M. Samba Thiam, président des Forces du Progrès pour le Changement (FPC) : ‘’La glace est brisée, les FPC sont aujourd’hui une force politique reconnue, crédible, qui pèse dans l’échiquier politique’’

5 October, 2017 - 01:30

Le Calame : Le 24 septembre marque l’anniversaire de votre retour au pays, après 23 ans d’exil forcé.  Pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé depuis ?

 

Samba Thiam : Vaste question ! Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis ! Je ne saurais donc, ici, m’attarder sur tout, mais seulement sur quelques points forts …

 Lorsque nous considérons d’où nous venons, il serait difficile de  nier les effets bénéfiques engendrés par ce  retour au bercail …Nous  venons de loin !

Prenons  d’abord le regard, nouveau, porté maintenant sur Nous …Il m’arrive parfois d’arpenter les rues du centre ville, abandonnant la voiture ; bien souvent je croise  sur mon chemin de jeunes mauritaniens –Haratines, Négro-africains, Arabo-berbères – que je ne connais pas, mais qui s’arrêtent, se présentent et me saluent respectueusement, cela bien avant les bains de foule du dialogue « national » ou du G8 . Deux évènement m’ont particulièrement ému à ce sujet ; l’un s’est  produit  aux abords du marché aux  poulets, l’autre à la chaîne de télévision El Watanya . J’entrais dans le marché , frôlant une voiture garée à proximité  lorsque  deux jeunes arabo-berbères  me reconnaissant , en surgissent et s’avancent  vers moi  avec un sourire, juste pour me dire bonjour … Le second évènement eut lieu à la Télé El Watanya où, en fin de débat, un jeune haratine a tenu  absolument à prendre une photo  avec moi …Ces jeunes, par leur attitude loin  du  rejet,  témoignaient au contraire que ces ‘’ anciens flamistes’’  aujourd’hui militants des FPC , sont passés du statut de pestiférés  à celui d’hommes dignes de considération , respectables et respectés. C’est  leur manière de  reconnaître et saluer la légitimité et la justesse de notre combat…

Il n’y eut pas deux  ou trois rencontres de ce genre, mais plusieurs,  avec des personnes matures, de toutes races et de toutes catégories sociales. Ce sont  de  rares points de réconfort moral dans ce combat  de tous les jours …

 La  glace est brisée, les FPC sont aujourd’hui une force politique reconnue, crédible, qui pèse dans  l’échiquier politique.  Les lignes  bougent …

 J’y ajoute  un autre élément, fondamental celui-là ; en interpellant, sans répit, la classe politique  sur les préoccupations de l’heure, nous avons replacé  au centre du débat actuel la question cruciale du ‘’ vivre –ensemble ‘’ ’. Le Pouvoir en place, bien que vicieux, ne peut plus esquiver cette question vitale, existentielle  aigue.   

 

-Après ce retour, vous avez décidé de créer un parti, les FPC que le pouvoir a refusé de reconnaître. Vous aviez  enclenché une procédure pour attaquer ce rejet. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

 

-C’est exact. Le recours court toujours à la Cour suprême. Le dossier est chaque fois programmé pour être jugé, mais  à chaque fois reporté. On devine pourquoi !!! .Sur le plan des normes légales  requises, notre dossier est inattaquable .Nous sommes simplement victimes d’un blocage politique.

 Dans notre pays, je l’ai déjà dit, le Prince  se substitue au droit, se considère comme  ‘’ la loi personnifiée’’ ! Vous comprendrez  qu’avec  une telle mentalité, nous sommes  mal partis…

 

-Pouvez-vous nous dire comment les FPC sont perçues aujourd’hui  par la composante « maure blanc  du pays »?  

 Positivement  je crois, par  un bon nombre de nos compatriotes. La campagne active de sensibilisation  menée  après le redéploiement en direction de la classe politique, son élite intellectuelle et ses acteurs économiques et sociaux,  a donné  des fruits. N’oubliez pas les deux évènements  décrits plus haut, entre autres, qui  illustrent le changement, positif, du regard porté sur nous, la modification  du prisme initial déformant qui nous enserrait et nous desservait.

 .

-Vous avez pris part au dialogue politique de 2016, ce qui vous a valu des critiques de vos détracteurs. Vous vouliez passer votre message. Quel était-il ? Comment a-t-il été perçu ? Vous reconnaissez-vous dans les résolutions de ce dialogue ? Sinon,  regrettez-vous  aujourd’hui d’avoir pris part à ce conclave ?

 

-Vous dites bien ‘’ vos’’  détracteurs, ils  ne nous intimident  pas, car  ils ne nous épargneront pas de toute façon, quoiqu’on fasse. Personnellement je fais mienne  cette remarque d’E. Roosevelt qui disait, à propos justement de la peur qui entourait les critiques, que de toute façon, que vous agissiez  ou  non, vous serez  critiqué. Alors, suggérait-elle, en filigrane,  agissez !  J’en fais ma philosophie …

Quel message  nous voulions passer au dialogue ? D’abord expliquer,  rappeler  à ceux qui semblent l’ignorer, le méconnaître ou délibérément l’oublier, comment la Mauritanie a été constituée, historiquement, par la France. Le colonialisme  français a rassemblé, pour faire ce territoire, deux espaces géographiques ou deux aires culturelles distinctes, deux peuples aux traditions et habitudes mentales différentes, deux entités politiques historiques, avec chacune son organisation politique et sociale propre. Vouloir  gommer cette réalité têtue, c’est manquer de clairvoyance, c’est  se fourvoyer et maintenir le pays dans l’instabilité permanente …

Tel était le message, entre autres, que nous voulions passer, perçu –il est vrai- de façon mitigée…Mais le plus important à nos yeux n’était pas, nécessairement, d’obtenir une adhésion massive à nos vues, mais plutôt  de susciter, disons de forcer un débat sur ces questions jusque-là, toujours  esquivées, sinon  escamotées.

