‘’Gabegie transfrontalière’’ : Un test pour la justice et son indépendance

21 September, 2017 - 01:38

En même temps que les mandats d’arrêt lancé contre Ould Bouamatou et son bras droit Ould Debagh, la justice a déclaré poursuivre aussi des entreprises appartenant à cet homme d’affaires qui, par les faits du régime, est en passe de devenir une icône de l’opposition en Mauritanie.
Les sénateurs, les journalistes et les syndicalistes arrêtés et poursuivis le sont parce qu’ils ont eu ou ont des relations avec Bouamatou ou qu’ils ont bénéficié de son capital, réputé immense, de générosité.
En fait, tout ce que le ministère public avait appelé «crimes de gabegie transfrontalière » tournait autour de ce richissime homme d’affaires qui –comble du paradoxe– fut l’un des artisans de la «Rectification » qui a porté le général Abdelaziz au pouvoir en Août 2008 !
On dit qu’il avait alors mobilisé son réseau de relations nationales et internationales dans le cadre d’un large plaidoyer visant à «faire passer » le putsch. Sans compter son généreux soutien en espèces sonnantes et trébuchantes au général qu’il avait accompagné, de bout en bout, durant la campagne présidentielle de Juillet 2009.
Aujourd’hui, c’est cet homme d’affaires là qui est voué aux gémonies, c’est à lui qu’est imputé l’impardonnable vote-rejet des amendements constitutionnels par le sénat et c’est aussi à lui qu’on prête le pouvoir exceptionnel –qu’il n’a jamais revendiqué– de s’immiscer dans les détails de politiques rédactionnelles de certains médias.
Pour ces griefs « rédhibitoires » et certainement pour d’autres, l’homme est à l’heure actuelle dans le collimateur du pouvoir et il semble que celui-ci ait la ferme volonté de le punir. Va-t-il pouvoir le faire dans le respect de l’indépendance de la justice ? La justice va-t-elle demeurer à équidistance entre les deux parties ? Va-t-elle avoir son propre camp qui l’instrumentalisera pour des règlements de comptes avec ceux qui ne sont pas de son bord ? C’est de cela en réalité que dépendront les développements futurs de ce dossier qui occupe les devants de l’actualité dans le pays.
Même si rien n’et joué jusqu’ici, il y a déjà à s’inquiéter pour la suite car tous les signes déjà perceptibles n’incitent guère à l’optimisme. Les interpellations de personnalités, les interrogatoires et mises en examen opérées depuis le début des poursuites engagées dans le cadre du dossier connu sous le vocable «gabegie transfrontalière » vont crescendo. L’escalade y atteindra son paroxysme avec la décision prise par le gouvernement, jeudi 14 septembre 2017, de créer un établissement public à caractère administratif dénommé l’Office de Gestion des Biens Gelés, Saisis et Confisqués et du Recouvrement des Avoirs Criminels, destiné, disent certains observateurs, à préparer le terrain à la saisie de quelques entreprises Bouamatou, qui font déjà l’objet de poursuites.
La création de cet établissement, qui rappelle de sombres pratiques ayant fleuri ici en période d’exception, permettra, selon le gouvernement, de prendre les dispositions utiles pour éviter la dépréciation des biens saisis «en attendant l’issue de la procédure qui en détermine la confiscation définitive ou la restitution à leurs propriétaires ». On peut en déduire qu’au simple palier de l’accusation et même avant que la justice ne se prononce, des biens de particuliers peuvent déjà, figurez-vous, être confisqués !
Voilà qui ne peut rassurer, surtout dans un pays où des hommes d’affaires ont eu à être injustement dépouillés de leurs biens parce qu’ils ont eu, à un moment donné, maille à partir avec le pouvoir. Rien à faire, c’est à ça, à cette période-là dont des dossiers demeurent pendants devant l’Administration, que renvoie la création du nouvel établissement public. Naturellement, le contexte n’est plus le même, les acteurs, le système politique et judiciaire, non plus. Mais les risques de dérive existent toujours et c’est cela qui est redouté.
On verra comment la justice s’en sortira de ce qui, tout compte fait, a valeur de test pour elle et pour les valeurs démocratiques. On verra !
Ely Abdellah