Cheikh Ould Jiddou, co-fondateur du Mouvement du 25 février, expert en Droit : ‘’Le FNDU finira par dire oui au dialogue’’

14 July, 2016 - 02:52

Le Calame : Le gouvernement  mauritanien déploie de gros efforts pour  la réussite  du 27ème sommet de la Ligue Arabe, prévu les 26 et 27 juillet à Nouakchott.  Que peuvent attendre les  mauritaniens de la tenue de ce sommet à Nouakchott ?

 

Cheikh Ould Jiddou : Tout dépend de quels mauritaniens vous parlez. Politiquement parlant, je veux dire. Il y en a qui y voient la démonstration du retour solennel de la Mauritanie dans son giron arabe qu’elle avait négligé (selon eux) depuis un certain temps au profit de son appartenance africaine. Pour d’autres mauritaniens, le choix de la Mauritanie pour abriter ce sommet est arrivé « par défaut » quand le Maroc a refusé de le prendre en charge. Selon ces mauritaniens, le sommet ne sera qu’un sommet arabe de plus. Ni plus ni moins.

 

Quant à moi, je pense que la tenue de ce sommet à Nouakchott est significative à plusieurs égards. D’abord, cela donne aux mauritaniens la confiance en eux-mêmes en sachant qu’ils sont désormais en mesure d’abriter et de prendre en charge des rencontres de très haut niveau. De plus, Nouakchott ressemble depuis l’annonce de la tenue de ce sommet à une capitale: l’aéroport international de Nouakchott n’est plus un rêve qu’on pensait inaccessible, toutes les grandes artères et les principales avenues de la ville sont réhabilitées et « trottoirisées », les hôtels ont investi pour se mettre au niveau de l’évènement, les meilleures résidences privées ont été « mises à la disposition » du gouvernement… Nouakchott dispose désormais d’importantes infrastructures. Ceci est un acquis. 

 

Sur le plan économique, des rentrées en devises sont effectuées et de grosses sommes d’argent ont été injectées dans le circuit économique mauritanien sous forme de contrats de service, de travaux ou d’équipements.

 

On ne peut pas dire que cela n’a eu d’impact sur le mauritanien. Chacun de nous s’est senti ou se sentira un jour « touché » positivement par l’organisation de cet événement ne serait-ce qu’en conduisant sur une voie nouvellement bitumée.

 

Les préparatifs de ce sommet ont occulté le dialogue politique entre le Pouvoir et son Opposition, annoncé  pour imminent par le président de la République dans son discours de Néma. Pensez-vous que ce dialogue a des chances de se tenir  après  le sommet avec  la participation du  FNDU et le RFD ?

 

Franchement, pour le FNDU, je suis quasiment certain qu’il finira par dire « oui ». Même s’il s’efforce encore à tenir le même discours qu’il tient depuis les élections de 2009. Tous les indicateurs indiquent qu’il est en train de trouver une justification à sa future participation.

 

Quant au RFD, c’est un peu plus compliqué parce que ce parti a vu tous les « adeptes » du dialogue quitter ses rangs soit pour fonder de nouvelles formations politiques soit pour adhérer à la majorité présidentielle ou retourner au FNDU. A moins d’une nouvelle implosion, cette formation ne participera pas au dialogue et continuera à camper sur ses positions radicales qui rejettent systématiquement tout dialogue sur lequel elle n’aura pas mainmise. Et c’est dommage pour elle et surtout pour tous ces jeunes qu’elle continue à maintenir par son positionnement loin du champ politique.

 

 Plusieurs membres du Mouvement abolitionniste IRA ont été arrêtés et déférés au parquet  suite à des affrontements consécutifs aux déguerpissements de populations démunies installées dans un terrain près de l’hôpital ophtalmologique Bouamatou. Quelle lecture ces événements et ces arrestations vous inspirent ?

 

D’abord, un petit rappel puis on restituera l’incident tel qu’il s’est passé avant d’aborder la question des arrestations. En 1962, la population urbaine représentait 6,4 % de la population totale, et Nouakchott représentait alors 0,6% de la population. Depuis, la population nouakchottoise augmente de 8 % par an en moyenne, ce qui fait d’elle une des villes dont la croissance a été la plus rapide au monde. Au cours des trente dernières années, sa population a été multipliée par 25 en passant de 40.000 à près d’un million d’habitants. Là, je tire ces chiffres du RGPH de 2013.

 

A Nouakchott donc, la croissance de la population est particulièrement forte : fermez les yeux, si vous êtes résident à Nouakchott, et imaginez que vous circulez dans une ville où cohabitent avec vous l’équivalent des habitants des deux Hodhs et l’Assaba (pour être plus précis, sans Kankossa). Cette surpopulation, conjuguée à d’autres facteurs socio-économiques, a donné naissance au squat dans les zones périphériques de Nouakchott.

Le squat désigne « l'occupation d'un lieu dans une perspective habitative sans l'accord du titulaire légal de ce lieu. Juridiquement qualifié d'occupation sans droit ni titre, le squat est par définition illégal ». Connu, localement, sous le terme populaire de la « Gazra », le squat a toujours été une affaire banale à Nouakchott. Car, d’une part, le sol occupé a toujours fait partie du domaine privé de l’Etat et d’autre part, ce dernier a toujours trouvé des solutions plus ou moins durables aux  plus vieux squats de la périphérie.

Toutefois, le squat a changé de mode et de lieu, les squatters sont devenus plus futés : aujourd’hui les squats sont installés sur des propriétés privées et les squatters exigent qu’un tribut  leur soit versé par le propriétaire avant de déguerpir et s’installer sur une autre propriété privée. L’Etat doit mettre définitivement fin à ce genre de pratiques qui est notre nouveau « chipéko ». Pour ce faire, l’Etat doit attribuer des terrains non cessibles et aider ces populations démunies à s’installer définitivement quelque part et construire leur vie qu’ils n’arriveront jamais à construire en continuant à squatter la propriété d’autrui

Les arrestations, quant à elles, sont tout à fait normales et conformes à la loi. Il s’agit encore d’une enquête qui prend certes du temps mais qui suit naturellement son cours. A terme, les personnes innocentes devraient être libérées et celles impliquées devraient être punies le plus durement possible.

 

Que pensez-vous de la récente « grogne » des sénateurs ?

Elle n’a aucun sens de mon point de vue. Pour caricaturer, cette « grogne » me rappelle l’émission « touche pas à mon poste » de Cyril Hanouna qui passe sur D8. « Un débat provocateur et qui va dans tous les sens ».

Propos recueillis par DL