Mémoires de Boutilimit / Par Brahim Ould Ahmed Ould Memadi

29 October, 2015 - 09:54

Chapitre 1: Du geste auguste à la vetwa bâtisseuse

Lors de son opiniâtre chevauchée en quête du savoir, feu Cheikh Sidiya El Kebir avait parcouru tous les coins et recoins du très vaste désert qui nous obsède depuis l'ère des temps...Par souci constant de ne rien négliger, le fervent étudiant tripla son cursus...

La dernière étape fut chez la sommité feu Cheikh Sid'El Moctar El  Kinti aux environs de Tombouctou (Azawad); six mois seulement avant le décès de ce dernier...Il continua alors son séjour avec feu Cheikh Sidi Mohamed, fils et successeur du défunt...

Comme son père, Sidi Mohamed fut un éminent monument du savoir...A propos, je soutiens que cet homme est parfaitement le père-fondateur de notre civilisation hybride, arabo-sanhaja, dans nos us, coutumes et règles de conduite!!! Qu'il est aussi et à juste titre, compositeur du premier « GAV » (quatrain) de la poésie hassane et qui en fut le déclic des mécanismes!!! C'était en réponse à un fourbe visiteur qui lui demandait, en termes idiome, « qu'est ce qu'il pouvait bien faire, grâce au secret de la lettre (sûrement arabe) qui soit au dessus du niveau commun??...La réponse fut très prompte, en vers de LEBTEI-T'TAM/:

çed'êl kewn en'guedd n'tâbbou,

wem'nel, kewn en'guedd n'rihhou...

Wel'abd'ile velchou rabbou,

veïdih idir n'vathihhou...

En gros: je peux bien soigner une distorsion dans l'univers, je peux même l'en débarrasser...

puisque le maître, dés qu'il a confiance en son sujet, il n'hésite pas à lui confier ses clefs.

En effet, lorsque Cheikh Sidya décida de rentrer chez lui, le grand marabout le raccompagna sur quelques encablures avant qu'il ne montât à dos de son méhari...Puis, les yeux larmoyants, le maître tendit son bras droit, en plein sud-ouest vers l'horizon, disant:

-Tu vois...la dune...là-bas?...

-...Oui?...

-Ce sera ton site de prédilection...

Ainsi, la grande colline narrée, depuis l'Azawad, fut Boutilimit...cité merveilleuse, point de jonction et creuset réel de brassage de la progéniture, opulente et très généreuse, des frères consanguins et ancêtres Terrouz et Barkeny...Ainsi, se déclenchait, d'il y a deux siècles, le processus de gestation de la sainte Dienke et tout son univers unitaire et cosmopolite...Une grande et merveilleuse citadelle du glorieux Trarza et qui fut surtout, synonyme de la nation entière! Boutilimit fut alors le germoir d'une société, enfin apaisée, puis dans la communion solennelle, contre vents et marées, d'un État sorti du néant...

De retour au terroir, Cheikh Sidiya El Kébir découvrait alors une situation de désolation choquante et d'une ampleur extrêmement grave...Par l’effet de successions accablantes de grandes disettes dévastatrices.... et celui d'un macabre épisode décalé, de la calamité extraordinaire de « Charr-Bebbe »...

Absolument rien d'autre qu'un règne de tous les malheurs sur terre...La loi du désert plus que la jungle, de « S'seïbe » plus que l'anarchie terrifiante, du Far-West, du pillage dégueulasse, du despotisme cruel, de l'esclavage à outrance, du sauve-qui-peut et du sans répit dans la haine...Tout un monde bédouin dépassé, sans foi ni loi, puisque sans fondements, ni repères...Aucune autorité, ni rôles ou attributions extensifs...Ceci sur fond d'insécurité catastrophique ponctué de grandes pandémies, dans une carence complète de toutes structures ou infrastructures...Quant à la prise de conscience au niveau de l'idéal patriotique, elle n'avait absolument aucun sens, à cause du désarroi, la perfection suprême des esprits fut bien vague voire obsolète. Les impératifs de la survie furent le seul dénominateur commun, seule préoccupation permanente dans ce désert sans au-delà…La précarité sévère, l’obscurantisme opaque, la souffrance physique ou morale invariablement complices des malfrats… Le spectre des rezzous et autres fauteurs de razzia, de brigandage, de braquage générait une tourmente effroyable qui s’étalait sur tout le territoire cruellement et entièrement meurtri et délabré par les bandits…Ils avaient un mot d’ordre : ‘’débarrasser le SUD de tous biens et ne jamais en faire une patrie’’. En exemple, pour illustrer l’atrocité des violences et leur cruauté horrible à supporter : Une fois, un groupe de brigands attaqua un paisible campement…Ils tuèrent les hommes trouvés sur place, violèrent les femmes puis emportèrent tout et n’importe quoi à l’issue de leur razzia. Parmi ceux qui avaient pu fuir lors de la confusion, trois jeunes filles qui s’étaient blotties parmi un amas de broussailles qui fut malheureusement, sur le chemin de repli des assaillants…L’une d’elles porta un anneau de cheville (El khelkhal) en argent et qui brillait au soleil. En se pelotonnant sous l’épineuse cachette, elle n’avait pas bien replié les jambes. Attiré par l’éclat du bijou vite convoité, l’un des morveux lascars se détacha de l’indigne colonne vers le tas. En voyant ces belles jambes de la fille, il la tira vers lui et la viola, elle aussi. Après sa très lâche forfaiture il s’en prit au joyau et comme que ça ne venait pas rapidement, il dégaina son poignard, coupa le pied de sa pauvre victime, récupéra l’anneau ensanglanté puis jeta à la fille son propre pied amputé au visage, lui disant : « prends, ramène-le à sa place ». Certes parce qu’ils opéraient en toute quiétude. Mourir dépossédé, violé, torturé, puis froidement massacré...Que fallait-il donc faire en l’absence de toute défense et de tout secours ?

