Mohamed El Moustapha ould Bedredine, secrétaire général de l'Union des forces progressistes (UFP), parti membre du FNDU: ‘’Ce qui vient de se passer en Gambie nous inspire l’espoir et l’assurance que toutes les dictatures finissent un jour’’

2 February, 2017 - 00:40

Le Calame: Que vous inspirent les évènements en Gambie où des chefs d’Etat africains, dont le nôtre, pousse un des leurs vers la sortie ?

Mohamed El Moustapha ould Bedrédine: Ce qui vient de se passer en Gambie nous inspire l’espoir et l’assurance que toutes les dictatures finissent un jour et que, finalement, les luttes des peuples triomphent toujours. La démocratie progresse, en Afrique de l’Ouest, elle oblige certains chefs d’Etat à adopter, malgré eux, une posture conforme à la volonté populaire. En réalité, c’est le peuple gambien qui a poussé Yaya Jammeh vers la sortie.

 

 -Le Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU), dont fait partie votre parti, l’UFP, a organisé, récemment, un colloque au cours duquel vous avez qualifié la situation politique de « bloquée ». Le Forum n’en porte-t-il pas une part de responsabilité, pour avoir boycotté tous les dialogues avec le pouvoir en place ?

-Non, le FNDU a toujours appelé le pouvoir à un dialogue sérieux et inclusif, capable de sortir le pays de la crise politique où il se débat, depuis le coup d’Etat de 2008. Contrairement à Ould Abdel Aziz qui n’utilise le dialogue qu’en outil de diversion de l’opinion, division de l’opposition qu’il entend plier à son agenda unilatéral. Le FNDU est dans l’impossibilité de cautionner une telle démarche sans issue salvatrice pour le pays. Le pouvoir en place a tout verrouillé et n’a laissé, à l’opposition démocratique, que le choix de boycotter son simulacre de dialogue.

 

-Toujours au cours de ce colloque, vous avez qualifié la gestion économique et sociale du pays de « catastrophique », alors que le pouvoir a engagé une croisade contre la gabegie et préservé, ainsi, selon lui, les ressources du pays contre les « prédateurs ». N’y a-t-il pas un peu d’exagération, dans vos accusations ? La gabegie n’aurait-elle pas reculé, depuis 2008 ?

-Pas d’exagération du tout! La gestion des affaires sociales et économiques, depuis l’indépendance du pays, n’a jamais été aussi catastrophique. Les preuves ne manquent pas. Les services publics, notamment la santé et l’éducation, sont dans un état de délabrement sans précédent. Les plus nantis se soignent à l’étranger et les plus démunis meurent dans nos centres de santé, faute de moyens et de prise en charge correcte. L’enseignement n’a plus de sens et n’intéresse plus personne.

La lutte contre la gabegie, brandie, par Ould Abdel Aziz, après son coup d’Etat, s’est très vite révélée poudre aux yeux, slogan fallacieux de campagne. Au lieu de reculer, elle s’est enracinée et devient un système de gouvernement. Les deniers publics sont détournés, le patrimoine foncier bradé, les marchés publics passés dans l’opacité totale, les ressources nationales pillées, tandis que le népotisme bat son plein : c’est la mal-gouvernance incarnée. Les media, notamment Al-Akhbar, ne cessent de révéler des scandales de gestion, comme l’affaire des quinze «nouveaux riches » ou la dilapidation des ressources marines (les poulpes)… La liste est longue ! Les rapports de l’organisation internationale Transparency international à propos de la gestion des affaires publiques, entre 2014 et 2016, sont accablants.

 

-L’un des partis dialoguistes dénonce les intentions du pouvoir de passer par le congrès du Parlement, pour faire adopter les amendements constitutionnels (suppression du Sénat, modification des couleurs du drapeau national et des paroles de l’hymne national) décidés par le dernier dialogue. Comment appréciez-vous ces intentions ? Pourquoi, à votre avis, le pouvoir ne passe-t-il pas par la consultation populaire?

 

-Toutes ces tergiversations illustrent le manque de sérieux de cet agenda, décidé dans l’improvisation et l’irresponsabilité. Les modifications proposées sont impopulaires, c’est pourquoi le gouvernement veut éviter la consultation des populations.

