Sommet Etats-Unis et Afrique : Chacun pour soi ou tous pour l'Afrique ?

13 August, 2014 - 16:01

Le dernier sommet USA-Afrique a fermé ses portes mardi dernier. A défaut d'en peser les résultats - c'est un peu tôt - on peut en entrevoir les enjeux. Monsieur Sylli Gandega, ancien ministre du Développement rural, économiste et consultant indépendant, nous livrait, quelques  jours avant l'ouverture de ces travaux intercontinentaux, l'analyse suivante…

Le sommet USA-Afrique, prévu du 2 au 5 août 2014 à Washington se prépare. Y participeront pas moins de quarante-sept chefs d'Etat du continent et, sur mandat de l'Union Africaine (UA), la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF) a organisé, les 18 et 19 juillet derniers, au siège de la CEA à Addis Abeba, une réunion de validation des notes d'orientation sur les relations entre notre continent et les Etats-Unis. Ces notes concernaient l'Afrique de l'Ouest francophone, l'Afrique de l'Ouest anglophone, l'Afrique de l'Est et la Corne de l'Afrique, l'Afrique australe, l'Afrique du Nord et l'Afrique centrale. Chacune de ces six régions a dressé un bilan de la coopération USA-Afrique, tiré les leçons et formulé des recommandations. Au-delà des échanges, très fructueux, il s'agissait d'extraire, de ces fort riches documents (1), une note conceptuelle à soumettre, pour le Sommet, aux dirigeants africains invités.

L'atelier a vu la participation de plusieurs ministres, des hauts dirigeants de la commission de l'UA et de l'UMA, ainsi que de nombreux experts du continent. Il se voulait plateforme pour informer les dirigeants africains sur ce qui a marché ou non, dans leurs relations en cours avec les EU et la voie à suivre pour plus de bénéfices mutuels entre les parties. Mais, en tout cela, palpitait une question en filigrane : le Sommet vivra-t-il au rythme du " chacun pour soi " ou du " tous pour l'Afrique " ? De cette question, essentielle, en découle plusieurs : quelle sera la stratégie de nos dirigeants, au cours de cette réunion ? Une fois les axes de coopération et les grandes actions retenues, comment se fera la mise en œuvre et, surtout, le suivi-évaluation ? Et quid des mécanismes à mettre en place dans cette perspective ? Toutes ces questions doivent être prises en charge par nos chefs d'Etat.

Il est temps que l'Afrique se fasse entendre de façon claire, audible et non ambigüe. A cette fin, elle devra sortir des sentiers battus - ornières, à bien des égards - où les USA voudraient, avec ou sans Obama, l'enfermer. Car la fédération des cinquante Etats de l'oncle Sam, ses experts, cellules de veille et de planification stratégique, son secteur privé, ses diplomates et tutti quanti, sait, quant à elle, parfaitement ce qu'elle veut, dans ce sommet dont elle a déjà fixé, de façon unilatérale, l'agenda.

Aussi recommandons-nous, à nos dirigeants, un dépassement des illusoires visées à court terme et faible ampleur spatiale, dans la défense de leurs intérêts nationaux, en veillant à intégrer ceux-ci dans une stratégie suffisamment globale et bien pensée pour promouvoir - sans négliger, bien évidemment, les relations bilatérales - la promotion du régional sans laquelle aucune intégration n'est possible. La vision de l'Afrique à l'horizon 2063 doit être le fil conducteur des échanges de nos chefs d'Etat au cours de ce sommet.

Ne nous y trompons pas : si les USA ont à contrer, notamment, le rôle et la place de la Chine en Afrique, l'Afrique de la jeunesse et des ressources naturelles ne peut tirer perspectives, de ce duel de titans bien organisés, qu'en y insérant une stratégie spécifique, suffisamment cohérente pour faire peser son propre potentiel. Privilégier la dimension régionale de la coopération avec la première puissance économique du Monde, pour obtenir, dans les faits, de meilleurs résultats, tant dans les actions en cours - African Growth and Opportunity Act (AGOA), MCC, etc. - que celles, encore plus importantes, à venir (gouvernance plus affirmée, éducation, droits de l'homme et sécurité et lutte contre le terrorisme…), n'est donc plus, pour nos leaders, un débat de salon : c'est une nécessité.

S'agissant de notre pays, nous savons que la coopération avec les Etats Unis  n'est pas des plus importantes et serait même en deçà de celle avec d'autres bilatéraux, comme la France, ou multilatéraux, comme l'UE : AGOA fut un solennel échec, le MCC, plus encore, suite au coup d'Etat de 2008, puisque celui-ci l'annula, et l'USAID a quitté notre pays depuis belle lurette. Qu'en adviendra-t-il après ce sommet ? Wait and see.

