Nana Mint Cheikhna, membre du bureau exécutif du RFD, ancienne députée, dans une interview exclusive : ‘’L’opposition a consigné, par écrit, sa vision du dialogue. A ce jour, aucune réponse ne lui a été adressée. Cette attitude est le comble du mépris’’

4 August, 2016 - 03:06

Le Calame : Le Sommet de la Ligue des Etats Arabes, tant attendu et intensément préparé, par le gouvernement, a vécu. Pensez-vous que celui-ci a gagné son pari ?

Mme Nana Mint Cheikhna : En tant que pays arabe, la Mauritanie a toujours joué, par le passé, un rôle prépondérant dans toutes les questions qui touchent la Nation arabe et ce sans occulter, évidemment, sa dimension ouest-africaine, jouant pleinement sa partition, dans l’effort de rapprochement entre ces deux entités auxquelles nous appartenons, naturellement. 

L’arabité étant, exclusivement, une notion culturelle, civilisationnelle, nous sommes, non seulement, le pays dit du « million de poètes »   mais nous avons, aussi, enrichi le monde arabe de l’apport de célèbres noms, issus de nos différentes communautés. J’en cite, à titre d’exemples, quelques-uns, en vrac :  Mohamed Yahya El Walaty,  Ould Tlamid,  Cheikh Alpha Ibrahim, Lemjeydry,  El Haj Mahmoud Bâ, Abbe ould Khtour, Almamy Abdelkader, El Haj Oumar Tall et j’en passe. La liste de nos érudits qui ont largement contribué, en Orient comme en Afrique, à la diffusion de la culture arabo-islamique est très longue.

Au plan politique, notre engagement, pour le droit des Palestiniens, n’a pas fait défaut aux moments les plus durs.  Alors que l’Etat était encore embryonnaire, nous avons, même, rompu les relations diplomatiques avec les USA, en réaction à leur parti pris dans le conflit arabo-israélien et, malgré l’extrême modicité de nos moyens, nous avons accueilli un grand nombre de palestiniens auxquels des passeports mauritaniens furent délivrés. 

 C’est donc que la tenue du sommet de la LEA en Mauritanie est une réunion normale et ne doit pas être présentée comme un pari, un évènement exceptionnel, extraordinaire dont nous devons tirer une fierté outre mesure, d’autant que l’ordre alphabétique et l’excuse marocaine y ont largement contribué. Ceci dit, il est heureux qu’aucun incident grave n’ait eu lieu et que les participants soient repartis sains et saufs. Aussi faut-t-il souligner, avec plaisir, quelques heureux aménagements d’avenues, à Tevragh Zeïna, un lot de voitures de luxe et, semble-t-il, des contributions en numéraires consentis par certains Etats, à la veille du Sommet. A cet égard, la transparence et la gratitude, vis-à-vis des tiers donateurs, impliquent que ces montants soient publiés et insérés au Budget. J’espère que les députés y veilleront. 

Il demeure toutefois regrettable que ces assises entrent, dans l’histoire de la LEA, comme celles qui auront duré le moins de temps (une demi-journée) et reçu le moins de dirigeants. J’aurais souhaité que notre diplomatie ait pu éviter ce triste record. Je dois aussi souligner qu’à la veille et au cours de ce sommet, des arrestations arbitraires de jeunes ont été constatées et qu’ils sont toujours détenus, sans que personne ne soit fixé sur leur sort. La dérive autoritaire s’approfondit, de jour en jour, et laisse présager des actes inconsidérés qui ne feront qu’accentuer le désarroi d’une jeunesse victime du chômage et de la pauvreté, qu’on cherche à museler.

 

- La LEA pèse peu sur la diplomatie internationale. Elle ne fait quasiment rien pour résoudre les nombreux conflits qui l’affectent, presque tous liés au terrorisme islamique, excepté la question palestinienne. Pensez-vous que, sous le magistère du président Mohamed ould Abdel Aziz, la diplomatie mauritanienne pourrait faire bouger les choses ?

- Depuis sa fondation à ce jour, la LEA a tenu régulièrement des sommets plus protocolaires qu’appliqués à concevoir des politiques, des stratégies et des décisions communes susceptibles d’avoir un impact réel sur les problèmes, de plus en plus épineux, que connait le monde arabe : Palestine, guerres civiles, divisions en clans, émigration, pauvreté, terrorisme, etc. Dépourvu de ligne politique étrangère bien conçue qui tienne compte de notre environnement immédiat, de nos intérêts bien compris et du rôle de jonction entre deux mondes (arabe et africain) auxquels nous appartenons – naturellement, je le répète – notre pays se trouve, aujourd’hui, empêtré dans d’inexplicables querelles et contradictions avec nos voisins les plus proches. Je ne vois donc pas comment le chef de l’Etat pourrait-il avoir la moindre influence sur le vaste monde arabe dont les contradictions sont encore plus complexes. Je crains plutôt que ce rôle ne se résume, comme d’habitude, en une multitude de voyages, ruineux pour notre budget déjà largement éprouvé, sans retombée aucune ni pour les questions arabes ni pour le pays.

