Une semaine de Nouakchott /Par Mohamed Saleck Beheite

10 November, 2016 - 01:01

Le lundi à 7h00, une foule noire et compacte grouille autour du carrefour Madrid, faisant penser à un enterrement à l’Italienne qui se serait inspiré d’une fourmilière. Des enfants mendiants, en bas âge, à majorité Touaregs et Syriens, prennent d’assaut les trottoirs et occupent le milieu de la route, provoquant des embouteillages kilométriques et des coups de gueules et de klaxons stridents, qui tranchent nettement avec le calme matinal. Les agents du GSSR (Misgharou) s’époumonent dans leurs sifflets et courent dans tous les sens comme un détachement de soldats Nord-Coréens, auxquels ils ressemblent, non pas par la discipline  légendaire, mais par leur tout nouveau accoutrement, copié sur les tenues de parades des soldats de plomb. Au loin, des étudiants de la nouvelle université de Tevelly, s’agglutinent autours d’un bus venu les chercher et dont le moteur s’est arrêté, après avoir toussoté deux ou trois fois, remplissant l’air d’une fumée bleue, qui dit long sur l’état de ses segments, l’état d’esprit de son conducteur et l’état financier du service chargé de son entretien. De derrière le mur d’enceinte de l’ancien aéroport, le soleil, qui vient de se lever, donnant des couleurs à ce tableau lugubre, n’en croit pas ses yeux. Il arbore un sourire de feu  et se dit qu’il s’agit là de l’une des visions auxquelles sa sénilité l’a habitué. C’est peut-être vrai car, comme le très, très vieux soleil, l’anarchie à Nouakchott est née depuis des millénaires.

Le mardi à 8h00, le personnel de la BCM est massé à la queue-leu-leu, devant la niche du contrôle de présence par empreintes digitales. Les cadres, généralement pointilleux sur les détails comptables, pointent et quittent la niche en ordre dispersé. Certains repartent en ville s’occuper de leurs affaires personnelles et ne reviennent qu’à 17h00 pour refaire le même rite et ‘’badger’’ à la descente. Certains autres regagnent leurs bureaux et commencent à défaire les paquets où sont enveloppés méticuleusement croissants, bouteilles de lait et autres babioles destinées à tromper le temps qu’on trouve très long dans ce sanctuaire de la monétique. D’autres déambulent dans les couloirs et se parlent à voix à peine audible. La couleur des costumes est à prédominance grise, avec des cols de chemises à la blancheur douteuse. Un monde en vase clos dont les spécimens les plus en vue, semblent sortir tout droit d’un roman d’Alexandre Dumas (père) et pour qui, la cuillère, euh…! Pardon…le carrosse en or massif du Gouverneur/Gouvernant, est une raison suffisante pour se croire au 18ème siècle, dont ils arborent tous fièrement la mode vestimentaire.

Le mercredi à 10h00, la voiture du chef de visite du bureau des douanes du port de Nouakchott, démarre sur le chapeau de roues, traverse l’enceinte à toute allure et prend la direction de la ville en roulant à tombeau ouvert. Vingt minutes plus tard, la voiture s’arrête, dans un sinistre crissement de roues, devant la Direction Générale des douanes et l’unique occupant en jaillit, une pile de dossiers multicolores à la main. Il a le visage radieux et arbore l’air de quelqu’un qui vient d’arraisonner une cargaison de cocaïne aux larges de Nouakchott. Il monte les marches quatre à quatre, fait irruption dans le bureau du secrétariat, avant d’atterrir, suant et haletant, dans celui du patron. Il en ressort quelques minutes plus tard, un rictus d’amertume dessiné sur les lèvres, descend les marches lentement, comme pour y laisser un peu de sa peine, regagne sa voiture et prend la route du port, qu’il connait pour l’emprunter depuis plus de vingt ans, en y prêtant le flanc aux humeurs des chauffards de Nouakchott et aux déceptions d’un zèle injustifié, qui fait regretter le temps du colonel Ndiaga Dieng.

Le jeudi à 1300h, les limousines noires made in China des ministres, commencent à quitter la présidence, après que leur conseil se soit tenu sous la présidence du chef de l’Etat, flanqué de ses deux premiers ministres, le nouveau et l’ancien, qui tirent leurs adjectifs numéraux ordinaux du sens biblique des termes. Pour n’avoir pas décelé de signe inquiétant pour leur avenir, dans l’attitude de leur chef, les ministres étaient souriants et distribuaient accolades, rendez-vous et promesses au petit personnel de la présidence. Seul le ministre de la culture, porte-parole du gouvernement, semble déroger à cette euphorie discrète et mesurée. Peu souriant d’habitude, l’homme semble porter le fardeau de l’une de ces annonces fracassantes, dont il a le secret et qui, généralement, mobilisent les médias officiels, mettent en émoi l’opinion publique et font trembler les ambassades accréditées à Nouakchott. Arrivé au ministère, le porte-parole fait son entrée dans la salle de réunions et, devant un parterre de journalistes dont la majorité donne l’air de rentrer directement du Nord de l’Irak après s’y être frotté à DAESH, fit la déclaration suivante : « le président m’a désavoué, il n’est pas candidat à sa propre succession. » Un peshmerga bondit et, avant d’en avoir l’autorisation, réplique au ministre : « mais à ce que je sache, le président n’a jamais laissé entendre qu’il est candidat à quoi que ce soit, cette histoire de candidature, c’est vous, excellence, qui l’aviez inventée. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ? » Pris de court, le ministre semble regretter son bref passage au département de la communication, dont il a hérité cette tâche ingrate et périlleuse. Il réfléchit rapidement et, à la manière dont Einstein ‘’formulait ses réponses’’, il dit : ‘’Oui, en effet, j’en ai parlé, mais je ne suis pas un cas isolé. J’ai annoncé ce que certains ministres ont dit puisque ne l’oubliez pas, je suis le porte-parole du gouvernement et non de la présidence.’’

