Mohamed Jemil Mansour, président du parti Tawassoul : ‘’Le FNDU croit au dialogue, veut le dialogue mais pas n’importe quel dialogue’’

9 June, 2016 - 03:03

Le Calame : Deux conseillers du président de la République ont demandé la dissolution de votre parti, Tawassoul. Qu’est-ce qui, à votre avis pourrait justifier ces sorties? Vous inquiètent-elles?

Mohamed Jemil Mansour : Merci beaucoup pour l’occasion que m’accorde votre journal. La réponse est NON. Lors de la conférence de presse organisée à notre siège, nos déclarations ont été très claires.  Le parti Tawassoul est un projet, une idéologie et aucun gouvernement, aucun pouvoir ne peut dissoudre une idéologie. C’est vrai qu’administrativement, le parti peut être empêché mais nous croyons que nous étions ici, avant la reconnaissance de Tawassoul, et nous resterons, incha Allah, après, pour jouer pleinement notre rôle dans le processus démocratique et l’alternance pacifique au pouvoir. Nous resterons et travaillerons pour la promotion d’une meilleure démocratie, dans notre pays. Voilà pourquoi, quel que soit le contenu des déclarations des conseillers du Président et même si ces déclarations sont, aujourd’hui, dépassées, cela ne nous inquiète pas.

 

- Ces appels à dissoudre Tawassoul interviennent après le discours de Néma, au cours duquel le Rais a annoncé la tenue d’un dialogue ouvert à tous ceux qui veulent y participer. Peut-il y avoir un rapport entre ces évènements ?

- Bien sûr. Nous croyons que le dialogue annoncé pendant le discours de Néma a été réfuté par les partis d’opposition démocratique, parce que c’est un dialogue unilatéral dont date, contenu et, même, une partie des résultats ont été décidés sans le consensus des autres partis. Ce n’est pas le dialogue attendu par les Mauritaniens. Aussi ne peut-il être accepté par le FNDU. 

En outre, l’annonce de ce dialogue unilatéral s’est accompagnée d’une attaque contre l’opposition démocratique, en général, et contre notre parti, en particulier. C’est pourquoi nous restons sur notre position, refusant tout dialogue tronqué que nous estimons incapable d’aboutir à des résultats utiles à la démocratie et à l’alternance dans ce pays. Ce faisant, nous restons fermes avec nos alliés, au sein du FNDU, mais nous restons également très ouverts, en l’attente de conditions susceptibles d’ouvrir un dialogue sérieux et sincère.

 

- Qelle serait la réaction de votre parti, si le pouvoir accédait à la demande de ces deux conseillers du Président ?

- Avant la reconnaissance de Tawassoul, on avait opté pour une pratique politique claire et transparente, dans le respect des règles de la démocratie et de l’alternance pacifique. Pour nous, il s’agit d’une décision stratégique. Nous avons beaucoup œuvré, pour réaliser un parti politique reconnu et, avec cette reconnaissance, nous avons présenté, au public mauritanien, une expérience politique très riche. Et nous espérons poursuivre notre combat politique et démocratique, notre projet de société, quelle que soit la situation qui se présentera à nous.   Aucun pouvoir ne peut nous faire basculer, nous ramener à la période de la clandestinité ou dans une situation d’illégalité, au sens politique du terme.  Nous travaillerons, avec ou sans récépissé, car, qu’on le veuille ou non, Tawassoul est devenu une force très importante, sur l’échiquier politique national, une force qu’on ne peut plus ignorer ou exclure. C’est un fait : on ne peut pas envisager une carte politique réelle, dans ce pays, sans la présence d’un parti aussi important que le Rassemblement National pour la Réforme et le Développement.

 

- Tawassoul ne regrette-t-il pas, aujourd’hui, d’avoir accompagné le pouvoir, lors des dernières élections municipales et législatives ?

- Non, on n’a pas accompagné le pouvoir pendant ces élections. On a décidé, de façon autonome, responsable et politique, d’y participer. A l’époque, nous avions déclaré que la transparence du jeu électoral n’y était pas mais nous avons reconnu, malgré tout, à cause de beaucoup d’aspects (internes et externes) et après analyse de la situation, qu’un parti lié aux populations, à sa base, devait prendre la décision de participer à ces élections et d’en utiliser la marge de manœuvres, aussi faible s’annonçait-elle. Leurs fruits ont démontré, aujourd’hui, que nous avions raison. Après le scrutin, nous avons expliqué, au public, que le résultat obtenu, on l’avait arraché, en dépit des manipulations du parti au pouvoir. Nous ne regrettons pas cette participation. Positive, elle a permis de continuer le combat politique contre le pouvoir, par le biais de nos députés. De même, l’expérience de gestion communale, par nos maires, a également donné raison à notre décision. Et je crois que d’autres forces politiques croient à cela, maintenant.