 

-Dans une tribune publiée, il y a quelques semaines dans Le Calame et intitulée « Notre pays à la croisée des chemins », Moustapha ould Abeïderrahmane, le président du RD, demande, à l’opposition, d’abandonner sa stratégie consistant à critiquer le pouvoir et à contester, même, sa légitimité, pour s’engager dans l’élaboration d’un programme commun de gouvernement, mettre en place une coalition électorale et organiser, enfin, des  primaires, afin de désigner un candidat  unique, pour la présidentielle de 2019. Que pensez-vous de cette proposition?

-Oui, cette invite a son importance mais nous pensons que la voie de l’alternance par les urnes est encore bouchée, par le pouvoir qui s’entête et ne joue pas le jeu du sérieux et de la transparence, avec l’opposition démocratique qui appelle, elle et depuis toujours, à l’organisation d’élections sur des bases consensuelles.

 

-Le président du RD a également invité le pouvoir à organiser un dialogue sérieux et crédible, avec l’opposition, pour donner, au pays, les chances d’aboutir, en 2019, à une alternance pacifique au pouvoir. Pensez-vous que cet appel sera entendu ?

-Cet appel est opportun, c’est vraiment l’intérêt du pays. Le problème est que le pouvoir ne montre aucun signe d’ouverture sur cette voie. C’est fort dommage.

 

-Compte-tenu des sérieuses divergences au sein du FNDU, ces propositions ont-elles une quelconque chance d’aboutir?

-Le FNDU est un vaste regroupement de forces, unies dans la diversité des sensibilités. Il est donc normal que des divergences apparaissent en son sein mais les formations qui le composent restent unies sur l’essentiel, à savoir sortir le pays de la crise profonde qui continue à le ronger.

 

-Des rumeurs laissent entendre que le président de la République serait favorable à un autre dialogue inclusif avec l’opposition. Pourriez-vous accepter celui-ci ? Si oui, à quelles conditions ?

-Le dialogue est une demande largement partagée. Le FNDU est d’accord pour le dialogue comme voie de sortie de crise, Mais ce dialogue doit être sérieux et inclusif.

 

 -La prochaine présidentielle est prévue en 2019. On ne voit pas, à ce jour, ce que propose le Forum, pour se donner les chances d’une élection transparente et crédible à cette date ?

-2019 est une date capitale pour le devenir du pays. Ould Abdel Aziz a déclaré, publiquement, qu’il ne cherche pas de troisième mandat, conformément à la Constitution. C’est un fait indéniable. Pour la suite, le Forum est dans une dynamique de luttes démocratiques, pour que le peuple exerce son droit et impose l’alternance démocratique à cette date.

 

- Sans dialogue ni scrutin transparents, dépourvus de règles du jeu décidées de manière consensuelle, le forum y prendra-t-il part ?

-La transparence du scrutin est un droit garanti, par la Constitution, afin que la volonté populaire soit exprimée et respectée. Le dialogue est un passage obligé pour y parvenir. Le FNDU continuera à se battre, jusqu’au bout, pour le dialogue sérieux et la transparence de tout scrutin, quel qu’il soit.

 

 -Le dialogue dernier a recommandé des élections municipales et législatives anticipées. Le Forum serait-il disposé à y prendre part, si un dialogue politique inclusif n’intervient pas d’ici là ?

-Pour le moment, le forum se bat pour faire échec aux modifications de la Constitution, quelle que soit l’option adoptée, par le pouvoir, pour réaliser ce programme dangereux pour le pays. Au terme de cette phase, le forum appréciera la situation et décidera ensemble de la suite des évènements.

 

-Dans un communiqué publié, il y a quelques jours, le Mouvement abolitionniste IRA évoque des « provocations », de la part du pouvoir, lors du retour de son président Biram Dah Abeïd. Que pensez-vous de ce retour mouvementé ?

-Nous pensons que chaque citoyen a le droit de manifester pacifiquement, c’est la règle de la démocratie. Par sa politique répressive, le pouvoir contribue à diviser le peuple et à aggraver les tensions en son sein.

Propos recueillis par Dalay Lam