 Par conséquent, ce désert constituait une dangereuse poche de malheur sans tutelle, située au bon milieu des plus vieilles colonies françaises d’Afrique dont certains grondaient déjà… D’autre part, la convoitise d’autres puissances pour ce désert plat devenait de plus en plus précise…Il fallait alors contenir cette menace  contextuelle de  déstabilisation de la zone et à la fois dissuader  ceux alléchés par ce territoire…

C’était là justement, où Coppolani intervint avec son offre de pacification tellement gratuite… En effet, cette conjoncture où la délivrance exigeait un prix obligatoirement exorbitant pour un monde désemparé …

Comment voulait-on alors qu’un bédouin  meurtri, affamé, nu de tout et aptère parvienne à décoller ???

Le côté formel  de la proposition ne pouvait  être qu’encourageant pour les dignitaires  très gravement déconcertés par la situation d’extrême cruauté  qui empirait…Quand au côté tacite, l’administrateur l’avait nécessairement occulté, s’agissant des intentions réelles d’une protection providentielle et à la fois condescendante.

C’était à l’époque où Cheikh Sidiya Baba remplaçait son père décédé… En effet, la vetwa, largement séculaire  fut bien celle de tous les épris de paix et de justice.

Elle fut, sans équivoque la solution consensuelle  parfaitement plébiscitée.

La France  de son côté était déjà en route, elle venait, inévitablement forte de son despotisme en sus d’un mandat de « protectorat », obtenu à la cour des grands de ce monde…Leur processus récursif  de civilisation  de leurs crimes odieux, au nom de l’humanité utopique.

Certes, nul ne veut de la colonisation, ni d’aucune forme de tutelle, mais la paix et la sérénité qui manquaient  dangereusement, limitèrent le choix à celui plus urgent …La pacification qui fut le comprimé enrobé, dont l’odeur, la saveur et même  les effets secondaires importaient peu !

La gravité du mal et la souffrance qu’il générait  justifiait nécessairement un remède urgent et énergique, même celui du cheval ? Aux grands maux, les grands remèdes ??... Sûrement, le choix ne fut pas agréable, mais moins amer et moins coûteux en dégâts, surtout humains….En tout cas, à quelque chose malheur fut bon… Nous fûmes apaisés et dépassionnés, puis contraints, malgré nous-mêmes  de nous regrouper enfin de croire à un idéal commun, un destin meilleur et clément…

Cheikh Sidiya Baba fut l’homme d’Etat sans égal de son époque, une époque d’opacité, d’obscurantisme intenable sur fond de frayeur éperdue…

Nul ne doit ignorer que cet homme hors du commun, vétéran de la sommité, après sa mort en 1924 avait légué à tous, en plus d’une société  adoucie, l’ébauche d’un Etat.

 

 

Plus tard, viendra la souveraineté, octroyée, à la différence, loin s’en faut, de l’Algérie et du Vietnam… Elle fut civilisée, contre vents et marées !  Puis tôt travestie et militarisée par omnipotence, toujours de l’ailleurs… Et nous y sommes depuis bientôt quatre décennies d’hibernation de tout l’Etat !!!

Pourtant Cheikh Sidya Baba, par son âme immaculée, est sûrement au paradis, depuis quatre-vingt-onze ans, par décompte terrien…

Dites-nous donc, chers visionnaires très résistants, qui a bien collaboré, cette fois-ci, avec les occupants des temps modernes ???...

Enfin et très heureusement, notre résistance d’antan s’est ressuscitée… Reste à savoir, pourquoi, par qui, pour qui et surtout contre qui ???

  • La nébuleuse, aurait-elle reçu trois caisses de Bordeaux ???
  • Ou s’agit-il de l’instrument de la famille luth des siècles derniers ???

