L’attaque du train minéralier par le Polisario le 17 décembre 1976

7 April, 2016 - 21:19

Samedi, le 17 Décembre 1976. Il est 05:00 du matin, le premier train minéralier (M3) de la SNIM en direction de Nouadhibou entre dans le chantier de Dhi Bilal (les lacs de Bilal). Un homme, emmitouflé dans son chèche et bien agrippé dans la place spécialement aménagée pour lui permettre de se maintenir en équilibre, tente de percer les ténèbres qui l’entourent malgré la poussière  minérale compacte soulevée par le train. Pendant tout le trajet, il était bercé par les claquements et les crissements cadencés des essieux des wagons. C’est le guetteur du wagon d’escorte du train. Tout semble normal. De temps à autre, une voix vient de l’intérieur du wagon blindé demandant s’il n’y a pas du nouveau et la réponse du guetteur reste invariable: RAS (Rien à signaler). Lorsque les locomotives arrivent au niveau de la baraque du gardien du chantier, une formidable explosion se fait entendre et le train commençe à perdre de la vitesse avant de s’immobliser. Instinctivement, le soldat se plaque derrière le paravent d’acier conçu spécialement pour le protéger contre les balles des éventuels assaillants. Les occupants du wagon réagissent instantanément au bruit de l’explosion alors  que la sentinelle hurle: “Nous sommes attaqués”. Puis brusquement le train devient la cible de toutes les armes individuelles et collectives des assaillants. Une pluie diluvienne de projectiles s’abat sur le train. C’était la classique “boule de feu” destinée à prendre de court l’adversaire, créant un effet de surprise donnant momentanément un ascendant moral à l’attaquant et créant une confusion initiale parmi les forces attaquées. Les soldats prennent position et commencent à riposter à travers les meurtriéres aménagées dans les wagons. Le chef de groupe s’élançe rapidement vers le haut du wagon pour se rendre compte de la situation. Il essaie le contact avec l’équipe en queue, mais aucune réponse, seul un faible grésillement lui parvient du poste. La liaison radio est assurée par de vieux TRPP8 qui ne fonctionnaient qu’à moins d’un kilomètre. Toutefois, les consignes ont été données dès le départ. L’escorte est composée de onze hommes répartis sur deux wagons aménagés pour le combat, l’un à l’avant du train à proximité des locomotives avec six hommes à bord et l’autre à l’arrière du train au même intervalle du fourgon des convoyeurs en queue avec 5 hommes à bord. Chaque équipe sait  ce qu’elle a à faire en cas d’attaque. Pendant une heure et trente minutes, l’escorte oppose une résistance farouche aux attaquants, les tenant en respect le plus loin possible du train. Les hommes d’escorte disposent d’une flexibilité d’action grâce à l’aménagement des meurtières dans toutes les directions des deux côtés des wagons. Le renforcement latéral des wagons par des plaques d’acier assure une protection efficace aux occupants. C’est la troisième fois que le train est attaqué depuis le début des hostilités. Les hommes sont aguerris. Ils savent parfaitement que leur survie est liée à leur solidarité, à leur discipline de feu et à la conservation de leur sang-froid. Ils savent que le premier renfort ne pourra pas arriver avant la fin de l’accrochage. A mesure que le combat se prolonge, les hommes de l’escorte du train s’adaptent à la forte pression du combat. Les yeux rougis par les gaz, le tireur de l’arme collective tient à deux mains la poignée du monstre d’acier qu’il utilise, une mitrailleuse HB50 qui tressaute entre ses mains. A cause de l’énorme consommation en munitions, un monticule d’étuis et de maillons s’est formé à ses pieds.

Trahi par les jets de flammes qui s’échappent de son arme, l’homme posté sur le wagon est devenu la cible préférentielle des assaillants. Sentant sa situation intenable, il saute à terre, et cherche protection derrière le wagon. En position au jeter debout, il commence methodiquement à tirer sur les cibles mobiles devant lui. Soudain, il sentit une douleur fulgurante sous son sein gauche et simultanément sous l’effet de l’impact de la balle, il se sentit soulevé dans les airs avant d’attérir sur son dos. Rassemblant toutes ses forces, il tente de se relever et arrive à se retrouver sur ses genoux. Plantant la crosse du mauser dans le sable mou et maintenant fermement le garde-main de l’arme par sa main gauche, il essaya de se hisser sur ses pieds. Son regard incrédule se posa sur le sang chaud giclant à grands jets du trou béant laissé par la balle. Il titube et prend appui sur sa main droite pour se maintenir en équilibre. Dans un effort surhumain, il s’arc-boute toujours, prenant appui sur son arme et ramena sa main droite  pleine de sable. Il contempla d’un air subitement nostalgique la poignée de sable qu’il serrait énergiquement dans sa main. Il releva légérement la tête pour voir les premises du futur lever du soleil. Pendant une fraction de seconde, il eut l’impression d’avoir flotté pendant des siècles sur des coussins ouateux. Son regard devient vitreux. Il psalmodia quelque chose, puis soudain son corps devient mou et il bascule lourdement sur son côté droit faisant face au levant. L’arme toujours tenue par sa main gauche tombe sur sa poitine. Les cristaux de sable glissèrent entre les doigts de sa main inerte.

Au fur et à mesure que les ténèbres se dissipaient, les hommes arrivaient à mieux apprehender la nature des assailants. Les onze hommes faisaient face à plus d’une vingtaine de véhicules extrêmement mobiles, dotés de mitrailleuses lourdes et d’armes antichar, les redoutables B 10.

Les assaillants étaient visiblement acculés par le temps. Bientôt il fera plein jour et les avions seront sur place. Ils ne s’attendaient pas à cette forte résistance. Certains véhicules s’enhardissent pour venir au plus près de la voie ferrée, roulant le long du train en rafalant. Finalement, les assaillants se regroupent puis s’éloignent du lieu de l’accrochage. Quelques minutes plus tard, cinq vehicules légers reviennent et tentent de lancer un assaut.  L’escorte du train, habituée à ce genre de simulacre, garde intact son dispositif et reagit à l’attaque. Un avion, un piper de la Snim, survole le lieu de l’attaque à haute altitude. Les cinq véhicules rejoignent le gros des troupes ennemies qui s’élance en direction du nord. Quinze puis vingt minutes de calme absolu suivent le vacarme du combat, interrompu de temps à autre par le gémissement d’un blessé. Visiblement l’ennemi s’était définitivement esquivé. Des têtes émergent timidement des wagons à differents endroits du train. Les hommes de l’escorte sortent des wagons. Un guetteur est mis en place et, après la jonction entre les deux équipes, on fait le bilan de l’attaque.

Deux hommes sont tombés sur le champ d’honneur: Adjudant Ahmed ould Ethmane, matricule 1236 et le garde SyAmadou Malal, mle 3881.  Six hommes ont été blessés: les gardes Abou Alassane M’baye 3697, Taleb Ould Mbeirick 3737, Mini Ould Mahfoudh 2561, Bilal ould Brahim 3735, Deddah Ould Guerry 3805 et Mbareck ould Matalla 3739.

 

Mohamed Lemine Taleb Jeddou

 

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