Nouvel accord politique à l’issue d’un dialogue tronqué : Un coup fourré

27 October, 2016 - 16:37

Le dialogue politique national réputé inclusif s’est achevé jeudi dernier. Les participants ont convenu d’un accord. C’est le troisième, après ceux de Dakar, en 2009, et de Nouakchott, en 2011. N’eussent été les différents boycotts de l’opposition, on croirait que la dialogue est devenu une tradition, dans la démocratie mauritanienne. Mais il ya toujours eu ce « petit » quelque chose qui manque à l’arrivée. Autre raté, l’application effective des résolutions.

Celui de Dakar n’aura vu que la formation d’un gouvernement potiche d’union nationale et d’une CENI dite consensuelle… Les autres résolutions, pourtant importantes, n’ont connu aucune matérialisation. On citera, entre autres, les concertations permanentes entre les deux parties. La négligence, pour ne pas dire le refus, du pouvoir d’appliquer les résolutions de l’accord paraphé sous l’égide de la Communauté internationale, puis certaines de celui paraphé en 2011, avec quelques partis de l’opposition, a formé la plus conséquente pomme de discorde, entre Mohamed ould Abdel Aziz et son opposition. Exit la confiance mutuelle qui devrait marquer les rapports entre les deux partenaires. Depuis, les voilà à ramer pour renouer un dialogue sérieux et inclusif. L’opposition réunie au sein de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) puis du Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU) se méfie systématiquement des offres du gouvernement. Jusqu’à la pousser à boycotter le dialogue bouclé ce jeudi.

 

Encore quelques avancées ?

Comme celui de 2011, l’accord entériné le 20 Octobre 2016 peut constituer des avancées significatives, si, bien entendues, les recommandations des participants sont appliquées. Le président de la République en a pris l’engagement solennel. En 2011, on avait, de la même manière, enregistré de notables avancées, sur le papier, notamment au plan politique : interdiction de la transhumance politique, lutte contre l’inflation des partis, non-cumul des charges, neutralité de l’armée et de l’administration, reconnaissance concrète des langues nationales autres que l’arabe (pulaar, soninké, wolof), lutte contre l’esclavage et ses séquelles, listes pour femmes, etc. Mais, pas grand chose n’en fut concrétisé, par les textes de loi. Jusqu’à obliger d’inscrire, cinq ans plus tard, l’évaluation de l’accord de 2011, dans les thématiques du présent dialogue.

Pour ce qui est des résultats de celui-ci, on retient, entre autres, la dissolution du Sénat, déjà annoncée par le président de la République à Néma, en Mai dernier, et son remplacement par des conseils régionaux. Au plan électoral, l’organisation d’élections municipales et législatives anticipées, le renforcement de la proportionnelle, l’attribution de postes de députés à la diaspora mauritanienne. Pour l’unité nationale fortement ébranlée par le passif humanitaire, les participants préconisent le parachèvement du règlement de celui-ci et la consolidation des acquis, la promotion et l’enseignement des langues nationales, une vieille doléance des négro-africains de Mauritanie. On se rappelle que, dans les années 80, l’Institut des langues nationales avait développé, six années durant, une expérience concluante en ce sens, au Fondamental. La mise en œuvre de tels enseignements ne doit pas poser de problème, dans la mesure où les outils et le personnel enseignant existent déjà.

Les congressistes proposent, également, le renforcement et l’amélioration des mécanismes de lutte contre l’esclavage et ses séquelles, la clarification de la mission de l’agence Tadamoun, la lutte contre la gabegie, le renforcement de l’Etat de droit, la neutralité de l’administration… Sur la question des terres, ils recommandent des réformes foncières de nature à mieux exploiter le potentiel agricole du pays en préservant les intérêts légitimes des populations locales. La question de l’état-civil s’est invitée aux débats. Les participants espèrent une accessibilité notablement accrue et universalisée aux papiers d’état-civil, ce qui loin d’être le cas aujourd’hui. Les citoyens éprouvent d’énormes difficultés à se faire enrôler.

 

Pour quel contenu ?

