Contribution à un débat : Le partage dans l’égalité et l’efficacité pour faire face à la crise structurelle de l’Etat (suite et fin)

29 June, 2016 - 23:31

Dans le première partie de cette contribution au débat, (publiée dans Le Calame 1032 du mercredi 22 juin 2016), l’auteur a évoqué la génèse de la crise et son émergence. Il propose cette semaine un enesemble de solutions

 

III-la crise : deuxième temps

Comme ce fut le cas tout au long des premières années de l'Indépendance, l'égalité citoyenne dont se revendique la République demeurera de l'ordre du slogan, inoffensif et superficiel, tant que l'environnement social, toutes classes confondues, continuera à se reconnaître dans la structure idéologique  inégalitaire du système féodal traditionnel où le sang et l'hérédité déterminent, une fois pour toutes, le rôle et la position de chacun.

Mais, lorsque cette égalité citoyenne devient revendication récurrente ; c'est-à-dire, conscience sociale active comme c'est le cas actuellement ; on ne doit plus, on ne peut plus, de crainte de l'irréparable, esquiver la prévention du risque, sous prétexte que  l'urne n'exprime, pas encore, le degré de cette surchauffe qui précède l’explosion.

Or, que constate-t-on ?

Que de plus en plus, d’oubliés et de laissés pour compte  osent relever la tète. Que de nouvelles dynamiques  surgies du sein et des périphéries de cette société en crise, sont en train de reprendre le flambeau de la lutte pour l’avènement d’une nouvelle clé de répartition du politique, du social et de l’économiques qui démantèle les formules de monopole et d’exclusion adoptées jusqu’ici.

En effet, on constate que  les couches historiquement tributaires, dont  les rapports de dépendance  vis-à-vis de leurs anciens maitres  furent quasiment rompus suite à l’exode rural et à la bidonvilisation qui s’en est suivie, que ces couches  quoiqu'en majorité toujours pauvres  et analphabètes, sont de plus en plus informées et mobilisées en faveur de leurs droits nationaux et civiques ; qu'elles sont, désormais, pleinement conscientes de ce que la persistance de l’influence de  l'ordre casté - ou hiérarchisé, si l'on préfère – conjuguée avec la prépondérance du rôle d’ élites corrompues, que tout ceci leur ferme toute perspective d'égalité citoyenne véritable ; et qu'elles sont condamnées, tant  que  persiste le rôle d'intermédiation de cet ordre des choses , c'est-à-dire son influence sur l'Etat à rester des citoyens de seconde zone. 

Cette saison qui rugit et fulmine, on en voit les signes précurseurs. Pas une seule tribu ou village du Sud d'où émane une revendication d'égalité sociale endogène, de la part des anciens assujettis, sous la forme d'une demande de « teben ammite » , tous convaincus de ce que l'hérédité et le sang ont déjà définitivement « boulonné »  chacun à sa place  prédestinée. Dorénavant, ces couches dépendantes placent leurs espoirs ailleurs. Aujourd'hui sur les pancartes - demain sur les étendards, qui sait ? - on voit inscrits « hartani, forgeron, aznagui, mathioudo », toutes expressions, en surface, de particularismes étroits, surgis du terreau de la frustration et de la révolte contre un système et un ordre dorénavant compris et ressenti  comme injuste et insupportable. Tandis qu’en réalité, ces doléances constituent, passions mises  à part,  le prélude annonciateur d’un raz-le-bol généralisé de toutes les couches marginalisées    face à la faillite de l’Etat à assumer sa vocation d’espace de régulation de partage et de solidarité, au dessus et au service de tous .

Nous voilà donc face à  une autre grave  crise  dont les effets viennent envenimer ceux des graves ruptures  évoquées précédemment.

Désormais la boucle est bouclée à moins que nous consentions à  oser un  sursaut à la mesure de la menace du volcan qui bouillonne sous nos pieds. Ce qui exige de  s’extirper de cette atmosphère d'incertitude et de doute où la décadence morale en dispute à la myopie, pour ne pas dire la plus totale cécité, toutes choses synonymes, par ailleurs, avec les nécessités d'un court terme réduit à un « Après nous, le déluge ».

VI – QUE FAIRE

 Dans mon entendement, il ne s'agit pas de se rabattre sur des propositions  théoriques qui ne nous avanceraient à rien. L’importance des enjeux exige de porter  le débat  sur un terrain plus décisif et plus concret à même   d’interpeler notre sens de la responsabilité. C’est à cette fin que  je débute par en appeler à cet instinct de conservation inné chez chacun. Aussi paradoxal que cela apparait ; je commencerai par  demander  d’imaginer ne serait-ce qu’un instant ce qui adviendrait de vous,  de vos enfants et petits enfants  si le pays reste lancé sur la trajectoire actuelle. Une fois ce test de prospective effectué, je  ne me fais aucun doute que la majorité d’entre vous en sortiront avec un  froid au dos. Et en conséquence  qu’ils seront définitivement convaincus  de l’urgence de négocier une transition pacifique et consensuelle  capable d’accompagner le trend de cette  histoire désormais  nerveuse et contractée.      

