L’or et le discours de Néma (2) : Les prémices de changement dans les rapports avec le régime ou la révolution contre Aziz et Tasiast /par Mohamed Mahmoud ould Bekar

27 May, 2016 - 00:39

Dans le premier article de cette série, l’auteur s’est particulièrement penché sur l’actuelle ruée vers l’or dont l’Etat mauritanien a cru devoir tirer des dividendes immédiats, sur le dos d’une classe moyenne imprudemment éblouie. On va voir maintenant que tel sera pris, en définitive, qui croyait prendre…

Tout le matériel un tant soit peu technologique de prospection est importé, mobilisant beaucoup de  devises, et fait l’objet de terribles spéculations. Dans la semaine suivant l’annonce, par le gouvernement, de sa disposition à octroyer des permis, les prix ont grimpé de 733 à 17 000 dirhams émiratis ; 1 500 000 UM, voire 2 000 000 UM, localement. Epuisés en France, les stocks sont importés de Grande Bretagne à 1 700 € pièce, Espagne, 2 800, et Amériques, 3 000 ; soit, au total des permis, quinze à dix-sept milliards d’UM en devises dont le marché s’est subitement affolé : en quelques jours, l’euro est passé de 395 à 412 UM, le dirham émirati de 97 à 110. Une tendance également remarquée sur les prix des produits d’approvisionnement, également montés en flèche.

Les citoyens engagés dans cette opération dramatique se trouvent, désormais, à courir entre deux feux brûlants : celui des charges que l’Etat et les commerçants ont imposés sur une activité périlleuse et    incertaine ; et la pauvreté quasiment programmée par une politique officielle qui ne laisse entrevoir aucune relance économique, ni donc aucune amélioration du climat des affaires et de l’emploi. Le pouvoir va devoir supporter sereinement  un torrent d’accusations. Tout d’abord, celles de tromper le peuple et de spolier ses biens, sans la moindre contrepartie, l’Etat  percevant une sorte d’impôt sur investissement, alors qu’aucune étude ni cadastre n’ont révélé d’or  sur le terrain ; puis celles de son insouciance et de son abandon des citoyens, face à la spéculation des sociétés étrangères et des commerçants.

 

Des mirages de l’or…

Le débat se déroule loin de l’entendement des pauvres mais n’en fait pas moins couler leur salive.  Ce sont eux qui auraient dû tirer profit de cette opération, dans le cadre de la discrimination positive censée promue par un gouvernement qui prétend s’engager dans la défense les pauvres, clamée, sur tous les toits, par le président de la République qui s’affuble lui-même du titre de  « Président des pauvres ». Le régime a fait, a contrario, exploser la situation intérieure, en annonçant l’or à profusion. Les gens ont pris la nouvelle au sérieux, vendu leurs biens, mobilisé leurs épargnes, se sont endettés, en mutualisant, tambours battants, leurs moyens et leurs efforts, sans jamais envisager, un seul instant, l’échec, en ce que l’or pourrait ne pas être trouvé en quantité rentable. Grave situation qui me rappelle la fantastique vision de Mikhaïl Boulgakov – « Le diable visite Moscou » –  imaginant Satan de passage en la capitale russe, dans les années 40, alors que l’Union Soviétique était isolée du Monde.

L’ennemi des hommes organisait une soirée, à l’opéra de Moscou, plaçait, sur le proscenium (l’avant-scène), une exposition des modes mondiales et demandait, à l’assistance, de venir s’en approprier, chacun, à sa guise. « Cela lui fut », commente Boulgakov, « un rêve ». Peu à peu, les gens envahissent la tribune, jusqu’à ce que, dans la chaleur de la cohue, la frénésie s’en mêle : chaussures et habits volatilisés, certains jettent jaquette et chemise, d’autres, pantalons et chaussettes, certains vont jusqu’à ôter leurs sous-vêtements, les montres tombent, les chaussures frappent aux tempes, les gens s’écroulent en paquets, jambes et bras entremêlés,  comme en la plus bestiale orgie. En un rien de temps, l’exposition est saccagée, laissant le public se découvrir, les uns aux autres, complètement déshabillés, chaussures et habits mélangés, dans un terrible tohu-bohu d’où jaillissent des cris stupéfaits. Chacun se démène, maintenant, à trouver de quoi couvrir un tant soit peu de son corps nu ou récupérer quelque habit perdu dans la mêlée.

