[Sionie]-Afrique, questions de société

21 July, 2016 - 03:23

Au début de Juillet, le Premier ministre [sioniste] (1) s’est rendu en visite officielle dans quatre pays africains : l’Ouganda, le Kenya, le Rwanda et l’Ethiopie. Il s’agit d’une première, depuis des décennies, et il serait sans doute intéressant de réfléchir sur les raisons de cette longue absence, sur les circonstances, générales et particulières, du « retour » ou sur le choix des pays visités, par Benjamin Netanyahu. Sans oublier les objectifs d’une délégation d’environ quatre-vingt personnes, dont une cinquantaine d’hommes d’affaires qui sont, en grande partie, producteurs et vendeurs d’armes. Si beaucoup se sont penchés sur ces questions et d’autres encore, il me semble utile de focaliser l’attention sur divers tenants et aboutissants de l’étape rwandaise de la tournée.

Tant Netanyahu que Paul Kagamé, le président rwandais, ont souligné, avec insistance, le fait que les deux pays ont une histoire marquée par le génocide : celui des juifs, perpétré durant la seconde Guerre mondiale par les nazis – qui s’en prirent, aussi, pris aux gitans, aux malades mentaux, aux homosexuels et autres « déviants » – et celui de 1994, au Rwanda, dont les principales victimes furent les Tutsis.

Le thème de l’holocauste a été et continue d’être amplement débattu, justement parce qu’il s’agit de l’une des pages les plus atroces et denses de conséquences de l’histoire de l’Humanité, une histoire qui compte, malheureusement, beaucoup, beaucoup trop, de pages sombres. Comme celles concernant le Rwanda, où plus de huit cent mille personnes furent massacrées, en moins de quatre mois, par les soldats et miliciens hutus au pouvoir, assistés de nombreux secteurs populaires. C’était il y a un peu plus de vingt ans. C’était à peine hier, comme le démontrent les passions suscitées, par le récent procès, à Paris, de deux ex-administrateurs locaux rwandais, accusés de crimes contre l’humanité et condamnés à la prison à perpétuité.

La réalité de ces pages est dramatique et continuer d’y réfléchir est légitime et salutaire. Ce qui dérange et heurte, c’est que leur rappel, systématique, serve de rideau pour dissimuler les réalités d’aujourd’hui et masquer les terribles injustices et violences dont sont, actuellement, responsables les Etats et régimes qui s’en réclament. La fondation de l’Etat [sioniste], au lendemain de la seconde Guerre mondiale, rendit inéluctable et, jusqu’à présent, irréversible la Naqba, la catastrophe vécue par le peuple palestinien, que chacun des gouvernements qui se sont succédés, à Tel Aviv, a contribué à aggraver et que Netanyahou alimente, avec une violence et une arrogance particulières. La dernière guerre en date, contre les populations de Gaza, qui a coûté la vie à plus de deux mille cinq cent personnes, en deux mois, et provoqué des destructions sans précédent, remonte à il y a exactement deux ans. Depuis, beaucoup d’enfants, de femmes et de vieux continuent de mourir ou à souffrir de faim, de soif et de maladies, à cause du blocus imposé par le gouvernement de Netanyahou qui a, par ailleurs, autorisé la construction de nouvelles colonies, juste avant de s’envoler pour sa tournée africaine.

D’un autre côté, ce n’est certes pas un secret que le régime de Paul Kagamé – ex-chef des troupes du Front populaire rwandais dont l’avancée, en 1994, fut déterminante, pour mettre fin au génocide en cours dans le pays – se soit, depuis belle lurette, transformé en une dictature qui a, de fait, imposé son leader en président à vie. La situation actuelle des Rwandaises et des Rwandais est, sans doute, différente, meilleure que celle des populations de Gaza et du reste de la Palestine découpée en « territoires » (2), ou, encore, que celle des immigrés africains détenus dans le désert du Néguev, avant de se retrouver largués, dans les pays récemment visités par Netanyahu, mais ils ne sont pas libres, loin s’en faut.