 

- De nombreux(ses) militant(e)s du mouvement abolitionniste IRA ont été arrêtés puis placés en détention, suite à des affrontements consécutifs aux déguerpissements de populations installées sur un terrain privé, près de l’hôpital d’ophtalmologie Bouamatou. Quelle lecture ces évènements et ces arrestations vous inspirent-ils ?

- Il est vrai que le terrain où vivaient ces populations continue d’appartenir, légalement, à une personne privée, bien qu’il ne lui ait été attribué que sur la base d’un engagement de mise en valeur, consistant en un complexe hôtelier de grande envergure à réaliser à travers un investissement étranger. Cette mise en valeur n’a jamais été réalisée mais l’administration n’ayant pas prononcé la déchéance, le terrain demeure propriété privée. Un ordre de déguerpissement a donc été donné, pour vider le terrain d’une pauvre population, essentiellement haratine, qui y vivait depuis plus de vingt ans, y faisant naître leurs enfants, aujourd’hui majeurs. Du jour au lendemain, des centaines de familles ont été acculées à s’exiler à la lisière de la ville, loin des services d’éducation, santé, transports, etc. J’avais dit, à l’époque, qu’une solution plus juste pouvait être trouvée ; par exemple, en lotissant, à leur profit, une section du grand terrain de la SNDE, situé à proximité de leur lieu de squat et dont une grande partie fut attribuée à l’ONG Rahma, dirigée par le fils du chef de l’Etat.

Certes, l’opérateur privé est dans son droit, lorsqu’il réclame son terrain, et la violence, à l’encontre des forces de l’ordre, est source d’inacceptables désordres, aux conséquences imprévisibles. Mais encore faut-il rappeler que la loi ne trouve sa justification essentielle que dans sa prétention à arbitrer les rapports sociaux et n’a de force qu’autant qu’elle se fonde sur l’objectif de justice qui lui est assigné. Or il n’est pas juste que des individus bénéficient, du simple fait de leur proximité familiale ou tribale, d’avantages fonciers exorbitants, instrumentalisant ainsi l’Etat, la loi et la force publique, tandis que des centaines de familles pauvres se voient, tout « bonnement », reléguées aux confins de la ville.

De plus, cet ordre de déguerpissement avait la particularité de concerner uniquement des haratines, dans un contexte où la question, particulièrement sensible, de l’esclavage et de ses suites est instrumentalisée, aussi bien par le pouvoir qui cherche, visiblement, le chaos, en multipliant les foyers de tension, par le recours systématique à la force, que par certains mouvements qui cherchent à la transposer en conflit inter-ethnique. 

Or la question haratine est une question nationale essentielle qui doit préoccuper tout mauritanien soucieux de la justice, de la paix sociale et du développement du pays. Les anciens esclaves font les frais d’une administration irresponsable qui préfère envenimer les problèmes, plutôt que d’octroyer, aux victimes, leurs droits à la dignité, aux services sociaux, à la propriété foncière, etc., dans les mêmes conditions que les autres. L’approche sécuritaire et répressive, vis-à-vis des militants, est toujours la pire car c’est là une sorte de politique de l’autruche qui s’entête à ignorer les problèmes. La question de l’esclavage et de ses suites – suites que je considère au moins aussi graves car plus insidieuses, avec des effets rampants, moins apparents que l’esclavage en soi, mais détériorant, en profondeur, le tissu social – doivent être abordés, par l’Etat, à travers la concertation franche et sincère, avec tous les militants de cette cause.

 

- Les préparatifs du Sommet ont relégué, au second plan, le dialogue que le président de la République avait annoncé très imminent (courant juin), lors de son discours à Néma. Continuez-vous à penser que cette concertation ait quelque chance de se tenir après le Sommet, probablement après les vacances gouvernementales ?  Le FNDU et RFD auraient-ils intérêt à y prendre part ?

