Nouvelles d’ailleurs : La dèche...

17 March, 2016 - 00:51

Dèche. Dèche par-ci, dèche par-là. Voici le nouveau mot à la mode chez les Nous Z'Autres. Il est partout, dans toutes les bouches, conjugué à toutes les sauces. Il est démocratique : les pauvres l'emploient, les classes moyennes le murmurent, mine affligée, les riches l'assènent, rageusement : dèche. Pas de luttes des classes, un vrai vocable égalitaire. « Comment vas tu ? – Dèche. – Comment va ta famille ? – Dèche. – Comment va la grand-mère ? – Dèche. (Est-ce à dire que nous faisons face à un déficit de grands-mères ? Kham, a pensé la chroniqueuse qui vous pond cette chronique hebdomadaire) – Comment vont les rougeurs des fesses du petit dernier ? – Dèche. » Et tutti quanti, jusqu’à la dèche totale. Là où notre politesse légendaire ou, plutôt, notre propension à manier le Verbe, avec amour et truculence, nous imposait de répondre par l'affirmative « El hamdou lillahi, el khaïr.... », nous voici soudain «  uni-mot ». Pendant des siècles, nous répondions aux salutations par un optimisme quelque peu suspect. Vous aviez la peste ? El hamdou lillahi, tout va bien ! Vous étiez à l'article de la mort ? El hamdou lillahi, tout va bien, macha Allah ! Nous avions instauré les salutations où, quoiqu'il se passe, el hamdou lillah, tout va bien !

Parfois un impoli tentait une diversion en répondant « Bouyye, tu vois bien que j'ai et la peste et le choléra et le botulisme et la dengue, wallahi rien ne va ! El hamdou lillah… » Ce quidam révolutionnaire était aussitôt inscrit à la case «  n'a pas toute sa tête » et rentrait dans le rang.

Bref, el hamdou lillah, tout allait bien. D'accord, après ces échanges d'amabilité où nous faisions comprendre, à notre hôte, que, dans notre petit monde familial, tout un chacun était en bonne santé, que nous mangions tous les jours à notre faim, que tout était parfait, nous pouvions commencer à parler les choses sérieuses, autour d'un verre de thé, en disant la vérité, à savoir que la nièce avait la gale, que la femme connaissait des vapeurs, que les temps étaient durs, etc., etc.

Aujourd'hui, on saute la case départ. Plus le temps des départs. Nous nous adaptons au sur-place de notre situation économique. Notre Sultan avait, coup de génie de son staff « communication et autres manières de s'adresser aux Nous Z'Autres », inventé le fameux «  Président des Pauvres ». Chacun d'entre nous était très content de ne pas appartenir à cette classe de miséreux : il y avait les pauvres et nous. Cela ne nous empêchait pas de râler car, « intellos » que nous sommes, nous moquions le populisme éhonté de cette fonction présidentielle fièrement affichée.

Pourtant, force est de constater que notre Roi avait raison. Il est bien le Président des Pauvres. Il gouverne un pays peuplé quasi exclusivement de pauvres. Il y a toujours les pauvres traditionnels, variables d'ajustement de toutes campagnes politiques. Ceux là sont pauvres, pauvres parmi les pauvres. Ils n'ont jamais connu la moindre opulence. Ils ont une fonction bien précise : justifier les distributions de yaye boy par des excités de la majorité politique, la ponction dans les caisses de la SNIM et autres « petits achats des consciences »... Ils doivent rester pauvres, ces pauvres-là. Riches, ils ne serviraient à rien. Ils aiment les puissants qui viennent, parfois, leur rendre visite, la télévision qui les filme, le temps d'un déplacement de la grande caravane qui suit les « visitations présidentielles »... Le pauvre pauvre permet de magnifiques reportages.

Mais, situation économique oblige, notre République des Sables s'est réveillée, un matin, pauvre, plus que majoritairement pauvre, massivement, unanimement pauvre. Un monde de pauvres. Un monde de dèche. Un monde de diable tiré par la queue, d'angoisses, de survie primaire. La dèche totale : pas d'argent, pas de travail... Rien ne bouge : nous sommes dans le temps de l'immobilité. L'argent est là, quelque part, mais il ne circule plus. Et une richesse qui ne circule pas est aussi ridicule qu'un pou sur la tête d'un chauve. C'est la dèche, le trou abyssal de la désespérance. Nous sommes entrés en agonie...

Et nous sommes bien obligés de constater que notre Raïss avait raison : il est bien le Président des Pauvres. Il ne dirige qu'un pays de pauvres. Pour résumer, pour nos amis occidentaux qui me lisent : en haut un Président des Pauvres, en bas des pauvres, des pauvres partout, rien que des pauvres. Comme ça, tout est simple. Pas de prises de tête. Nous sommes dans la dèche. Un pays de pauvres et.... d'experts.

Z'avez regardé le journal de notre télévision nationale ? Pendant 30 minutes, reportages à l'appui, nous sommes heureux de constater que, si nous ne sommes pas capables de faire bouillir nos marmites, des gens pensent et travaillent pour nous. Nous sommes un pays de réunions, de comités, d'ateliers de travail, de ministres qui sont sur le terrain, de re-réunions, de re-comités, de re-ateliers de travail, de re-ministres ou de sous-ministres re-sur-le-terrain, à inaugurer des stades, des chantiers, des chantiers et encore des chantiers...

Le pouvoir travaille. Il nous le fait savoir. Notre administration travaille. Elle nous le fait savoir. Nos ministres travaillent. Ils nous le font savoir. Notre télévision nationale travaille. Elle nous le fait savoir. Nous sommes champions toute catégorie de l'atelier de travail. De quoi nous plaignons nous, nous, pauvres dans la dèche ? Qu'on m'explique le but premier de l'atelier de travail qui ne sert à rien. Mais ce sont nos ateliers de travail. Ils nous appartiennent. Nous n'avons qu'eux, pour adoucir nos soucis et tracas de pauvres. Nous sommes des pauvres heureux de nos ateliers de travail. Ils ne servent à rien ? Pas grave : ils nous permettent, au moins, un bonne tranche de rigolade pendant 30 minutes, tous les soirs au journal national et « international » (ça, c'est pour épater les quelques suicidaires du monde arabe et africain qui s'emmerderaient tellement qu'ils auraient envie de regarder nos chaînes de télé...).

Bref... Nous sommes dans la dèche. Nous n'avons jamais autant été dans la dèche, une bonne vieille crise économique de derrière les fagots, bien dure. Et, vous savez quoi ? Les vraies mauvaises nouvelles économiques ne sont pas encore arrivées ! Comme le dit, avec un humour désespéré, un ami : «  Je me suis fait crédit à moi-même et je n'arrive pas à me faire payer ». La dèche... Salut

 

Mariem mint Derwich