 

- Dans son discours de Néma, le Président a qualifié son opposition d’« irresponsable, non- démocratique, ennemie de la nation, bande de voleurs… » A-t-il vraiment l’intention de discuter avec cette opposition ? Sinon, à quoi servent ses appels au dialogue ?

-Ces attaques sont irresponsables. Nul n’a le droit d’utiliser ces termes contre ses adversaires politiques. D’ailleurs, une grande partie des partis de la majorité regrettent ce discours et son contenu. Contrairement aux allégations aberrantes du Président, l’opposition est un ensemble de partis démocratiques, responsables et défenseurs des intérêts de la Nation. C’est pourquoi, d’ailleurs, nous subissons toutes les formes de brimades, pressions politiques, exclusion et isolement, de la part de ce pouvoir. Personne n’échappe, aujourd'hui, à cette situation, au sein de l’opposition, en général. A commencer par ses cadres, jusqu’à ses plus hauts responsables. Même, les simples employés, membres des partis qui composent l’opposition démocratique, ne sont pas épargnés par ce régime et de son administration. Je crois que ce discours doit être dépassé, par eux avant nous.

 

-A en croire diverses sources, d’intenses discussions se déroulent actuellement, au sein du FNDU, pour déterminer si le Forum doit aller au dialogue ou non.  Le FNDU ne court-il pas le risque de voir certains de ses partis succomber aux sirènes du pouvoir ?

 - Il ya des discussions, importantes et parfois longues, au sein du FNDU. C’est normal car nous sommes une composition de partis politiques, personnalités indépendantes, organisations syndicales et de la Société civile, tous décidés à débattre. Nous sommes différents les uns des autres, c’est donc normal qu’on discute mais je crois qu’aujourd’hui, le resserrement des rangs et l’unité du FNDU est garantie. Je peux vous confirmer que nous sommes, aujourd’hui, d’accord, non seulement, sur la position vis-à-vis de ce dialogue unilatéral mais, également, vis-à-vis de la question du dialogue, de manière générale. Comme il l’a d’ailleurs déclaré, dans un communiqué, le FNDU rejette, complément, l’échéance d’un dialogue à trois à quatre semaines. Le dialogue unilatéral annoncé, par Ould Abdel Aziz à Néma, ne répond à aucun critère d’un dialogue politique démocratique, au service du processus démocratique national. Mais, je le répète, le FNDU reste ouvert et disponible à tout dialogue sérieux qui réponde aux exigences de la conjoncture politique actuelle du pays. Composante politique responsable, le FNDU croit au dialogue, veut le dialogue mais pas n’importe quel dialogue.

 

- Pourquoi l’opposition n’irait-elle pas discuter de tous les points, comme le propose le pouvoir, et quitter la table, si ce qui lui semble essentiel n’est pas pris en compte ?

- Nous avons déjà vécu des expériences, amères, avec ce pouvoir qui nous a parlé, à maintes reprises, de dialogue, organisé des réunions et, même, des cérémonies, au palais des Congrès. Mais on s’est très vite rendu compte qu’il n’est ni sérieux ni réellement disposé au dialogue.  Ce qu’il voulait, en fait, c’était fêter l’événement, en tirer tapage médiatique, organiser propagande, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. C’est pourquoi a-t-on posé, depuis, un certain nombre de préalables, avant tout dialogue avec ce pouvoir. Cela permettra de préparer un véritable échange, sérieux et constructif. Cela suppose qu’il faudra parler de l’accord-cadre et des garanties nécessaires, pour établir le climat de confiance, entre le pouvoir en place et nous. Ce que nous demandons, ce n’est pas seulement de se réunir ou annoncer qu’il ya eu dialogue ou non. Nous voulons une discussion sérieuse, qui puisse aboutir à des résultats, utiles à la démocratie, à l’unité, à la stabilité et à l’avenir du pays. Voilà pourquoi a-t-on demandé, dans une plateforme écrite, remise à la délégation du pouvoir, des réponses à des questions précises, essentielles, de notre point de vue, à l’établissementd’un réel climat de dialogue sérieux. Pas question, pour nous, de venir à la table de négociations, pour la quitter sans résultat. Ce que nous demandons, c’est une préparation commune d’un dialogue sérieux, en discutant, ensemble, des garanties, du format, du contenu, pour obtenir un résultat auquel tous les concernés pourront également participer.