Quel contenu la commission de suivi et d’orientation offrira-t-elleà chaque recommandation ? Ensemble, elles ne forment, pour l’heure, qu’un plaisant catalogue de bonnes intentions. Qu’on en juge à ces quelques formules :« l'état civil-doit être un service de proximité accessible aux citoyens ; les mesures appropriées doivent être entreprises pour faciliter l'enrôlement de tous les Mauritaniens ; l'administration doit être neutre et équitable, au service de la Nation et du développement […] Unité nationale et cohésion sociale : construire un Etat moderne, républicain, juste et équitable, se basant sur la citoyenneté ; les Mauritaniens sont tous égaux devant la justice, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs ; l'Etat doit tout mettre en œuvre pour la réalisation de cet idéal […]  Séparation des pouvoirs: prendre les mesures de nature à garantir une séparation effective des pouvoirs ».

 

Les dialoguistes ont fait donc leur travail. Il reste, à la commission, de traduire ces recommandations en propositions techniques susceptibles de permettre, au gouvernement, de les traduire en textes de lois. En tout cas, les Mauritaniens prendront au mot leur Président qui, lors de ses deux discours d’ouverture et de clôture, s’est engagé, solennellement, à appliquer les conclusions du dialogue.

 

Réactions des partis

Comme on s’y attendait, les réactions de la classe politique restent mitigées. Du côté de la majorité présidentielle et des partis de l’opposition dialoguiste, on salue l’accord, on loue les qualités du président de la République que « seul l’avenir de la Mauritanie préoccupe », quand l’opposition boycottiste s’efforce de prévenir tout endormissement des consciences. Dans une déclaration rendue publique le 22 Octobre, le FNDU rejette les résultats d’un dialogue unilatéral, met en garde contre toute manipulation de la loi fondamentale, estime que le pays est pris en otage par le pouvoir en place et que les questions centrales ont été ignorées… Et de dénoncer la gabegie qui gangrène le pays, d’appeler les mauritaniens à défendre leur Constitution, en invitant les forces patriotiques à la résistance et à plus de coordination dans l’action. « Rendez-vous en ce sens à la Marche du 29 Octobre prochain, à Nouakchott », conclut en substance le communiqué, « pour manifester, massivement, votre rejet du régime en place ».

Le RFD a tenu à en rajouter une couche, par la voie de son premier vice-président, Mohamed Mahmoud ould Ematt, qui qualifie de « farce » le document final du dialogue. Pour lui, les recommandations du dialogue n’engagent pas son parti attelé, a contrario, aux préparatifs d’un vaste mouvement de résistance au « complot du pouvoir contre la Nation ».

Le président du RD, Moustapha ould Abeïderrahmane, s’est, quant à lui, réjoui des propos présidentiels relatifs à la modification de la Constitution. Le seul fait que le Président dise respecter la Constitution lui paraît de nature à renforcer la démocratie mauritanienne et à préparer une alternance démocratique à la tête du pays. De son côté, le président d’El Wiam, Boydiel ould Houmeïd, compare, le 21 Octobre, sur sa page Facebook, le président Mohamed ould Abdel Aziz à Nelson Mandela et à Georges Washington. « Les uns font l'histoire, les autres la subissent », écrit ainsi le pachyderme, « le président Mohamed ould Abdel Aziz fait partie de ceux qui la font, de la classe de Georges Washington et Nelson Mandela.En matière de démocratie, le pouvoir ne l'a pas corrompue, la décision qu'il vient de prendre prouve, encore une fois, son courage légendaire.

 Dans une interview accordée au Calame, le président du Parti pour l’Unité et le Développement (PUD), Baro Mohamed, salue les conclusions du dialogue et remercie l’ensemble du peuple mauritanien et son président. M. Baro estime qu’aujourd’hui, « la balle est dans le camp de la commission de suivi à charge de conduire le reste du processus ». Et de souhaiter, enfin, que les boycottistes rejoignent celui-ci, pour améliorer l’accord en vue du bien-être du peuple mauritanien.

DL