Voilà ce que nous sommes en train de vivre, avec la rumeur de l’or. Une véritable frénésie s’est emparée de chaque individu. Oubliant sa situation réelle, il s’est jeté, à corps perdu, dans une aventure où il va découvrir, tôt ou tard, qu’il  a dilapidé son épargne, peut-être son avenir, pour peu que l’or ne soit que chimère. Et l’on ne manquera pas d’indexer le régime, tout aussi responsable de  cette situation pitoyable et de ses éventuelles conséquences pour le pays. Et l’on pointera également du doigt sa connivence avec la société Tasiast dont il ne fait déjà plus l’ombre d’un doute qu’elle a pillé les ressources du pays. En prétendant que le coût d’exploitation de l’or, à ciel ouvert, lui revient à 1 462 dollars l’once, cette entreprise nous ruine et devra être soumise à la justice, avant d’être nationalisée, proportionnellement à son pillage du pays. Quant au gouvernement, il devra répondre de ses dix années de silence sur cette alarmante situation.

 

… aux mirages de Néma

Le retour de ceux qui se sont rués vers le Tasiast ne sera pas meilleur que celui des exaltés accourus, en grand vacarme, à Néma, pour assister au meeting du « Grand rassemblement », mettant fin à tout espoir démocratique, sous ce régime des « généraux » d’Aziz. Véritable retour en arrière et troisième reniement de l’honneur de notre institution militaire. On se souvient du premier acte : après la Transition de 2005, marquée par un accord tacite, avec toute la classe politique qui acceptait de parrainer le coup d’Etat en échange du retrait de l’armée de la scène politique, il ne fallut long temps pour que l’armée revienne à la charge, en menant le coup d’Etat de 2008, véritable revers pour le pays. L’institution militaire s’est alors à nouveau engagée, avec la bénédiction, encore, de la Communauté internationale, à se dégager du jeu politique. Fameux dialogue de Dakar qui ouvrait l’acte 2… Sous de fausses apparences, le pouvoir des généraux s’engagea dans l’élection de 2008 et son exploitation du filon « dialogue ». Jusqu’aux prémices du plus funeste troisième acte, aujourd’hui, où l’on voit Ould Abdel Aziz préparer, avec autant de ruse que de ténacité, un coup d’Etat constitutionnel.

L’ambition du pouvoir en place n’a jamais été de faire prospérer la démocratie. C’est, en substance, ce qu’a avoué le Président à Néma, en déclarant qu’un certain niveau de démocratie était encore hors de portée. Il ne veut pas d’une démocratie fonctionnelle où l’opposition, indépendante, joue son rôle naturel de contrepouvoir. Il ne s’accommode pas, non plus, de la conduite des affaires dont il ne tiendrait pas, seul, le gouvernail. S’appliquant à donner plus grande place aux tribalistes et aux régionalistes, sous les effets conjugués des  conflits et des tensions  politiques montantes, il joue, désormais à fond, la carte de la division. Un pas en avant, trois en arrière… En mettant à profit les plus désuètes juridictions, le pouvoir révèle son désintérêt croissant envers la pratique démocratique et abandonne, de fait, toute mesure pouvant contribuer à une renaissance en ce sens. Nous sommes en train de construire un système démocratique falsifié. L’attaque contre l’alternance politique,  tant en son principe qu’en ses modes, fait courir de graves dangers au pays et la modification de la Constitution ne manquera pas de porter un coup fatal à son avenir.

Aziz remue de plus en plus son doigt dans la plaie saignante. Il agit comme s’il n’avait déposé le Président Maaouiya que pour s’installer, à sa place, durant, au moins, vingt ans. Mais les peuples en ont assez de ce genre de régime qui s’accroche désespérément au pouvoir, au-delà de dix ans, alors que de telles  situations engendrent, banalement, des crises multidimensionnelles. A cet égard, il faut avoir la lucidité de reconnaître la détérioration de notre situation nationale. Il n’existe pas ou prou  d’infrastructures susceptibles d’être développées ou, à tout le moins, rénovées. Les équipements et les moyens de transport se sont effondrés ; moribondes, les structures éducatives ne diplôment de jeunes que pour les verser dans la rue, au chômage. Comment justifier le renouvellement du régime, s’il n’est porteur que de pratiques destructives du processus démocratique et de mégotage sur le dos des citoyens ? L’augmentation du prix de la charge du riz à la somme forfaire de 6 000 UM, peut-être ? Elle est tout aussi illégale qu’antinationale et son initiateur ne devrait en espérer, d’aucune manière, la  décoration et la bénédiction du peuple… (A suivre).