Le vendredi à 14h00 ; l’Allemagne tout entière laisse exploser sa joie pour fêter 32 ans sans la moindre coupure d’électricité. En cette journée de début de week end, cette grande nation européenne n’est pourtant pas la seule à pouvoir se vanter d’un tel exploit, témoin de sa santé financière, ses performances techniques et son positionnement sur l’échiquier industriel mondial. La Mauritanie aussi peut faire autant sauf que la SOMELEC compte d’autres résultats non moins impressionnants : comme, par exemple, le ravitaillement en électricité du Sénégal voisin. Il faut reconnaitre que le génie de son ancien Directeur Général, Mohamed Salem Ould Bechir, y est pour beaucoup dans ce bond qualitatif. Espérons seulement, que la SNIM, dont il est devenu le ‘’patron’’ par défaut, saura résister aux tentations des réformes qu’il pourra apporter sous prétexte qu’il envisage de ravitailler en main-d’œuvre qualifiée les marchés de travail chinois, japonais et coréens.

Le samedi à 18h00, les revendeuses de poisson (Ndiayatt) tiennent conclave sur la plage des pêcheurs. A l’ordre du jour de la réunion, un seul point est inscrit : exiger la révision à la baisse du prix du yayeboye (sardinelle). Les pirogues commencent à arriver et à débarquer leurs cargaisons. Mis au courant des revendications des revendeuses, le responsable de la coopérative des pêcheurs se présente et leur tient le discours suivant : « Estimez-vous heureuses mesdames,  que nous acceptons encore de vous vendre notre yayeboye. Je vous apprends que, depuis que des négociants, avec l’aide de certains fonctionnaires du ministère, ont créé des campements de pêche, nos captures de toutes espèces, leur sont automatiquement livrées sauf le yayeboye, c’est ce qui le rendait très accessible des points de vue prix et disponibilité. Mais depuis que les Mocas  existent en nombres importants, par le fait des facilités qui leur sont accordées par la Direction du contrôle environnemental du ministère de l’Environnement, le yayeboye est devenu une espèce convoitée puisqu’il est présent à hauteur de 70% dans le tout venant, qui entre dans la fabrication de la farine de poisson. C’est ce qui explique, par ailleurs, le bond de 50 um à 150 um pièce, enregistré, sans crier gare, par son prix. J’espère que vous avez bien compris et, si c’est le cas, vous demande de faire vos achats avant que la nuit ne vous en empêche ». Sur ce, les Ndiayatt se dispersent et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les stocks de yayeboye exposés sur la plage furent écoulés.

Le dimanche à 20h00, les restaurants huppés de Nouakchott commencent à recevoir leurs clientèles, qui va de l’étudiant aisé, en passant par les familles de diplomates et autres fonctionnaires internationaux et jusqu’aux jeunes branchés, dont les coupes de cheveux, les lourds bracelets en acier laminé et les téléphones portables haut de gamme, sont les signes distinctifs. Dans les rues environnantes, les grosses cylindrées et limousines sombres et rutilantes, bloquent le passage et dans les salles à manger, les odeurs des chawarmas et des poulets braisés, se mêlent aux odeurs aromatiques des cafés orientaux, du narguilé et des parfums exotiques, qui perturbent l’odorat, même chez les nez habitués aux senteurs les plus cosmopolites et les plus enivrantes. Au même moment à Tarhil, Penda, une jeune femme Peulh originaire de Foum Gleita, venue s’installer à Nouakchott avec ses trois enfants dont une fille handicapée, sert à ces derniers un dîner tardif et froid. Un vieux plat en aluminium au milieu duquel trône du niébé cuit au feu de bois et qui en porte l’odeur des fumées. A côté traine une carafe d’eau à la couleur douteuse, puisée chez la voisine. Penda prépare le pagne et le chemisier qu’elle garde au fond d’un sac, pour se mettre en valeur chaque fois que cela est nécessaire. Demain elle doit les porter, puisque le responsable local de l’UPR a annoncé un meeting, qui doit se tenir tôt le matin afin de demander  au président de la république d’être candidat à un troisième mandat. Le communiqué faisant état d’un tel évènement politique, met en évidence toutes les réalisations du régime et, en particulier, le niveau de vie des populations dans lequel les habitants de Tarhil n’ont désormais, plus rien à envier aux habitants de Tevragh Zeina.

Demain il sera lundi, puis viendra mardi, mercredi etc. les mêmes choses se répéteront dans un cycle de routine infernale. Les habitudes tournent autour d’elles-mêmes, le pays aussi tourne (en rond) autour de lui-même, exactement comme le font les astres en orbite dans tout l’univers. La raison est d’ailleurs simple, car la Mauritanie n’est pas un pays comme les autres, c’est une planète à part, qui a toujours été éclairée d’un soleil aux lumières incommensurables et élu aux suffrages universels… (à suivre)