 

Gandega Sylli

 

 

ENCADRE :

Après le sommet USA-Afrique

Le président Barack Obama a annoncé, mardi, la mobilisation de plus de 30 milliards de dollars - aide publique et investissements privés - à destination de l'Afrique, appelant les dirigeants du continent à créer un environnement politique et économique propice aux affaires. Mettant en avant, devant un parterre de dirigeants et d'hommes d'affaires, " de nouveaux engagements " de 33 milliards de dollars au total, le président américain a annoncé que des entreprises américaines - Marriott, Coca-Cola et General Electric notamment - s'étaient engagées sur des investissements d'un moment total de 14 milliards de dollars, dans les secteurs de l'énergie, de l'eau, de l'hôtellerie, de la construction, de la banque ou encore des technologies de l'information. Le secteur privé a aussi augmenté ses promesses d'investissements dans le cadre du programme Power Africa, qui vise, à terme, à doubler l'accès à l'électricité, en Afrique subsaharienne. Au total, en prenant également en compte les apports de la Banque mondiale et du gouvernement suédois, 26 milliards de dollars sont désormais mobilisés sur ce projet.

Les géants de l'industrie états-unienne et l'administration fédérale, qui bénéficiera, elle, d'une enveloppe supplémentaire de 7 milliards de dollars, pour la promotion des exportations, espèrent tisser des liens économiques solides avec l'une des régions les plus prometteuses de la planète, en termes de croissance. Le FMI table sur un taux de 5,8% en 2015. Jacob Lew, le secrétaire américain au Trésor, a rappelé, mardi, que l'Afrique était " la deuxième région du monde en plus forte croissance économique ". Après avoir mis en avant les chiffres, monsieur Obama a longuement insisté sur la responsabilité pesant sur les épaules des dirigeants africains : " Aussi cruciaux que soient ces investissements, la clé de la prochaine ère de croissance en Afrique ne se trouve pas ici, aux Etats-Unis, mais en Afrique ", a-t-il martelé. " Le capital est une chose. Les programmes de développement en sont une autre. Mais l'Etat de droit est encore plus important. Les gens doivent être capables d'envoyer des biens sans payer un pot-de-vin ou embaucher le cousin de quelqu'un ". Le président américain s'est dit confiant dans le " renouvellement et la modernisation" du principal outil d'échanges entre l'Amérique et l'Afrique, l'AGOA ". Lancé sous la présidence de Bill Clinton, ce programme américain accordant des avantages commerciaux à certains produits africains expire fin 2015.

Jeudi soir, lors de la conférence de presse de clôture du Sommet, Barack Obama a également annoncé un soutien supplémentaire à la force de l'Union Africaine en Somalie et en Centrafrique et évoqué les différentes sessions tenues lors de la rencontre : la corruption, la sécurité alimentaire, le changement climatique ou encore le trafic d'espèces sauvages. Le chef d'état américain a insisté pour que le progrès en Afrique se fasse " avec les jeunes et les femmes dont le respect des droits doit être garanti sur le principe de l'égalité ". Il a dit s'être mis d'accord, avec les présidents africains, sur ce point, comme sur ceux de la bonne gouvernance, de la promotion de la démocratie et de la liberté de la presse.

 

L'AGOA au-delà de 2015

Sur le plan économique, les dirigeants africains ont accepté, selon Barack Obama, de s'investir pour renforcer le commerce intra-africain, alors le congrès américain entend travailler pour le rallongement de l'AGOA (l'accord de libre-échange entre les Etats-Unis et le continent africain) au-delà de 2015, " un programme qui a permis aux pays africains qualifiés de gagner de l'argent ", a-t-il ajouté. Concernant le virus Ebola, le président américain a déclaré que la maladie était contrôlable. Washington a envoyé des urgentistes en Afrique de l'Ouest et compte également débloquer une aide de 4 milliards de dollars pour cette lutte spécifique.

Beaucoup de mots et/ou de termes positifs, comme " favoriser ", " progrès ", " meilleure ", " plus grande " auront été à l'honneur, durant ce sommet. Mais, comme le souligne Monique Chemillier Gendreau (2) " quand les mots choisis n'indiquent que des directions, il n'y a pas d'obligations, quant au résultat à obtenir "… L'Afrique doit avoir de plus en confiance en ses experts qu'ils soient au pays ou en diaspora, et dresser des évaluations régulières de sa coopération avec les Etats ou institutions pour en tirer leçons et sauvegarder des intérêts vitaux. Elle doit donner corps à l'intégration régionale et procéder, dans cette perspective, à un audit généralisé de ses organisations à vocation continentale.

 

 

NOTES

(1) : Consultables à : www.acbf-pact.org/index.php/fr/connaissance-apprentissage/actualites

(2) : Professeur émérite de droit public et de science politique à l'Université Paris-Diderot.