Plus de vingt ans après le génocide, la société rwandaise n’a encore affronté ses déchirures que d’un point de vue judiciaire, et, même, très relativement. Les causes profondes du drame restent là, ensevelies mais bien vivantes, dans les cœurs et les esprits, prêtes à resurgir, plus dévastatrices que jamais. Elles n’ont pas été reconnues dans leur essence et liquidées ; seulement étouffées, non seulement par la main de fer du régime et par les « miracles de la croissance » du PIB, mais, aussi, par manque de forte volonté à régler le problème, sauf exceptions, rares et isolées.

Les omissions et renversements de la réalité sont admissibles et, souvent même, commodes, d’un point de vue institutionnel et diplomatique : ils sont, toujours, dommageables, pour les sociétés et les peuples. C’eût été beau et significatif, si de nombreuses voix s’étaient élevées, durant ce tour de Netanyahou, en solidarité avec la cause palestinienne. Il serait, au moins, utile que les sociétés et les peuples des pays visités et du Continent s’interrogent des bénéfices à attendre de l’Etat [sioniste] qui réserve, aux populations de Gaza, un traitement que beaucoup d’historiens et d’experts tiennent, aujourd’hui, pour pire que celui réservé aux habitants des township sud-africains, aux temps de l’Apartheid, apartheid que Tel Aviv soutint, d’ailleurs, jusqu’au bout. L’enjeu n’est pas seulement matériel mais, inséparablement et avant tout, moral. En même temps, la question interpelle, directement, la disponibilité et la capacité des sociétés de poser et affronter, elles-mêmes, leurs problèmes fondamentaux ; s’interroger, donc, sans complaisance ni trop de compromis envers soi, sur la réalité, les valeurs et principes au cœur des relations sociales. 

Quoiqu’on dise, il y a, presque toujours, un décalage, entre les normes et les priorités des institutions étatiques et internationales, d’une part, et, de l’autre, les exigences et urgences auxquelles les sociétés sont confrontées. Il s’agit là, en partie, de nœuds relatifs au thème, ancien mais toujours plus marqué, de la distance entre l’Etat et la Société civile qui agite et mine les Etats-nations démocratiques historiques. C’est dire que le parcours ne peut être simple, en Afrique et chez nous. Le reconnaître implique courage d’identifier les vrais défis et de les relever, collectivement et individuellement, plutôt que de se débarrasser des gros problèmes, sous prétexte que seuls les Etats et les gouvernements peuvent et doivent les résoudre. A quand, alors, un vrai débat et une réflexion authentique, plurielle et durable des Mauritaniennes et des Mauritaniens, sur ce que sont et devraient impliquer l’être mauritanien et le vivre ensemble, dans ce pays ? Ou faut-il, fatalement, renoncer à une « unité nationale » effectivement impossible, sur les bases du parcours et en fonction des critères que reconstruit et analyse le colonel Oumar ould Beïbacar, dans les colonnes du Calame ? La difficulté est énorme, le problème  incontournable et, si les jeux ne sont pas faits, l’impératif saute aux yeux.

 

Mamadou Ly

 

Notes 

(1) : Mamadou Ly avait écrit « israélien ». Mais, conformément à une décision, déjà ancienne, de la rédaction du Calame de ne plus associer, en l’état actuel du malheur palestinien, le nom de Yaqoub-Israël (PBL), un des plus doux prophètes de Dieu, à sa caricature étatisée défigurant la Palestine – et le judaïsme, hélas, par contrecoup –  nous lui avons substitué un adjectif plus adéquat…

(2) : C’est avec des raisons beaucoup moins pertinentes et beaucoup plus détestables, d’un simple point de vue humain, que les citoyens de [la Sionie] refusent de reconnaître, à la Palestine, son nom, jusqu’à la démembrer en petits morceaux, séparés par des murs... de vraies lamentations, cette fois.