Maître Cheikh Ould Hindy, bâtonnier de l’Ordre National des Avocats de Mauritanie (ONA), dans une interview exclusive: ‘’La promulgation des lois garantissant la liberté individuelle, contre la torture et d’autres mesures, justifient amplement que ...

21 July, 2016 - 03:34

... le Barreau dédie au président ce qui est le plus cher à notre profession, une toge’’

Le Calame : La Mauritanie s’apprête à accueillir dans quelques jours, le 27e Sommet de la Ligue arabe. Que représente cette rencontre ?

Maître Cheikh Ould Hindy : C’est la réalisation d’un  grand rêve national. Auparavant, le pays se suffisait de participer au Sommet, aujourd’hui, il change de rôle. Il devient un acteur de grande pointure, il organise l’évènement, ce qui n’est pas donné à n’importe quel pays. C’est aussi un challenge. Notre pays aspire à devenir un membre actif des institutions auxquelles il est adhérent. Après la présidence de l’UA, le voilà qui organise le Sommet de la Ligue arabe. Autrement dit, la Mauritanie a changé de stratégie.

Challenge aussi difficile qu’exaltant. Le monde arabe éprouve beaucoup de soucis, le terrorisme, les guerres civiles, auxquels il faut ajouter les problèmes politiques, économiques et sociaux. Autant de souffrances qui incitent la Mauritanie et les autres pays arabes à espérer beaucoup de ce 27ème Sommet.

 

- L’actualité nationale est dominée par la vague d’arrestations des militants d’IRA, suspectés d’avoir été mêlés aux affrontements avec les forces de l’ordre venus expulser un squat, en face de l’hôpital ophtalmologique Bouamatou. Après une enquête de la police, ces militants ont été déposés, le mardi 12 Juillet, à la prison de Dar Naïm. Que pensez-vous de cette affaire ?

- C’est un fait dont nous nous préoccupons. Notre principe est que toute arrestation doit s’opérer conformément à la loi, en respectant les délais de garde à vue et les nouvelles garanties ordonnées par la loi contre la torture. Pour l’avocat, ce qui prévaut, c’est le principe d’innocence. Aussi demandons-nous la libération immédiate de tous ceux dont le lien formel, avec les événements du Ksar, n’est pas établi. En ce qui concerne le fait même, il est lié à la mentalité populaire. Chez nous comme ailleurs, la foule est imprévisible, spontanée : c’est ce qui a engendré ces regrettables mouvements de colère. Ce genre d’incidents est fréquent en Mauritanie. Ils se reproduisent chaque fois qu’on force une population à déguerpir.

 

- Lors de la rentrée solennelle des cours et tribunaux qui marque l’ouverture de l’année judiciaire, en Avril dernier, vous avez salué les progrès enregistrés, dans le pays, en matière de droits de l’Homme et salué l’attention que le président de la République accorde aux avocats… Pouvez-vous nous énumérer, brièvement, lesdits progrès et ce qui doit être fait, à votre avis, pour rendre accessible la justice à tout le monde ?

- Certes, nous avons tenu à remercier son Excellence monsieur le président de la République, suite à certaines réalisations que le Barreau trouve honorables. Pour preuves, toutes nos doléances ont trouvé, en moins d’une année, satisfaction : l’aide judiciaire, la loi incriminant l’esclavage, la lutte contre la torture, le Mécanisme national de prévention contre la torture où siègent deux avocats, la modification du Code de Commerce, en son article 116 bis qui dispose que tous les contrats dont la loi impose la conclusion par actes authentiques sont, sous peine de nullité, rédigés par des avocats en exercice, à l’exception des contrats conclus par l’Etat, les collectivités locales et les établissements publics à caractère administratif. A notre avis, tout cela prouve la réelle volonté du Président à asseoir une justice à même de satisfaire le citoyen, en matière des droits de l’Homme, tout en garantissant l’accès de tous à la Justice, cher à son Excellence.

 

- Au cours de cette même séance solennelle, vous avez remis, au président de la République, une toge d’avocat pour le soutien qu’il apporte à l’ONA.  Quelle est la signification de ce geste ?

