Samory ould Bèye*: ‘’C’est pour redresser les déséquilibres et réparer les injustices majeures dont sont victimes les haratines que je me suis adressé aux Nations Unies’’

13 January, 2016 - 23:18

Le Calame : Vous venez d’organiser une conférence-débat sur le contenu des deux missives que vous avez adressé à B. K. Moon, secrétaire général de l’ONU. Peut-on savoir pourquoi avez-vous décidé de faire appel aux Nations Unies pour la protection des Haratines de Mauritanie victimes de l’esclavage ?

Samory ould Bèye : Tout d’abord,  je vous remercie pour m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur un certains nombre de  questions qui préoccupent nos concitoyens.  A propos  de celle-ci, je dirai que les raisons sont multiples et variées. Comme  vous le savez, il n’y a pas plus douloureux, de plus violent et difficile à supporter que ce dont sont victimes les Haratines de Mauritanie : pratiques odieuses et affreuses  de l’esclavage dont notre cas présente une des dernières poches au Monde ; quoi de plus dur et humiliant, pour un être humain, que d’être privé de sa dignité, soumis à la domination, à l’exploitation, à l’exclusion ; quoi de plus révoltant que d’être relégué au bas de l’échelle sociale, confiné dans des conditions dégradantes, vivant en perpétuelles précarité, ignorance, analphabétisme et misère extrême, en totale asphyxie économique ? Les Harratines qui vivent tout cela ne peuvent qu’agir pour se libérer, s’émanciper, intégrer la totalité du circuit de la société, recouvrer leur intégrité, leur dignité, leurs droits fondamentaux, leur pleine et entière citoyenneté, dans un Etat de droit où ils occupent la place qui leur revient, suivant leur poids démographique. Pour y arriver, ils doivent user de tous les moyens démocratiques et pacifiques, comme autant de recours  légitimes à leur défense. C’est en cet esprit que les Haratines ont formulé et posé leurs doléances, à l’Etat mauritanien et à l’ensemble de la Communauté nationale,  en vue d’une action collective concertée, à même de leur permettre de recouvrer leurs droits. Une  initiative qui a buté sur les barrières d’une société réfractaire et sur les intérêts des communautés nationales qui, dans leur complot historique, se sont partagées le pouvoir et les richesses du pays, excluant la composante haratine, malgré sa dominance démographique. Cette image faussée des réalités continue, aujourd’hui encore, à prévaloir, au détriment des  Haratines, et rien n’augure de ce que quelque chose sera fait, pour le recouvrement de leurs droits. Cela ne pourra se réaliser qu’à travers  le redressement de ces déséquilibres et la  réparation de ces injustices majeures, nées d’une volonté politique et d’un système esclavagiste injuste, érigé en système d’Etat. C’est pour ces multiples raisons que je me suis adressé aux Nations Unies, une institution ayant mission de faire appliquer  les conventions, normes et règles des droits fondamentaux. Notre pays en est membre. Il a l’obligation d’en respecter la Charte et les fondements, ce qui implique de mettre en œuvre toutes les conventions garantissant les droits des personnes et des peuples. Nous faisons partie intégrante de ce monde libre, respectueux des valeurs morales et des principes fondamentaux de l’homme que la Mauritanie viole, depuis son indépendance à nos jours.

 

- Faut-il comprendre, dans cet appel, que votre combat de l’intérieur a échoué ?

- Pas du tout. Notre combat  de l’intérieur se poursuit et progresse. Notre front est solide et se consolide. Nous avons seulement ouvert un second front à l’extérieur où l’Etat opère, depuis des décennies, pour nier  toutes les réalités, par toutes sortes de duperies. C’est pour cela que j’ai débarqué sur ce front : juguler la thèse du régime et clarifier les choses à ceux qui ont été trompés par l’Etat mauritanien, étant entendu que, dans toute lutte, tous les moyens sont bons, surtout quand il s’agit d’une cause aussi juste que la nôtre.

 

- N’êtes-vous pas quelque peu déçu que cinq ans après votre premier appel, l’ONU n’ait toujours pas réagi ?