Ne perdons pas de vue que notre participation à ce dialogue, qu’on ne peut en aucun cas regretter , a permis à certains acteurs traditionnels de la vallée du fleuve de s’enhardir à cette occasion , en se ralliant ouvertement à nos positions contre les politiques d’exclusion qui frappent les Négro-africains ! Cette participation, par ailleurs, n’a pas été sans retentissement jusque dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ...

Pour ce qui concerne notre position sur les résolutions du dialogue,  nous nous sommes déjà largement exprimés là-dessus à travers d’abord vos colonnes, ensuite  dans  une déclaration post-dialogue, publiée immédiatement après la clôture de celui-ci.

 

 

- Que pensez-vous de la mise en œuvre des résolutions du dialogue?

 

 - Le Président Ould Abdel Aziz a choisi, arbitrairement,  les points qui lui convenaient mais  qui ne reflétaient nullement tous  la lettre des débats  pendant ces assises. Il a délibérément et arbitrairement éliminé un  point qui avait fait objet de consensus, à savoir  l’officialisation de toutes les langues nationales. Un des points aurait pu être la régionalisation si elle n’était pas vidée de sa substance.  Alors ‘’  mise en œuvre ou pas  des  résolutions du dialogue ’’,  sur des points mineurs, qu’importe ?

 

-Que vous inspire l’hymne national concocté ?

- N’ayant  pris connaissance  du texte en question  que par  bribes, je me garderai de parler  du contenu. Par contre , sur la procédure pour élaborer l’hymne ,  notre position est de ferme réprobation , tant  pour  la représentativité de notre diversité , encore une fois gommée ,  que pour  le choix des membres de  la commission de rédaction   qui pose , semble-t-il , comme condition obligatoire  la connaissance  de la langue arabe ;  comme pour attribuer  exclusivement aux  uns  l’habileté  ou le monopole à concevoir  les normes patriotiques pour tous  !  

Or, à notre avis, des symboles nationaux aussi forts comme le drapeau et l’hymne devraient être conçus de manière à susciter l’adhésion massive des mauritaniens, sans distinguo.

 

-Une partie de l’opposition démocratique, comme les partis de la majorité présidentielle considéraient que les FPC n’étaient pas  « fréquentables ». Que s’est-il passé pour que votre parti intègre le G8 qui a combattu les amendements constitutionnels ?

 

Rien,  sinon peut-être que  les préjugés et les stéréotypes sont tombés, que l’intoxication ayant conduit à notre diabolisation  ne prend plus ! Les éléments arabo-berbères honnêtes  ont compris, enfin, que les FPC étaient un parti politique  sérieux, ouvert ;  un partenaire crédible, juste  soucieux  de l’intérêt  supérieur des mauritaniens …

 

-La question nationale demeure pour les FPC la priorité N°1. Pensez-vous que vos vis-à-vis du G8 ont la même compréhension que vous ?

Je vous remercie de nous reconnaître au moins ce label ... Ce qu’on peut, je crois , dire  pour l’heure , c’est qu’un bon nombre au sein  du  G8 s’accorde ou reconnaît qu’il se pose un problème  d’Unité nationale, chez nous…Maintenant dans le diagnostic  ou dans les solutions, il pourrait y avoir des nuances, voire de sérieuses  différences …Mais le plus important à mes yeux réside dans le changement de l’attitude  de déni , assez courant, pour reconnaître et  accepter de débattre des problèmes dans la sérénité , dans un esprit  ouvert et  tolérant, avec une volonté réelle de  trouver des solutions …’’Un problème débattu est à moitié résolu’’ , disait l’autre. Il nous faut débattre, communiquer, voilà, pour moi, le plus important.

 J’ai bon espoir  que dans  les prochains jours,  les prochaines semaines, nous nous y acheminerons…

Nous demeurons , au niveau des FPC, ouverts aux  uns et aux autres , dès lors  qu’il  s’agira  de s’attaquer à la question de la cohabitation qui , vous le savez , nous tient  à cœur. Nous demeurons  intransigeants dans sa prise en charge dans tout partenariat. Cela doit être entendu.

 

 -Quelle appréciation vous faites du dossier « Bouamatou et consorts » ?

 

-Ce  dossier  indique , à mon sens , que nous sommes entrés dans une ère de dérive autocratique…Il n’y a pas si longtemps , à travers mes prises de position  régulières, j’alertais  sur  les premiers signes , appelant l’opposition à ouvrir les yeux et à réagir …Cette dérive est maintenant là , bien  visible, installée,  ouvertement déclarée et assumée par le Prince….

Vous m’offrez l’occasion  ici de  condamner, avec la plus grande fermeté,  l’intimidation, les vexations  et le harcèlement quotidiens dont sont victimes ces  journalistes courageux , à l’image du modèle  que s’en faisait  A. Londres , c’est-à-dire qui ‘’ mettent le doigt dans  la plaie’’.. . Pour le reste,  je ne voudrais  pas entrer dans une guéguerre de clans ou de réseaux …

Je voudrais enfin dire  aux  partenaires de la Mauritanie, qu’il ne faut pas que ‘’ des raisons de sécurité ‘’ l’emportent sur celles de  stabilité de notre pays …

 

-Pensez-vous que le président Ould Abdel Aziz quittera le pouvoir en 2019, conformément à la Constitution ?

-Rien ne le laisse supposer, absolument rien ! Vous savez, le Président  excelle dans l’art de mener les gens en bateau … Mais bon,  wait and see !

Propos recueillis par Dalay Lam