- Le président de la République est le président du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Il est le garant des institutions constitutionnelles. Alors, pour nous, les avocats, la promulgation des lois garantissant la liberté individuelle contre la torture et des autres mesures que je viens d’énumérer justifie, amplement, que le Barreau lui dédie ce qui est le plus cher à notre profession, une toge. Toute notre lutte ne vise qu’un objectif : la défense contre les abus de tout ordre, ce qui ne saurait se concrétiser sans un arsenal juridique approprié. C’est dans ce contexte que s’inscrit la remise de la toge à son Excellence le président de la République.

 

- Pour certains de vos collègues et observateurs, maître Hindy répondait, par ce geste, à celui de son prédécesseur, maître Bouhoubeyni, qui avait déposé sa robe sur les micros, devant le président de la République, en signe de protestation, lui remettant, par la même occasion, un document intitulé « Calvaire de la justice depuis 2008 ». Que pensez-vous de cette interprétation ?

- En toute sincérité, la toge n’a été offerte qu’en égard des motifs tantôt cités. Cela n’a rien à voir avec un quelconque autre fait.

- La sortie de l’ONA a suscité, selon nos informations, des protestations de vos collègues qui parlent d’« initiative personnelle du Bâtonnier », de « subordination de l’organisation au pouvoir ». Que leur opposez-vous ?

- Il y a lieu, ici, de rappeler que l’ONA est représenté, exclusivement, par le Bâtonnier. Mais il reste que la divergence des points de vue est chose ordinaire, surtout là où la liberté d’exprimer son opinion est bienvenue. Quant aux relations avec l’Etat, je tiens à confirmer que l’ONA est indépendant vis-à-vis du pouvoir et de l’opposition. L’invariable liberté de ses positions en est la preuve irréfutable. Nous avons été aux côtés des détenus d’IRA-Mauritanie, à la défense de Biram ould Dah, de son vice-président et d’autres. C’est également valable pour les journalistes récemment déférés et incarcérés. C’est bien dire qu’en la matière, la position du Barreau est invariable et libre. Cela ne nous empêche nullement de saluer les efforts positifs de l’Etat. C’est cela, l’indépendance.

 

- Amnesty International et Transparency International classent la Mauritanie parmi les pays où les droits de l’Homme ne sont pas bien respectés. Qu’en pensez-vous ? De votre point de vue, comment se portent, en Mauritanie, la justice, en particulier, et les droits de l’Homme, en général ?

- Amnesty international et Transparency International sont des organisations internationales qui ont leurs propres procédés d’évaluation, basés sur leur vision des choses dont on partage certains points mais pas tous. Cela dit, dans l’histoire de la Mauritanie contemporaine, l’ONA fut et reste toujours à l’avant-garde des défenseurs des droits dans notre pays. Pourtant, les deux organisations précitées n’ont jamais pris contact avec notre institution, à propos des évaluations qu’elles portent sur la Mauritanie, chacune dans son domaine respectif. De notre part, si nous estimons que le parcours des droits de l’Homme et le respect du Droit ont connu une nette progression, ces derniers temps en Mauritanie, nous savons que la réalisation des droits de l’Homme est un travail de longue haleine qui ne se parachève pas en un jour.

 

- La Mauritanie dispose de bons textes, surtout pour la lutte contre l’esclavage et/ou ses séquelles. Pourtant, les organisations de défense des droits de l’Homme ne cessent d’exhiber des cas avérés d’esclavage. Pour la première fois, la Cour de justice fondée spécialement pour traiter ces questions vient de statuer, en appel à Néma, sur deux de ces cas.  A l’occasion de son passage à Nouakchott, le secrétaire général des Nations Unies, monsieur Ban ki Moon avait cependant déploré l’inapplication des textes en matière d’esclavage. S’il y a goulot d’étranglement, où se situe-t-il ?

- Vos propos, dans cette question, répondent relativement à la précédente car l’effectivité de la jouissance des droits est tributaire de l’existence de loi à appliquer et, sur la question de l’esclavage, les décisions de la Cour de Néma est la meilleure réponse à ce qu’a déploré le Secrétaire Général de l’ONU. Quant à votre question elle-même, si la loi relative à la répression de l’esclavage vient d’être modifiée, pour pallier aux lacunes de sa mouture de 2007, seules la pratique et les actions en justice peuvent en dévoiler d’éventuels goulots d’étranglement.