- Pas du tout. Au contraire, les  Nations Unes ont bien répondu et réagi positivement. Par la désignation d’un rapporteur spécial, par une feuille de route conçue et présentée au gouvernement, par des appuis à des programmes de campagne de lutte contre l’esclavage et ses séquelles, l‘ONU n’a cessé et ne cesse d’agir, auprès du gouvernement mauritanien, en vue de voir prises des mesures pratiques, pouvant, à terme, aider au changement d’une situation qui constitue un affront à la Communauté internationale et une insulte à l’Humanité tout entière.

Certes, nous pensons que beaucoup d’autres choses fondamentales restent encore à accomplir, par  le gouvernement mauritanien qui  n’a pas la volonté d’aller au fond du problème, en pratique, et cherche toujours à déjouer la vigilance de la Communauté internationale. C’est cela que ma dernière lettre est venue démontrer : éclaircir les choses et démonter  les allégations fallacieuses que l’Etat mauritanien n’a cessé de véhiculer, de l’indépendance à nos jours, comme quoi tous les Mauritaniens seraient égaux en droits et en devoirs, que l’esclavage aurait été effectivement aboli, dès 1960, par la Constitution… alors que, tout au contraire,  l’Etat  n’a posé aucun acte d’application de ses  différents textes de lois, pour éliminer  l’esclavage, la discrimination et l’exclusion. Voyez mon réquisitoire.

 

- Mais le gouvernement mauritanien a tout de même mis en place un important arsenal juridique pour éradiquer l’esclavage et ses séquelles. Ne  trouvez pas que c’est un pas important pour la cohésion sociale ?

- Dans le réquisitoire adressé aux Nations Unies, j’ai démontré, très clairement, que tout cet arsenal juridique développé, par l’Etat mauritanien, de l’indépendance à aujourd’hui, n’a jamais eu d’effet, parce qu’aucun texte d’application n’a été  promulgué, en vue de la mise en œuvre de ces mesures ou de l’arsenal juridique. Cela prouve combien l’Etat mauritanien a systématiquement manqué de volonté politique  et s’est, tout simplement, limité à tenter de duper l’opinion internationale. Il  n’a, notamment, jamais pris de mesures draconiennes d’accompagnement, au plan économique et social, afin de changer la situation où se trouvent les membres de la communauté haratine laissée pour compte. Pas plus qu’au plan politique, notamment dans leur implication dans la gestion des affaires de l’Etat. On n’a jamais cherché à redresser les déséquilibres majeurs,  du fait de l’exclusion de cette communauté, victime de ce que j’appelle, moi,  le   « complot historique »  mené  par  le « trio ». C’est ce complot qui a mis la communauté haratine sur la touche et abouti au partage, sans elle, du pouvoir et des richesses du pays.

 

- Dans vos déclarations et missives, vous affirmez que les Haratines sont différents des Maures, exigeant, même, la modification de la Constitution, pour y inclure ce segment en tant qu’entité distincte des autres composantes du pays. Qu’est-ce qui justifie cette revendication ?

- C’est vraiment simple. D’abord, les Haratines sont effectivement distincts,  aussi bien des Maures que des Négro-africains. Ma conviction à moi, c’est que, pour recouvrer leurs droits, il faut que les Haratines soient d’abord reconnus, constitutionnellement, en tant composante nationale distincte des deux autres, avec ses spécificités propres et ses intérêts particuliers à préserver. Oui, je sais que cela remettra en cause l’ordre préétabli et enlèvera la couverture de légitimité que s’entretiennent  les autres.

 

- La conférence-débat  a vu la participation, massive, de presque tous les groupes ou mouvements haratines actuels. Partagent-ils cette revendication ?

- Non seulement, la participation massive des cadres et intellectuels haratines, dépassant sept cents personnes, est la preuve tangible de leur adhésion au contenu des lettres mais et surtout tous  les  intervenants l’ont dit explicitement, insistant sur la nécessité de lutter, de concert, pour la réalisation de ces objectifs primordiaux.  

Propos recueillis par Dalay Lam 

 

président du Mouvement El Hor, président  du Conseil national du parti El Moustaqbel et secrétaire général de la CLTM