Discours

31 May, 2017 - 02:08

Tout le monde ou presque connaît le discours de la Méthode cher à Descartes, le fameux discours du général de Gaulle à Londres, demandant, au peuple français, de ne pas baisser les bras et de lutter contre l’occupant allemand, le discours de JFK à Berlin, en pleine Guerre froide, le discours de Mitterrand à La Baule, point de départ des processus démocratiques en Afrique, ou, plus de près de nous, le discours qu’Ould Taya débita, en Avril 1986 à Néma et en français, svp, sur les dangers de l’analphabétisme, devant des citoyens qui n’en comprirent pas un traître mot. Nous avons, à présent, le discours de Tintane de notre inénarrable Premier ministre, envoyé, à l’Est, prêcher la « bonne » parole et défendre les amendements constitutionnels. Dans une région généralement très réceptive aux discours officiels mais dont les élus et les notables commencent à montrer des signes d’énervement, face à un pouvoir dont la prodigalité n’est pas la qualité première, loin s’en faut. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que les meneurs de la fronde au Sénat soient, justement, des élus du grand Est. C’est donc en toute conscience de ce que le feu couve qu’Ould Abdel Aziz a envoyé son Premier ministre-pyromane jouer au pompier.

Mais, au lieu de chercher à arrondir les angles et élargir sa base, Iznogoud, celui qui veut devenir vizir à la place du vizir, est resté fidèle à lui-même. Il n’a visité que les quatre localités où il croit tenir un semblant de base populaire, pour y tenir un discours tranchant, nettement, avec celui de son mentor. « Ce régime ne quittera pas le pouvoir en 2019. Nous avons un programme que nous continuerons à appliquer au-delà de cette date. Qu’on se le tienne pour dit ! », a-t-il martelé, sautant du coq à l’âne. La vidéo a fait le buzz, sur les réseaux sociaux pendant plusieurs jours, suscitant une levée de boucliers de l’opposition qui y voit une volonté du système de tenter, par tous les moyens, de s’incruster au pouvoir. De fait, cette déclaration est tout, sauf innocente. Personne, même un Premier ministre, ne peut se hasarder à une sortie d’une telle gravité, s’il n’en a pas le feu vert. D’où un certain nombre d’interrogations. Ould Abdel Aziz, qui déclara, un peu tôt, qu’il ne se présentera pas en 2019, a-t-il senti sa base se déliter ? Craint-il, au rythme où vont les choses, de se retrouvera bientôt « nu » ? Pense-t-il que ce baroud d’honneur aura de l’effet sur une majorité qui finira par se dire que rien n’est perdu ? Ou croit-il, sincèrement, qu’après la réforme constitutionnelle et la suppression d’un Sénat frondeur, il pourra déverrouiller, en toute impunité, les articles relatifs aux mandats ? Va-t-il finir par tenter le tout pour le tout, au risque de susciter une situation d’instabilité qui finira par l’emporter ?

Il est normal qu’un système qui perdure depuis 1978 fasse tout pour ne pas se faire évincer d’un pouvoir auquel il  a pris goût. Qu’il fasse tout ce qu’il peut pour arrêter la roue de l’Histoire. Qu’il s’accroche de toutes ses forces  aux lambris dorés d’un Etat qu’il a sucé jusqu’à la moelle. Mais une donnée leur échappe : ce peuple mauritanien de 2017 n’est plus celui d’hier, a fortiori avant-hier : les discours, il en a bu et rebu, jusqu’à la lie, et celui de notre Iznogoud national paraît bien être, sinon le goût, du moins l’avant-goût de celle-ci.

Ahmed Ould Cheikh