Mon histoire avec les décorations et les nominations

23 June, 2016 - 16:21

C’est à la fin de l’année écoulée (2015) que j’ai finalement fait valoir mes droits à la retraite après 40 ans de service dans les médias publics. Durant toute cette période, je n’ai jamais été nommé en Conseil de ministres qui désigne au poste de premier responsable de l’établissement et à celui de son adjoint. Pas une fois, non plus, je n’ai été décoré à l’occasion de la commémoration de la fête nationale d’indépendance. Malgré cela, je quitte le service public avec quiétude et bonne conscience parce que j’ai le sentiment d’avoir travaillé avec loyauté et de m’être dépensé sans compter.

Je n’aurai pas écrit à ce sujet n’eût été ma conviction qu’il existe un dysfonctionnement structurel dans le processus d’évaluation des fonctionnaires et auxiliaires de l’Etat. Si cela a causé du tort pour certains qui ont quitté la profession, ceux qui sont restés ne doivent pas continuer à subir cette injustice.

Cela se traduit par un déni de justice des responsables directs qui sont censés proposer en toute connaissance de cause le fonctionnaire qui répond le mieux au profil recherché.

Proposition de décoration

Au cours de ma dernière période de travail, il m’est arrivé une histoire que je voudrais vous conter comme preuve de ce que j’ai évoqué : au début du mois de novembre de l’année dernière, j’ai été contacté par Monsieur Yarba Ould Sghaïr, directeur général de l’Agence Mauritanienne d’Information, le dernier des 16 directeurs généraux avec lesquels j’ai travaillé et pour lequel j’ai de l’estime et de la considération en raison de ses grandes qualités humaines, de sa droiture et de sa compétence. Il m’avait demandé si j’avais auparavant bénéficié des décorations qui sont habituellement décernées à l’occasion de la commémoration de la fête nationale de l’indépendance. Je lui avais répondu que je n’en avais jamais bénéficié. Il m’avait alors proposé à la décoration et le directeur administratif au ministère en charge de la communication prit contact avec moi aux fins d’élaboration du dossier à cet effet.

Après la célébration de la fête nationale, Monsieur Mohamed Lemine Ould Cheikh, ministre des Relations avec le Parlement et la Société civile a procédé à la décoration d’un groupe de fonctionnaires et je n’étais pas parmi eux.

J’avais alors dit au directeur général de l’agence mauritanienne d’Information : « Vous, vous m’avez décoré parce que vous m’avez proposé, par contre je voudrais bien savoir quelle est la partie qui n’a pas tenu en compte votre proposition et quelles sont ses raisons ? » Il m’avait présenté ses excuses, affirmant n’avoir pas pu joindre le ministre, excuses que j’ai acceptées. J’ai fait alors contacter le ministre par quelqu’un de mes connaissances à qui il avait répondu : « Nous avons envoyé la proposition à la Présidence de la République et celle-ci nous a expédié la liste des personnes qui ont été décorées. » 

J’ai crédité de bonne foi la réponse du ministre pour les raisons suivantes :

1) S’il s’opposait à ma décoration, il n’aurait pas transmis la proposition

2) En tant que ministre en charge de la communication, il n’avait aucun motif de disqualification à mon endroit, notamment au plan de la moralité et aucun journaliste de ma génération parmi ceux qui ont été recrutés en 1975 n’était proposé à la décoration hormis moi-même et le confrère Yahya Ould Haye qui, lui, a été décoré

3) Il est, de tous les membres du gouvernement, le seul issu de la même moughataa (Rkiz) que moi-même et suis le seul, à ma connaissance, de cette moughataa à être proposé à la décoration.

 

La moue des R’Kizois

Nous considérons, ici à Rkiz, que tout au long de l’histoire de l’Etat, nous n’avons pas eu accès comme il se doit aux nominations, en particulier aux hautes fonctions, bien que les ressortissants de la moughataa soient parmi les premiers diplômés du pays pendant la période coloniale. Ils comptaient déjà pendant les années trente du siècle dernier trois des plus illustres interprètes que sont Feu Ahmedou Ould Horma Ould Babana, Feu Mohamed Ould Cheikh Hacen et Feu Mohamed Abdallahi Ould El Moctar dit El Alaoui. Il convient de souligner que le corps des interprètes est le premier vers lequel étaient orientés les cadres mauritaniens.

