Kaaw Touré, porte-parole des FPC : « Je pense sincèrement qu’il n’y a pas de volonté réelle pour régler la crise politique »

28 July, 2016 - 15:33

Le Calame : Nouakchott vient d’abriter le 27eSommet de la Ligue des Etats Arabes(LEA). Quels enseignements tirez-vous en ?

 

Kaaw Touré : Apparemment, la Mauritanie tenait à organiser, coûte que coûte, cet événement pour prouver son arabité ou, du moins, son ancrage au monde arabe. Tant mieux :au-delà de son aspect nationaliste, réactionnaire et sentimental, nous ne pouvons que nous en féliciter, parce que notre pays a bénéficié, à tout le moins, de diverses infrastructures et investissements. Pour le reste, je n’ai pas encore connaissance des résolutions de leur conclave mais j’ai peur que la montagne n’ait accouché que d’une petite souris. Nous pouvons déjà dire que le Sommet s’est terminé en catimini ou, si vous préférez, en queue de… chameau : ce qui devait durer plusieurs jours a été plié en une petite journée. Que s’est-il passé ? Je ne suis pas aux secrets des rois mais les langues se délieront, tôt ou tard, pour nous dévoiler un tant soit peu de ce micmac diplomatique.

 

Pensez-vous que le nouveau président de la LEA, à savoir Mohamed ould Abdel Aziz, pourrait redorer le blason de cette organisation minée, non seulement, par les divisions de ses membres mais, aussi, par les différents conflits qui les minent eux-mêmes ; je pense, en particulier, à la Libye, la Syrie, la Palestine et l’Irak ?

- Certains parlent déjà d’échec du Sommet. Non pas à cause de son organisation notre pays mais à celle des conflits de leadership qui minent le monde arabe, depuis des décennies. Il ne fallait pas se faire d’illusions ni s’attendre à des miracles. Notre Président ne pouvait rien faire, malgré sa toute sa bonne volonté. Le blason est assez sale et une demi-journée ne pouvait suffire à la grande lessive. Sans risque d’être contredits, nous pouvons dire que c’est un sommet de plus, avec, probablement, les mêmes résolutions qui ne se focaliseront, jamais, sur de véritables solutions. « Les Arabes ne se sont entendus qu’à ne jamais s’entendre » dit bien la boutade populaire.

 

Vous vivez loin du pays mais la tension politique qu’il connaît, depuis 2008, ne vous échappe certainement pas. Que pensez-vous des tentatives de l’opposition et du pouvoir à sortir de cette crise ?

- Sincèrement, je pense plutôt qu'il n'existe aucune réelle volonté à régler cette crise politique, sociale et, même, d'existence qui secoue notre pays. Les acteurs politiques doivent pourtant se surpasser, pour outrepasser l'impasse : il y va de la survie de la Nation. Notre amour pour le pays nous commande à plus d'unité, pour un dialogue sincère entre tous les acteurs politiques et activistes de la Société civile. C'était déjà l'esprit du Manifeste du Négro-mauritanien opprimé de 1986 et c'est notre conviction de toujours.

 

Les services du ministère de l’Intérieur ont refusé de reconnaître votre parti, les Forces de Progrès et de Changement (FPC) qui a usé de son droit de recours devant la Cour suprême. Quelles conséquences en avez-vous tirées ?

- Nous constatons l’évidente volonté du pouvoir de museler toutes les forces politiques qui s’opposent frontalement au système et qui refusent de diluer leurs revendications sur la question nationale et sociale. Mais nous refusons d’abdiquer.

 

Les FPC militent pour une cohabitation respectueuse des   spécificités des différentes composantes ethniques du pays. Depuis plus d’une année, la question de l’unité nationale fait jaser. Chacun en revendique la paternité. Quel contenu donnez-vous, aux FPC, à ce vocable « unité nationale » ?  

- Si vous revenez sur l’histoire politique de la Mauritanie, nous pouvons dire que les FPC – ex-FLAM – furent les premières à prendre en charge cette question de la cohabitation ou, en parler plus vivant, du vivre-ensemble, que certains nomment, timidement, « question de l’unité nationale ».Cette revendication nous a valu la répression la plus haineuse, la plus cinglante et la plus sanglante, dans l’histoire politique de la Mauritanie. Nous n’en persévérons pas moins dans la lutte, avec le même engagement et la même détermination, pour une Mauritanie plus juste, égalitaire et non raciale. Hier comme aujourd’hui, nous pensons que la Mauritanie ne peut sortir de l’impasse et entamer la bataille du développement sans résoudre, d’abord, le crucial problème de l’unité nationale, facteur de stabilité de notre pays et de toute la sous-région. Mais l’unité ne peut se réaliser, si tous les Mauritaniens ne se reconnaissent pas dans l’Etat mauritanien. L’unité ne peut se construire, si certaines cultures et langues se sentent exclues. L’unité ne peut se faire, sans une justice impartiale. L’unité ne peut s’accomplir, sans la reconnaissance de la citoyenneté, pleine et entière, de toutes les composantes nationales. Enfin, l’unité ne peut réconcilier les gens, sans un débat ouvert à tous et entre tous, sur la question nationale et sociale, à savoir le problème du racisme d’Etat et de l’esclavage, sous toutes ses formes.

 

Propos recueillis par Dalay Lam