Dia Alassane, président de Touche pas à Ma Nationalité (TPNM): ‘’Le recours au parlement pour la réforme constitutionnelle n’est pas surprenante parce qu’elle serait en cohérence avec la personne du Chef de l’Etat qui n’a jamais respecté ses engagements’

26 January, 2017 - 00:23

Le Calame : Il y a 3 mois que le dialogue politique auquel votre mouvement avait pris part est achevé. Quelle appréciation faites-vous aujourd’hui de la mise en œuvre des résolutions de ce dialogue par le comité de suivi?

Dr Dia Alassane : Je pense qu’il faut d’abord remettre les soi-disant résolutions du dialogue dans leur contexte. En vérité, les résolutions retenues ne rendent pas compte de la teneur des discussions que nous avons eues pendant les ateliers. Les soi-disant accords politiques publiés à l’issue du dialogue n’ont pas été au préalable soumis à l’appréciation des différentes parties avant d’être officiellement présentés par le Président de la République lors de la cérémonie de clôture. On a voulu forcer la main aux participants en leur imposant un texte dont ils ne connaissaient pas la teneur. C’est pour cela que nous avons décidé, avec d’autres, de boycotter la cérémonie de clôture qui a consacré un texte insipide qui est resté vague sur les questions essentielles telles que celle de l’unité nationale, qui a pourtant été au centre de toutes les discussions, dans tous les ateliers.

Bien entendu, quand nous avons décidé de participer à ces assises, nous ne nous faisions pas d’illusions quant aux conclusions qu’en tirerait le pouvoir. Mais nous avons saisi cette tribune pour nous faire entendre et pour ne pas laisser les autres parler à notre place. En cela, notre participation a été positive. Nous avons pu réorienter les débats autour de ce qui nous semble essentiel, la question de l’unité nationale, noyautée parmi une trentaine d’autres thématiques. Notre contribution a été décisive dans l’émergence d’un consensus de l’ensemble des participants sur la nécessité d’officialiser les langues nationales. Nous avons fait obstruction à l’introduction du débat sur le 3ème mandat.

Mon sentiment est que le système raciste et esclavagiste a encore une fois, à travers les résolutions retenues pour la réforme constitutionnelle, raté le train de l’Histoire. Quand je dis le système, ce n’est pas simplement le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui en est aujourd’hui l’incarnation, ce sont aussi la plupart des partis d’opposition qu’ils aient participé au dialogue ou pas. Ce n’est pas un hasard si les participationnistes dits de l’opposition ont avalisé les conclusions officielles du dialogue.

 

-Dans un communiqué publié, il y a quelques jours, l’Alliance Populaire progressiste (APP) de Messaoud Ould Boulkheir dit être opposée au recours à un congrès parlementaire pour l’adoption des amendements constitutionnels décidés lors de ce dialogue. Que pensez-vous de cette décision supposée du gouvernement?

-Une telle décision ne serait pas surprenante parce qu’elle serait en cohérence avec la personne du Chef de l’Etat qui n’a jamais respecté ses engagements. Mais encore une fois, ce qui importe à nos yeux, ce n’est pas tant la forme que doit prendre la réforme constitutionnelle que le contenu. Les Mauritaniens n’ont jamais été aussi divisés que dans le contexte actuel. Combien de nos composantes ont produit un manifeste pour revendiquer leurs droits. Des partis politiques ouvertement racistes ont vu le jour et ont obtenu l’onction de l’Etat tandis que d’autres sont interdits d’existence sous le prétexte fallacieux qu’ils seraient des regroupements communautaires. Oui nous avons bien besoin d’une refonte non pas seulement de la constitution mais du pays. Il faut reconnaître que le modèle d’Etat non pas unitaire mais unitariste en vigueur depuis l’indépendance a lamentablement échoué et refonder le contrat national. Il nous faut un deuxième congrès d’Aleg.

Mais si la réforme constitutionnelle s’arrête aux résolutions retenues, qu’elle se fasse par voie référendaire ou parlementaire, elle n’apportera rien à la Mauritanie et elle n’engagera que ceux y croient.

 

-Que pensez-vous du déploiement des forces de l’ordre et de sécurité lors du retour du président d’IRA, Biram Dah Abeid en Mauritanie?

Le recours à la force, surtout quand il est totalement injustifié, est toujours révélateur de faiblesse. Le pouvoir est aux abois par rapport à l’excellent travail de lobbying et de sensibilisation que mènent l’IRA et son Président, sur le vrai visage du système. L’intimidation, la violence, l’instrumentalisation de la justice ne feront que renforcer la détermination des militants des droits de l’homme et de tous ceux qui aspirent à une Mauritanie débarrassée des démons du racisme, de l’esclavage et de l’exclusion à déconstruire le système.

 

-Que vous inspire ce qui vient de se passer en Gambie?

Après le Burkina Faso, il faut saluer la détermination du peuple gambien à ne pas se laisser voler sa victoire et le rôle décisif de la CEDEAO dans le dénouement de la crise. Les peuples d’Afrique sont en train de prendre leur destin en main partout. Que le Président Aziz, qui a joué au médiateur dans cette crise, se le tienne pour dit. Il a pu évaluer, à travers et le dialogue et la mobilisation de l’opposition, le refus des Mauritaniens de tout tripatouillage qui lui permettrait de rester au pouvoir au-delà de 2019.

 

Propos recueillis par Dalay Lam