Quoiqu’il en soit, ça sent l’agueusie d’une chicane, pas du tout anodine…

Frappés d’apoplexie, nos visionnaires, candidats, pas haut déclarés, à la prophétie, d’esprit chimérique, ne doutant point de leur illusionnisme, ainsi que d’autres grands héros, en panne de lauriers anticipés, se targuent de tant de choses…

Leur ostentation effrénée et incongrue leur fait croire, malheureusement très tard, à la ‘’connivence’’ de feu Cheikh Sidiya avec N’çara, lors de l’occupation de la Mauritanie ??... Qu’il avait tort par sa Vetwa permettant aux mécréants d’envahir le pays. A ce propos, il faut bien rappeler que chez nous, tout est tronqué, depuis un certain temps… A commencer par notre histoire, notre présent et devenir… nous sommes sans mémoire, sans archives (détruites) à escient… On manipule sous silence, on racole, on invente, on façonne, etc… à la mesure de l’idole adulée et applaudie, en attendant la suivante…

Ensuite, qu’aucune autre initiative ou avis de l’époque, n’avaient récusé la vetwa du grand saint-stratège, qu’il fut !! Cependant, qu’en ces temps, à la différence de la paix et la sérénité, tout manquait sauf les marabouts et les guerriers ??

Cette preuve, très significative, ne justifie-t-elle pas, à elle seule, l’équivalent, même implicite, d’un référendum où le plébiscité fut bien acquis, régulier et sans bricolage ???

Les vetwas qui servent les mécréants sont bien celles actuelles réputées très alignées…

Dans la rue, elles se vendent, se techeb-tchebent pour le compte de très riches, grands propriétaires, notabilités-claques qui prospèrent sur le dos des victimes innocentes de la misère accablante…

Pourtant, cette calamité fut très dignement le domaine favori de ce même Cheikh Sidiya et son très intime et inséparable Memadi (Mohamedou), comme tant d’autres parents et proches…

 

Ces hommes avaient bien tout mais ils n’avaient rien pour eux-mêmes tant qu’il se trouvait un nécessiteux à leur portée. Tout, leur tout fut pour les pauvres, dans leurs actions séculaires, très aisées, permanentes et sans restrictions, contre la misère. Ce douloureux et pénible malheur qui fait actuellement le bonheur des uns.

Quant aux colons, de tout temps, leur ubiquité est bien dans le varou (couverture traditionnelle en laine de mouton) comme la dépouille de l’agneau… au vu et au su d’une ‘’résistance’’ au pas, ‘’collaboratrice’’ et plus que Cheikh Sidya ???

Volontiers, je ne me récuse pas en parlant de cet éminent homme, puisque l’objet de mon essai est bien Boutilimit et j’y viens par sa grande porte. D’autre part, je n’ignore parfaitement pas par où déguster l’omoplate.

S’agissant du reproche gratuit, fait au monumental Cheikh, il ne peut être qu’éloge posthume puis, de la part de ceux, extrêmement intrépides qui n’avaient jamais pris à aucune bataille de ‘’leur’’ résistance chimérique… Très différente de celle, réelle et vaillante mais malheureusement individuelle et très isolée, des vrais grands héros : Ould Moulaye Zein et ses vaillants compagnons Ideïchelli, Ahmed Ould Deïd, Ould Ahmed Aïda, Ould Mséîke et consorts.

Quant à moi, par l’apologie que je fais de notre sommité, je me revigore sans équivoque. Et puisqu’il n’en a pas besoin, je me rappelle ainsi qu’il fut et demeure loué, cajolé, flatté, adulé, encensé, flagorné, estimé,  prisé  mieux que tout. Essentiellement par la pléthore de spécialistes en la matière, mieux que quiconque, sincèrement et sans bourrage.

Sans trop m’éloigner, la très célèbre Aemeîrina, à elle seule, n’avait absolument rien laissé à dire. Une fois, par exemple, lors de l’accueil de remarquables visiteurs, on lui a ordonné formellement de ne pas parler, ni broncher,  afin de ne pas déranger un aparté avec les hôtes.

Ne pouvant alors que violer la rigoureuse consigne, elle ne put s’empêcher de se faufiler auprès de son homme idoine et, à basse voix, lui fredonna à l’oreille (traduit de l’arabe) à : ‘’Dis-moi, je t’en prie.. que puis-je alors te dire ? Dois-je revenir petite fille vierge.. aux prétendants multiples ? Ou bien une vieille surannée… mourante de misère etc. etc…’’  Refrain très revigorant (Chor) à la gloire, comme tant d’autres, d’une pléiade de saints très illustres qu’il avait mise au monde ; au même titre qu’un peuple de proches et disciples, sur plusieurs générations et pour l’éternité. Aussi et surtout il faut bien le rappeler, Cheikh Sidya avait un vœu cher et célèbre (Douâa) que le très bon Dieu exauça impeccablement à Boutilimit : Les français n’y laissèrent aucune progéniture malgré son cosmopolitisme.

Pour ceux, très nombreux, qui ne récitent pas ‘’leur’’ hymne national, rappelons aussi que ce poème est bien dit par ce grand érudit, un hymne pour ce qui nous fait cruellement défaut : un Etat démocratique et surtout juste.

Enfin et sans ambages, j’assume le caractère apolitique de ma réaction-réflexe quant à une provocation, certes outrageante, que je m’abstiens d’encaisser. S’agissant de mes propos, je les ai voulus civilisés, par la stature spirituelle et temporelle  d’une immensité religieuse et à la fois très grand et brillant homme d’Etat.