C’est aussi de cette moughataa qu’est issu le leader du mouvement national et premier député mauritanien au Parlement français, en l’occurrence Ahmedou Ould Horma qui a remporté les élections en 1946 contre le Français Ivon Razac.

De même, un autre ressortissant de la moughataa a été membre du gouvernement de l’autonomie interne (1958). Il s’agit du Dr Mohamed El Mocatr Ould Bah qu’Allah lui accorde une longue vie.

Tout au long de la première quinzaine du pouvoir de Moktar Ould Daddah, aucun ministre de Rkiz n’a été nommé parce que la Chef de l’Etat considérait à l’époque que les habitants de Rkiz appuyaient le leader du mouvement national Ahmedou Ould Horma.

 

Ila fallu attendre 1975 pour que soit nommé Feu Ahmedou Ould Tolba ministre de la Culture.

Cette nomination est intervenue à la suite d’une visite du président Moktar Ould Daddah dans la quatrième région (Gorgol) où il a été impressionné par Feu Ahmedou qui était inspecteur et qui avait assuré la traduction lors de cette visite.

En 1977, Feu Moktar Ould Daddah nomma Mohamed El Hafedh Nahoui au poste de ministre de l’Information pour avoir conduit avec brio l’action politique qui a permis l’intégration de la jeunesse dans le Parti du Peuple Mauritanien.

Les ressortissant de Rkiz n’ont pas eu un meilleur sort pendant la période des pouvoirs militaires, parce qu’il ne comptait en leur sein aucun haut gradé membre du Comité militaire. Au cours de cette période, le premier membre de gouvernement ressortissant de Rkiz avait été Feu Mohamed Lemine Ould Ahmed qui était nommé secrétaire d’Etat chargé de la lutte contre l’analphabétisme en 1988, pour être ensuite ministre de la communication avant de se voir confier  d’autres portefeuilles ministériels. Sa  direction du mouvement El Hor et ses relations avec des proches de Maaouiya ne sont pas étrangères à cette nomination.

En 2002, le Président Maaouiya nomma Mohamed Ould Tolba, ministre des Affaires étrangères sur fond d’un clivage intense entre deux pôles politiques à Rkiz, qui a tourné à la faveur de celui de Mohamed Ould Tolba.

En 2004, le Président Maaouiya nomma Monsieur Mohamed Lemine Ould Selmane, du Rassemblement pour la démocratie et l’Unité, au poste de ministre de la Santé. Son parti, qui faisait partie de la majorité présidentielle, détenait toujours, pour cette raison, un portefeuille ministériel.

En 2008, le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi nomma Abdallahi Salem Ould El Moualla au poste de ministre de la communication ; nomination qui a été mise sur le compte du souci d’équité en direction d’une tribu dont aucun membre n’a été ministre tout au long de l’histoire de l’Etat.

Le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a nommé trois ministres ressortissants de la Moughataa de Rkiz :

 -Dr Cheikh El Moctar Ould Horma Ould Babana, ministre de la Santé qui était l’un des premiers chefs de partis politiques à appuyer le Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Il doit aussi cette nomination à sa solide expérience dans le domaine médical où sa renommée est établie y compris à l’extérieur du pays. Il est également le fils du leader national Ahmedou Ould Horma Ould Babana qui a lutté pour la dignité du peuple mauritanien et pour lequel le pays tout entier lui doit reconnaissance.

-M. Ousmane Kane, ministre des Finances qui est un expert international, doté d’une solide expérience au sein des institutions financières internationales.

-M. Mohamed Lemine Ould Cheikh qui occupe actuellement le poste de ministre de la Culture et qui avait précédemment occupé celui des Relations avec le Parlement et la société civile en charge de la communication.  Sa nomination, il la doit notamment à son retrait de RFD après les élections de 2009 et à son action politique qui lui a permis d’agir sur la scène politique locale en faisant de Rkiz, lui et ses alliés, une moughataa qui soutient le Président Mohamed Ould Abdel Aziz.  Aussitôt après, il a été désigné secrétaire exécutif au parti au pouvoir.  A l’assemblée nationale, il s’est distingué par sa loyauté politique et sa défense du pouvoir aidé en cela par sa culture orientale.

Depuis l’indépendance et à ce jour, soit 56 ans, seuls neuf ressortissants de Rkiz ont été nommés ministres, alors qu’elle est, en termes de nombre d’électeurs, la troisième plus importante moughataa du pays après Arafat et Néma.