C’est dans ce cadre qu’intervient ma présente proposition. Concrètement, il s’agit d’introduire des reformes radicales  en instrumentalisant tous les leviers dont dispose l’Etat et quels leviers (volonté politique, ressources économiques, finances, moyens de communication, culture, école,  administration, justice et monopole de la force) en faveur de politiques volontaristes et courageuses qui garantissent et sécurisent, à terme, ce passage difficile de notre histoire, c'est-à-dire, comme on le constate, tout sauf une révolution ou un saut dans l'inconnu.

Mais avant de rentrer dans les détails des propositions, il y a lieu d’attirer l’attention sur un certain nombre de préalables dont le respect conditionne de mon point de vue la réussite ou non de cette reforme stratégique. Ces préalables interpellent avant tout notre classe politique et à sa tête  le  président de la République en tant que Premier Personnage de l’Etat:

  • Une prise de conscience du caractère gravissime    de l’étape historique que traverse le pays. Ce constat gagnerait à s’appuyer sur une conviction philosophique comme quoi la création de l’histoire peut être influencée et accélérée par l’initiative subjective.
  • un discours où la volonté politique pointe, pour tous, le virage à prendre.
  • un nouvel esprit à insuffler aux  politiques mises ou à mettre en œuvre. Esprit qui, sans ignorer les inévitables concessions dictées par la raison d'Etat et la « real politik», doit signifier, globalement et pour tous, que la loi est, soit respectée, soit abrogée, mais pas contournée.
  • Un entourage  de femmes et d'hommes alliant la rigueur morale à la compétence et au patriotisme, c'est-à-dire à la fois disciplinés et capables de concevoir, conseiller et mettre en œuvre.
  • Une disposition de la part de tous à la concertation et au dialogue que doivent  civiliser et pacifier en toutes circonstances, une rupture  avec la vulgarité de la culture régnante de l’apologie et de l’anathème  au profit du rapport  convivial et du  contact de proximité entre tous nos leaders d’opinions
  • Une prise de conscience radicale du fait que seul l’Etat peut chaque fois qu’il le veut. Et par déduction que   les oligarchies tribales et les élites corrompues n'ont  d'influence que ce que celui-ci  veut bien leur reconnaitre. S’agissant des chefferies tribales et villageoises, on sait maintenant qu’aucune d’elle, aussi puissante fut-elle, ne détient, désormais, les moyens de reproduire et d'entretenir son influence locale, tant économiquement que symboliquement. Ce constat est l’aboutissement de la conjugaison de plusieurs  facteurs parmi lesquels ont peut citer: la déstructuration irréversible, pour ne pas dire la disparition, des supports économiques du système traditionnel ; la suprématie du rôle social et économique de l'Etat, dans un pays à faible niveau d'accumulation de capital privé ; l'intégration, progressive, de la majorité de la population aux exigences d'un imaginaire fortement influencé par la culture de consommation et enfin l'évolution des mentalités, consécutive au développement de l'accès aux moyens de l'information et au savoir. C’est tout cela  qui fait que ce sont désormais  les impératifs économiques et financiers qui mènent, loin devant, la définition des priorités de la plupart des Mauritaniens. Et, certainement, bien avant les implications de l'Assabiya.

Quelles reformes ?

J’en identifie ici une série qui gagnerait à être enrichie et approfondie à l’issue par exemple d’assises nationales ouvertes devant toutes les forces vives du pays en vue de débattre de notre avenir commun ;

  1. La lutte contre la corruption : le Partage et la cohabitation harmonieuse sont dangereusement compromis  à partir du moment où une infime minorité s’accapare l’essentiel du patrimoine national par de multiples procédés de passe-droit et ce d’autant plus que les laissés pour compte osent enfin élever la voie. D’où LA NECESSITE D’UNE LUTTE RADICALE CONTRE LA CORRUPTION, ce phénomène qui constitue l’ossature de la crise morale généralisée que connait le pays depuis plusieurs décennies.

Cette lutte  CONDITIONNE la RÉUSSITE DE TOUTES LES AUTRES POLITIQUES MISES OU À METTRE EN ŒUVRE.

 On sait que ces dernières années ; des efforts louables ont été accomplis dans ce sens. Mais vu l’ampleur du phénomène et son enracinement devenu  quasi culturel,  c’est d’une guerre généralisée  et sans merci qu’il faut comme celle qui a permis en quelques années   au Ghana de devenir un pays quasi émergent.