 

- Le rapporteur spécial des Nations sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme a produit un rapport accablant la Mauritanie. Ce texte a suscité plusieurs réactions, dont celle de l’ONA. Que reprochez-vous à cet expert onusien qui, à en croire le vice-président d’IRA, n’a dit que ce que ne cessent de dénoncer certaines organisations mauritaniennes, notamment le Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux de 2014 ?

- Effectivement, l’ONA a protesté contre les déclarations du rapporteur des Nations Unies, Philippe Ashton. Ce dernier a produit un travail qui agresse l’unité nationale, il n’a pas été objectif dans sa mission. C’est bien pourquoi nous avons protesté contre ses déclarations infondées. Il n’a pas jugé utile d’informer le Barreau de son passage ; et, ignoré, en même temps, les opérateurs en ce domaine.

 

- Les forces de l’ordre mauritaniennes sont souvent accusées de recourir à la torture pour « arracher les aveux » et réprimer les « manifestations pacifiques ». Le FNDU dénonce, pour sa part, le « rétrécissement, depuis quelque temps, du champ des libertés en Mauritanie ». Partagez-vous cet avis ?

- Pas du tout. Nous ne partageons aucunement cet avis. D’abord, il y a une loi incriminant la torture, la loi 0033/2015, qui prévoit, en son article 5, que le juge poursuive une enquête indépendante, en cas de présomption de torture ou mauvais traitement. Cette enquête doit être exécutée, même en l’absence de plainte. Mieux, il est constitué un Mécanisme national pour la prévention contre la torture. C’est une institution indépendante, administrativement et financièrement. Autant de signes qui témoignent du progrès en matière de droits de l’Homme.

 

- Certaines organisations de défense des droits de l’homme déplorent les conditions « exécrables de nos prisons », les « détentions arbitraires », ou encore les prisonniers « oubliés », parce que déférés sans dossier. Cette description des prisons vous parait-elle réaliste ou non ?

- La question des prisons est universelle, la surpopulation et les conditions de détention sont évoquées par tous de par le Monde. Certes, la situation de la prison de Dar Naïm est déplorable car les conditions de vie y sont, de loin, en deçà du minimum des standards de traitement carcéral. Pour les autres prisons, comme celle d’Aleg et de Nouadhibou, la prison civile de Nouakchott et la prison des femmes, elles sont plus ou moins acceptables.

 

- Dans votre discours, vous avez évoqué l’absence de l’assistance judiciaire et l’inapplication des verdicts, même contre l’Etat. Pensez-vous que le gouvernement prendra soin, sous peu, de ces plaintes ?

- Suite à nos doléances de 2015 pour lesquelles l’ONA a trouvé satisfaction avant le début de 2016, comme je l’ai dit tantôt, je reste confiant que nos questions actuelles trouveront, elles aussi, réponses avant l’ouverture de l’année judiciaire prochaine.

 

- Tous les observateurs de la place notent que le pouvoir et l’opposition réputée « radicale » (FNDU et RFD) peinent, depuis quelques années, à nouer un « dialogue franc et sincère », afin de sortir le pays de la tension politique qu’il vit depuis 2008. L’ONA n’aurait-il pas à jouer, comme son homologue tunisien, un rôle dans ce différent, pour rapprocher les deux camps ?

- L’ONA et d’autres organisations de la Société civile ont fondé, le 19 Octobre dernier, une Initiative civile indépendante pour un dialogue national inclusif. Dans ce cadre, cette initiative que je préside a pris contact avec les acteurs politiques, FNDU, majorité, etc. Nous avons rencontré les deux parties, avant d’être reçus par le président de la République et le Premier ministre. Tous les deux nous ont exprimé leur soutien. Suite à cette rencontre, nous avons invité les parties à des retrouvailles à la Maison de l’Avocat. Malheureusement, nous n’avons jamais reçu de réponse. Mais nous souhaitons toujours ardemment que les parties acceptent de se rencontrer, afin que le dialogue ait lieu, dans l’intérêt du peuple.

Propos recueillis par Dalay Lam