Référendum : Une campagne à deux vitesses

3 August, 2017 - 00:46

La campagne référendaire en cours n’est vraiment pas comme les autres. Morose comme nulle ne l’a jamais été, elle restera avant tout une tribune privilégiée pour les lieux communs et  la langue de bois qui n’ont même pas épargné les discours présidentiels. Imaginez alors quels pourra être la qualité des messages dans ces petits rassemblements abusivement appelés ‘’Moubadarate’’ et auxquels on vous invite sans hésiter même si on vous sait hostiles aux amendements constitutionnels et au parti/Etat. Dans cette campagne, vous l’imagine  bien, il n’y a pas de débats contradictoires, pas de joutes oratoires d’un grand intérêt, pas de sous distribués, ici ou là, à profusion, pas de longues veillées «électorales» nocturnes à Nouakchott et peu, très peu, de tentes sur la voie publique.

A part les voyages et discours présidentiels, rien, vraiment rien, ne laisse croire que nous sommes en perspective d’un scrutin. Seules les promesses, au demeurant jugées fantaisistes, du général président, les cortèges de flagorneurs, de portraits, de banderoles ainsi que les  mégaphones crachant de ternes morceaux en hommage au pouvoir putschiste, vous projettent dans cette funeste consultation qui divise les Mauritaniens.

Au nombre de trois en tout, les parties en présence que cette campagne met aux prises sont :

  •  le camp du Oui, formé  des partis de la majorité dite présidentielle et des partis de l’opposition dialoguiste,
  • celui du Boycott, formé d’une coalition (dite G8) de partis opposés à toute participation à ce référendum jugé anticonstitutionnel,
  •  celui du Non, animé par le parti de la Convergence Démocratique Nationale (CDN) de Me Mahfoudh Bettah, qui comme le G8, considère que le référendum est anticonstitutionnel, mais dit y participer  afin de contrôler et limiter la fraude qu’il attribue au pouvoir l’intention de faire.

Le traitement réservé à ces trois pôles montre qu’il s’agit d’une campagne à deux vitesses.

Si pour le camp du Oui, tout est naturellement  permis, les adeptes du boycott sont, eux, strictement interdits de toute activité. Non seulement le pouvoir leur refuse toute autorisation de manifester mais aussi il réprime avec une rare férocité dirigeants et militants de ce camp, qui tiennent à user de leur droit légitime de se réunir et de manifester. Ce camp a déjà eu son cortège de blessés et on parle même de certaines évacuations à l’étranger suite à l’usage excessif et disproportionné de la force.

Entre ces deux camps, il y a celui du Non qui se voit régulièrement, lui aussi, privé d’autorisation de manifester ou de tenir le moindre rassemblement. Mais la CDN continue de faire contre mauvaise fortune bon cœur,  il continue de jouer le jeu malgré l’ostracisme qui le frappe.       

Aux côtés de cette fracture béante qui caractérise désormais la scène politique nationale, d’autres faits, en apparence anodins, ajoutent à la spécificité de l’actuelle campagne.

Il s’agit :

  • Des coups assénés par le général président à la chambre haute du parlement. Le sénat qui, à ce jour, demeure une institution constitutionnelle, a  été sévèrement et plus d’une fois pris à partie, voire désigné à la vindicte publique, par Mohamed Ould Abdel Aziz, 
  • De l’arrêt de travail illégal solennellement décrété par le général pour les 15 jours de campagne,
  • Des appels réitérés par certains hauts responsables, à un renouvellement illimité des mandats présidentiels et ce, au mépris de la constitution,
  • De la violation avérée du secret des correspondances du sénateur Mohamed Ghadda en violation de l’alinéa 3 de l’article 13 de la Constitution,
  • De l’action du jeune Senhoury qui a hué publiquement le président Abdelaziz et détruit ses portraits lors du meeting de Tidjikdja,
  • Des projectiles lancés en direction de Moctar Djay qui officiait dans un meeting en sa qualité de coordonnateur de la campagne UPR à Nouakchott,
  • D’une sévère prise à partie d’un officier de gendarmerie par Hamza Abdel Aziz, un autre fils du Général président.

Tous ces faits là, n’ont pas de précédents chez nous. Tous ces faits là inquiètent quant à la paix sociale, quant à l’avenir. Tous ces faits là sont révélateurs de la terrible régression qui frappe cette Mauritanie Nouvelle si chère au président Ould Abdelaziz. Tous ces faits là montrent que cette Mauritanie là est en passe de devenir une zone de non droit où ne prévaut que la seule raison du plus fort.

Cette situation interpelle toute l’élite de notre pays et, avant elle, le pouvoir en place. Celui-ci doit savoir qu’en ce début du troisième millénaire, les peuples ne peuvent plus être dirigés à coups d’injonctions, à coups de poings et encore moins à coups de putschs. Le nouveau millénaire a sonné le glas de la violence et de l’arrogance. Fermement décidés à prendre en main leur destin, les peuples  n’acceptent plus de se faire flouer ou de se taire tout bonnement. La farouche résistance opposée, ces derniers jours,  par les manifestants aux forces de police constitue en cela une preuve éclatante et risque, si elle se poursuit, de marquer un tournant. Nous devons en prendre conscience dès à présent afin de mieux préserver l’unité, la paix sociale et la répartition équitable des ressources. Car, nous ne devons pas l’oublier, le train ne sifflera, hélas, pas plus de trois fois.

Ely Abdellah