Autour d'un thé

19 January, 2017 - 02:05

Au temps de Taya, quelqu’un disait que celui-ci procédait par loterie, pour choisir les hauts fonctionnaires de son pouvoir. Tant les choix qu’il opérait paraissaient-ils hasardeux, voire incompréhensibles. Mais « c’est où qu’on a vu » un chef-président expliquer, à ses esclaves de citoyens, comment il les choisit pour devenir ses serviteurs ? Entre 1958 et Janvier 2017, il n’y a qu’un petit cercle qui tourne et retourne, entre les hautes fonctions étatiques. N’est pas ministrable, gouvernable, « ambassadrable », « directable » ou « générable » qui veut. Et puis il faut bien qu’on se partage les tâches, dans une république qui se respecte. Tout le monde ne peut pas aller dans le même sens. Regardez ce qui arrive, aux carrefours de Nouakchott, aux heures de pointe. C’est exactement à cela que ça aboutirait, si tout le monde voulait devenir quelque chose. Il faut des gens pour la majorité. Il faut des gens pour l’opposition. Il faut des proches. Il faut des lointains. Exactement comme il faut des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux. Ça s’appelle la biodiversité. Un concept très à la mode : tout est dans tout. Et vice versa. Pour devenir ministre, par exemple, il faut être inventif. Certains ont dansé, pour le devenir ou quelque chose d’aussi important. L’art de remuer artistiquement les pans de son boubou, de tourner sept fois son « kchatt » et de faire voir ses mollets. Un ministre qui danse bien, ça peut aller. Surtout avec la prolifération des festivals. D’autres ont dit n’importe quoi, pour atteindre à telle fonction. Hé, ce n’est pas facile de dire n’importe quoi ! Que jamais le pays ne fut, avant. Que les caisses publiques sont pleines aux as. Que les hivernages sont devenus réguliers. Que l’imperturbabilité des montagnes, le silence des oueds et les dattes des palmeraies, tout ça, c’est la bénédiction, la sagesse et la clairvoyance de qui tu sais. Qu’il n’y a ni homme ni femme, pas plus à Nouakchott qu’à El Ghayra, ni nulle part ailleurs, dans toute la Mauritanie, ni, même, au-delà, ni dans ce monde ni dans l’au-delà, qui puisse diriger le pays, si ce n’est toi. Parce que toi, c’est toi et les autres sont les autres. Savoir changer. Savoir virer. Savoir culbuter. Ha, la technique de la volteface ! Rouler à deux cents à l’heure puis vlan ! Virage à trois cents soixante degrés ! Ça peut casser, comme ça peut passer. Et quand ça passe, ça rapporte établissements de suivi, société de gaz, puis portefeuille ministériel. Les virages, les coins et les recoins, qui peut les « casser », en Mauritanie ? Les retournements de vestes, de boubous, de turbans… N’essayez, surtout pas, de faire le décompte de ceux qui sont, aujourd’hui, avec le système. N’essayez, surtout pas, de vous rappeler où étaient-ils, en 2003, 2007 ou 2008. Un ancien ministre des Affaires étrangères de Taya rapporte que tous les ministres présents, au dernier conseil d’avant Août 2005, sont, aujourd’hui, tous aux affaires. Sans honte. Sans vergogne. Sans gêne. Dansant. Chantant. Applaudissant. Regardez en haut. En bas. Tournez-vous à droite ou à gauche. Derrière et devant. Maintenant, il faut pleurer pour devenir ministre. Avant, il n’y avait que la hyène qui pleurait, pour avoir la chose des autres. Qui pleurait « sur » la chose des autres. Les portefeuilles, c’est pour le Président qui les donne à qui il veut : aux danseurs, aux chanteurs, aux pleurnicheurs. C’est selon vos capacités artistiques. Elle fut bien inspirée, madame, de pleurer pour la Palestine ! Demain, quelqu’un le fera pour la Syrie. Puis un autre, pour le Sahara. Puis encore un autre, pour la Libye. Certainement personne, pour M’bout ou Barkéol, la Kebet Marbatt, Dar El Beida ou pour les rescapés de l’incendie du Wharf qui attendent, encore, l’aboutissement de promesses sans lendemain. Qui pleurera pour les enfants affamés, malades et affamés des adwabas, campements et villages reclus de la Mauritanie des profondeurs ? Qui pour la Mauritanie si proche de nous, elle qui meurt à petit feu ? Personne… à moins d’être certain d’en devenir ministre de la jeunesse ou de la féminité. Salut et bonjour, tristesse…