 

- Partagez-vous le sentiment de certains mouvements haratines, comme le Manifeste et El Hor qui estiment que le président de la République a porté atteinte à la « dignité » de cette communauté quand il l’accuse de produire trop d’enfants par famille? Pensez-vous, comme certains, qu’il doit présenter des excuses à cette communauté ?

 - Beaucoup d’organisations, de personnes et de partis politiques ont compris, je crois, ce qui s’est passé. Tous ont demandé à ce que des excuses soient présentées à la communauté haratine. C’est le minimum, me semble-t-il.

 

- Sur le plan économique, le président de la République a sorti beaucoup de chiffres, pour démontrer que le pays se porte très bien, depuis qu’il préside à ses destinées. Sur quoi se base le FNDU pour mettre en doute ces données ? 

- La discussion, autour de ces chiffres, est, tout d’abord, économique et technique. Beaucoup d’experts s’y sont penchés, signalant des contradictions manifestes. Certains ont même parlé des enjeux qui leur sont sous-jacents ou consécutifs. Mais ce qui est important, pour nous, en tant qu’homme politique attentif à la situation des populations, c’est l’impact de ces chiffres sur la vie économique et sociale des citoyens.

Je crois que tout mauritanien saurait se situer, par rapport à ces données, en les comparant à ses propres difficultés socioéconomiques, avec les hausses incessantes des prix, la prolifération du chômage, la mauvaise gestion des établissements et des projets censés garantir une vie décente aux citoyens. Les populations de Néma, par exemple, premières visées par le discours présidentiel, ne peuvent pas comprendre ses chiffres, au regard de la soif, la cherté de vie, la dégradation du service public, l’absence d’électricité et d’infrastructures... Des chiffres qui ne se répercutent pas sur la vie économique et sociale du pays n’ont guère d’importance.

 

- Pensez-vous que le discours de Néma constitue un prélude au déverrouillage de la Constitution, pour ouvrir, à l’actuel président, le couloir vers un troisième mandat ?

- Je crois que la dernière déclaration du Président, qui dit ne pas briguer de troisième mandat, est un message très clair. Ce faisant, nous prenons les populations et les autres observateurs à témoins de ce qu’il s’est engagé à ne pas modifier la Constitution, le mandat présidentiel et, également, au respect de son serment, une affirmation deux fois énoncée. Nous en prenons acte et ne voulons pas revenir sur de précédentes déclarations. Cette question relative à la Constitution doit être claire pour tous les Mauritaniens. Elle ne donne aucune possibilité de changer celle-ci, pour briguer un troisième mandat.

 

- De quels moyens dispose l’opposition pour empêcher le Président actuel de s’offrir un tel luxe, s’il en éprouve, bien sûr, le désir ?  

-Nous n’avons que l’action politique et démocratique. Sensibiliser les populations, l’opinion nationale et internationale, contre le danger de tout changement constitutionnel visant à modifier la question des mandats présidentiels.

 

- Comprenez-vous la levée de boucliers qu'a suscitée, au niveau du pouvoir, la publication du rapport Alstom, rapporteur spécial des Nations Unies sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, après son séjour, il y a quelques jours, en Mauritanie ?

 - Vous savez, la situation de pauvreté des communautés est très connue, de tous les Mauritaniens, et ne passe pas inaperçue. Au-delà de ce rapport et plutôt que s’attaquer à son contenu et à son auteur, il nous faut travailler, nous, à régler nos problèmes. Si nous vainquons la pauvreté, si chaque communauté, chaque wilaya, chaque personne trouve ses droits et ses intérêts, dans l’Etat mauritanien, alors personne n’aura l’audace de parler de nous sans preuve ni justificatif. Réglonsdonc les problèmes qui existent et qu’on ne peut plus nier.

 

- Le président de la République vient de réaffirmer que le dialogue annoncé, dans son discours de Néma, se tiendra à l’échéance prévue (3 à 4 semaines). Qu'en pensez-vous ?

 - Je crois qu’on a dépassé les trois semaines et, même, quatre. Cette échéance importe très peu, d’ailleurs. Ce qui importe, c’est le respect de la vie des nations, des populations et d’un Etat comme le nôtre. En d’autres termes, un dialogue destiné à régler les problèmes politiques et socioéconomiques ne peut, en aucune façon, être annoncé de cette manière, ni du point de vue de sa date, de ses participants ni, évidemment, de ses résultats. Pour réaliser un dialogue sérieux, il faut nécessairement commencer par susciter les conditions de sa réussite. La question en suspens relève, principalement, du contenu et de la modalité de l’évènement, pas de son délai d’ouverture.

 

Propos recueillis par Dalay Lam