ne disposons pas, non plus, de cadres appropriés de concertation et de réflexion où les intellectuels, les écrivains et les penseurs pourraient se mettre à contribution, pour faire entendre raison et éclairer les décideurs, offrant, de la sorte, une plus grande chance à rectifier les tirs, éviter les dérives et constituer un rempart solide contre les tendances centrifuges. En quête de différenciation, on s’abstient de « l’anarchie de l’expression libre »  qui n’est soumise à aucune contrainte professionnelle, ni morale, ni juridique, ni même fondée sur des connaissances solides.

Il n’est pas chanceux ce peuple qui a encore besoin d’un dirigeant pour lui éviter les futilités susceptibles de le conduire dans une voie sans issue ! Nous n’avons pas tiré les leçons des événements de 2008, lorsque nous dûmes tous voyager vers un pays voisin, pour résoudre notre problème national. Aujourd’hui, nous affirmons de nouveau, à la face du Monde, que rien ne nous fera changer de comportement, même s’il s’agit d’une conjoncture moins grave, en termes de légitimité, que celle que nous avons vécue. Notre référentiel religieux, idéologique et juridique ne comporte pas d’indication capable de favoriser une solution à nos problèmes, malgré notre attachement aveugle à ces valeurs établies, comme si elles devaient seulement servir d’affiches. Tous les efforts de conciliation se soldent par des échecs, parce qu’ils n’expriment pas l’opinion souterraine de certains acteurs politiques et, plus précisément, parce qu’ils ne prennent pas en compte, parmi leurs priorités, la satisfaction des ambitions personnelles des uns ou des autres, chacune des parties voulant imposer, à son rival, la signature d’un document de soumission. (A suivre)

 Traduit de l’arabe