En réalité, cette moughataa mérité davantage d’attention, d’autant que le nombre de ses cadres la prédispose à une plus grande implication dans la gestion des affaires publiques.

 

J’ai compris le ministre

Quand j’ai dit avoir compris le ministre, c’est parce qu’il n’a aucune responsabilité dans le fait que je n’ai pas été décoré parce que le ministère avait transmis le dossier et que la Présidence de la République a ses propres critères.

Je terminerai mon propos au sujet de la décoration par deux remarques :

Premièrement, j’ai été plusieurs fois associé au sein de l’Agence Mauritanienne d’Information au choix des personnes qui doivent être proposées à la décoration et, en aucun moment je n’ai émis le souhait d’en faire partie, parce que j’ai toujours considéré que nombreux sont les employés qui le méritent le plus surtout que j’estime que la priorité doit être accordée aux agents et non pas aux responsables de l’institution.

Deuxièmement, j’ai toujours saisi, depuis ma tendre enfance l’intérêt des décorations parce que mon père, Feu Ahmed Bedy Ould Maham, décédé en 1971, est décoré de la médaille de Chevalier de l’Ordre national depuis 1967. Le décret de sa décoration est signé de Feu le Président Moktar Ould Daddah, en reconnaissance de son action en faveur de sa communauté et de sa notoriété. Je suis naturellement fier de mon père et de la reconnaissance qui lui a été témoignée.

 

Victime de la non promotion interne

S’agissant des nominations, j’ai fait quasiment toute ma carrière professionnelle à des postes administratifs. J’ai été recruté en avril 1975, avant le lancement du quotidien Chaab en juillet 1975 où j’ai été nommé chef du Desk national, pour occuper ensuite, successivement chef service, rédacteur en chef, conseiller du directeur général de l’institution qui édite Chaab (Société Nationale de Presse, Société Mauritanienne de Presse et d’Impression, Agence Mauritanienne). 

Ces nominations, qui ont été décidées à chaque fois par le directeur général en concertation avec le ministre de tutelle, se sont faites dans le cadre d’un établissement public dont l’organigramme est défini par le conseil d’administration.

La logique veut, en principe, que la promotion interne au sein des institutions soit évolutive. Ainsi, de chef de section on passe à chef de service, à chef de département, à conseiller. A la fin de ce cursus, il est naturel que l’on soit nommé directeur adjoint et puis directeur général.

Dans mon cas, j’ai terminé ce cursus pour avoir occupé depuis le milieu des années 90 le poste de chef de département et ensuite celui de conseiller du directeur général. Certaines des directeurs avec lesquels j’ai travaillé se sont employés pour que je sois nommé directeur général adjoint. Qu’ils en soient sincèrement remerciés. Mais une telle nomination relevait des attributions du Conseil des ministres et était donc éminemment politique.

 

Par honnêteté je tiens à préciser n’avoir jamais, tout au long de ma carrière professionnelle, requis auprès d’un responsable la nomination à un quelconque poste.

Je n’ai jamais fait intercéder une personne à cet effet parce que je considère que cela relève de la responsabilité de l’Etat.

De 1975 à 2015, mon département de tutelle a connu quarante ministres qui, pour leur plupart, ne me connaissent pas et je ne me rappelle jamais avoir visité l’un d’eux à son bureau si ce n’est dans le cadre du travail.

De même, je n’ai jamais cherché à avoir une audience avec aucun des chefs d’Etat qui se sont succédé pendant toute ma carrière, de Mockar Ould Daddah à Mohamed Ould Abdel Aziz.

J’estime que le fait de n’avoir pas été nommé en Conseil de ministres tient de l’absence de mécanisme de promotion interne dans les institutions publiques, de l’interventionnisme et du clientélisme dans notre administration.

Je ne suis guère la seule victime de ce dysfonctionnement. Nombreux sont les cadres compétents qui ont servi ou continuent de servir en silence et avec responsabilité et  voient des responsables, moins bien compétents qu’eux, parachutés à la tête de l’institution. Ces cadres de l’ombre qui ont mis leur savoir et leur expérience au service de leurs institutions sont pourtant bien plus méritants que ceux qui leur sont parachutés.

En réalité, comme l’a dit le poète Mohameden Ould Hemine, ‘’les nominations, tout comme l’absence de nomination, est une question de destin."

 

Mohamed El Hafedh Ould Maham