Parmi les mesures recommandées ;

  • La promulgation et l’application rigoureuse de lois rétroactives  anti-corruption comportant des sanctions exemplaires qui peuvent aller, vu la gravité du phénomène jusqu’à la peine capitale  pour les crimes économiques avérés. Ce combat doit englober, en plus du détournement direct des deniers publics, toutes les faveurs à caractère de situation  de rente qui ont permis, à quelques groupuscules  de s'enrichir,  de manière occulte et en  si peu   de temps, sur le dos du peuple mauritanien.
  • La purge du  système judiciaire et  de l’administration, tous niveaux confondus, des nombreux réseaux corrompus qui se dressent obstacles devant la bonne marche de ces importants services publics.
  • La motivation  de l’intégrité morale et de la compétence en matière de gestion  de la chose publique.
  • Une plus grande implication de la jeunesse  pour contrecarrer l'emprise de certains  segments corrompus de notre élite chez qui la malversation est devenue une culture et une mentalité.
  • La promotion d’une communication efficace  autour de cette grave problématique.
  • Et si cela s’avère nécessaire, casser les tabous et oser le recours aux services d’une expertise-conseil-appui internationales en la matière  (organisations internationales et pays amis)
  1. L’optimisation du rendement des ressources humaines : la compétence conçoit gère et suit. Le sens moral responsabilise. Le favoritisme, le népotisme et le clientélisme s’opposent par médiocrité interposée à la première valeur et  la corruption à  la seconde. D’où la nécessité d’un autre sursaut à ce niveau. Il s’agit de faire jouer au mérite et à la compétence le rôle qui est le leur dans la construction du pays. Ce second chantier n’a rien à envier au premier en matière d’urgence et de nécessité.
  2. Le développement économique; Penser le développement de façon  à ce que l'allocation des ressources économiques et financière se fasse sur la base des impératifs de celui-ci  et de ceux  de l'aménagement harmonieux du Territoire, tout en y introduisant  une discrimination positive, appelée à consolider les effets de la lutte contre la précarité transversale qu'on rencontre dans tous les milieux sociaux.
  3. L’évolution des mentalités : Renforcer  et préserver les acquis en matière de libertés individuelles et politiques, question d’accélérer l’évolution des mentalités a travers  une internalisation progressive mais rapide de  la culture citoyenne.
  4. La décision et le contrôle ; Consolider et veiller à la séparation des pouvoirs, question de mieux responsabiliser et de mieux contrôler.
  5. L’offre de service administratif : Offrir un service administratif de proximité qui garantisse un  rapport direct entre l'administré et l'administrateur
  6. Aménagement de l’environnement institutionnel : Introduire, en concertation avec les principaux acteurs politique ainsi qu'avec la société civile, les aménagements constitutionnels, institutionnels et juridiques pouvant renforcer ces importantes évolutions.
  7. Stratégie culturelle : Initier une politique culturelle et une communication axées sur la vulgarisation et la promotion de la culture citoyenne en termes de libertés, de fraternité, d’égalité, de solidarité et de tolérance tout en dénonçant  farouchement  le racisme, les séquelles de l’esclavage,   tribalisme, le népotisme et le clientélisme. Ces politiques doivent servir de vecteurs d'interpénétration et d'acceptation mutuelle, où le rôle de cheville ouvrière doit revenir à la jeunesse. Cette stratégie culturelle  doit puiser sa thématique simultanément dans notre culture musulmane où la solidarité marche de pair avec la transcendance, que dans le paradigme moderne où la démocratie rime avec l’égalité. Pour cela, faire en sorte pour que les supports de communication disponibles (Radio, télévision, presse écrite, écoles, campagnes d'affichage, festivals, ateliers de sensibilisation ou autres.) soient   mis à contribution pour véhiculer ce parti pris national,  rompant ainsi avec leurs habitudes d’être des portes-voix au service de festivals et de carnavals tribaux et régionaux creux , burlesques et diviseurs.
  8. Stratégie de l’éducation et de l’enseignement : En finir, le plus rapidement possible, avec cet enseignement embastillé et à deux vitesses où l'acquisition des connaissances reste l'apanage d'une minorité tandis que la très grande majorité de nos enfants finissent livrés au chômage et à la délinquance.

En finir avec cet enseignement où, caricaturées, la pédagogie et l'éducation civique échouent  à insuffler un quelconque sentiment de fraternité et de destin commun.

 Cette reforme radicale  exige  de penser cette éducation et cet enseignement sans  égards aucuns  pour la pression et  l’influence des lobby d’intérêts.

  1. Discrimination positive : persévérer dans les efforts, ciblant, particulièrement, la lutte contre les séquelles de l'esclavage.

 

Telle est de mon modeste point de vue une somme de politiques non exhaustives que notre pays doit mettre en œuvre si nous voulons faire face à la crise structurelle que traverse le pays. Tels  sont me semble-t-il  le prix et le sacrifice à consentir pour  que l’essentiel des  différentiations socio-économiques  s’effectue sur la base de la solidarité, du mérite et de l’effort, le tout sur fond de liberté politique, de dialogue et de concessions mutuelle. En un mot un pari sur l’avènement d’un Etat de droit  bâti sur les principes républicains  de l’honneur, de la fraternité et de la justice, autre expression pour dire un Etat bâti sur une nouvelle clé de répartition du politique, de l’économique et du social dont le maitre mot devient  le partage dans l’égalité et l’efficacité.

Sidi Mohamed Ould Khattry