-La Mauritanie a besoin d’un dialogue sérieux dont les protagonistes seraient animés d’une réelle volonté à trouver des solutions structurelles, aux questions fondamentales sur lesquels nous butons. Ce pays devrait être un havre de paix et de prospérité, du fait de ses potentialités matérielles et humaines : il n’a réussi qu’à amasser une boule de contradictions sociales, consolider une aire de pauvreté de plus en plus accrue et caricaturer un pastiche d’Etat n’offrant, à son peuple, qu’une pseudo-démocratie.

J’ai eu à rappeler, dans une précédente interview, les efforts et la disponibilité dont a fait preuve l’opposition, depuis Dakar, pour obtenir un dialogue de cette nature, puis les multiples tentatives, à Nouakchott, qui se sont soldées par des échecs, faute de disponibilité du pouvoir à dépasser son unique et simpliste souci de faire miroiter une image factice d’ouverture, via des effets d’annonce.  Les différents appels lancés, comme des convocations, entrent dans cette politique stérile de communication.

Face à cette situation, nous avons consigné, par écrit, notre vision du dialogue et les mesures qui nous paraissent utiles pour asseoir la confiance. A ce jour, aucune réponse ne nous a été adressée. Cette attitude est le comble du mépris. Elle cache un refus d’accepter le moindre cadrage du dialogue et les différents appels, lancés urbi et orbi, dénotent une volonté de faire, du dialogue, un carnaval où dissoudre, à l’instar des fameuses journées de concertation, les vrais problèmes du pays. Au RFD, nous pensons que ce genre de pastiche, abusivement intitulé dialogue ou concertations, est plus porteur de préjudices aux populations car, c’est bien connu, l’Histoire s’agace du deuil des espoirs. 

Un dialogue doit être fondé sur un cadre prédéterminé, des questions précises et surtout la bonne foi, incarnée par des actes d’apaisement et l’application de lois essentielles, tenues, depuis leur promulgation, volontairement en suspens. Aujourd’hui, le pouvoir fait exactement l’inverse : Les libertés sont de plus en plus restreintes, toutes les manifestations pacifiques sont réprimées, les arrestations arbitraires se multiplient. Il est, en tout cas, urgent pour notre pays que le pouvoir se ressaisisse et qu’il réponde à la plateforme qui lui a été adressée, par l’écrasante majorité de l’opposition. Et qu’il s’emploie en des termes convaincants de sa bonne foi qui a fait tant défaut, jusqu’à présent.

 

- Est-ce à dire que les mesures prises, par le Président des pauvres, n’ont réussi à éradiquer ni la pauvreté ni l’esclavage ?

 - J’ai déjà dit que, malheureusement, le Président des pauvres s’est avéré le président de quelques anciens pauvres de son entourage le plus proche, devenus subitement milliardaires. Quant aux autres pauvres, ils le sont de plus en plus.

 

- Que pensez-vous des mesures d’expulsions des éleveurs mauritaniens du Sénégal et des pêcheurs sénégalais de Mauritanie ? D’où proviennent ces crispations entre les deux pays ?

- Les incidents qui émaillent, souvent, nos relations avec le Sénégal me semblent découler, comme je l’ai dit plus haut, d’une diplomatie réglée par l’improvisation et le tâtonnement. Le Sénégal est un pays frère avec lequel nous partageons un fleuve, des relations sociales imbriquées et une aire civilisationnelle. Nous devons fixer, avec lui et une fois pour toutes, nos rapports économiques, politiques et sociaux.

 

- Que vous inspire la récente « grogne » des sénateurs ?

- Il est insolite de voir, dans un meeting, un chef d’Etat traiter une institution parlementaire, de surcroît composée presque entièrement de sa majorité, d’inutilité, de frein au travail et, cerise amère sur le gâteau, de budgétivore. Il est moins surprenant que, dans son sillage, des ministres, des hauts fonctionnaires, des responsables politiques du parti au pouvoir, s’empressent, dans une multitude de meetings censés expliquer le discours de leur chef, à affubler les membres de la Chambre haute de qualificatifs injurieux, les accusant, dans la foulée, d’avoir obtenu leur siège grâce à la corruption de conseillers municipaux guère plus épargnés, au passage. 

C’est là, je crois, une Première dans notre histoire. Elle dit le profond mépris où le chef de l’Etat tient le peuple mauritanien, en général, et les institutions de la République, en particulier. Il ne se sent en rien redevable à ceux qui prétendent l’avoir élu. Il est maintenant clair que tous les Mauritaniens ne lui apparaissent qu’en simples comparses, dans une mise en scène « démocratique », élaborée pour servir de faire valoir à un groupe bien restreint de militaires qu’il dirige ; et qu’il assimile sa charge à un blanc-seing reçu, de ses pairs, à la faveur d’un coup d’Etat. 

Propos recueillis par Dalay Lam