Lettre épistolaire à Michel Onfray, philosophe français /par AHMEDOU Ould MOUSTAPHA (cinquième et dernière partie

22 October, 2017 - 13:22

Monsieur      

Par une remarque pertinente qu’il fît en 1990, l’académicien Alain Peyrefitte, ancien ministre du Général de Gaulle, toucha le fond du problème : « l’Occident ne mesure pas toujours la haine que lui vouent des peuples humiliés et offensés par son passé impérial, son présent dominateur, son appui à des régimes féodaux corrompus »[1].

Cette remarque s’inspirait sans doute du discours de Georges Clémenceau qui, de la tribune de l’Assemblée Nationale, en 1885 et à l’adresse de Jules Ferry, attira l’attention du gouvernement français en ces termes : « Regardez l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par votre civilisation ! (…)  Combien de crimes atroces, effroyables ont été commis au nom de la civilisation ? »

Ensuite, combien  d’hommes ou de groupes d’hommes, juifs, chrétiens, musulmans et autres ont dévoyé leur religion ou perverti leurs propres croyances pour justifier leurs crimes contre d’autres hommes, femmes et enfants ?

Même celui qui fut le chef d’Etat de la plus grande puissance du monde, Georges Bush, était manifestement atteint de cette folie lorsqu’il prétendît avoir parlé à Dieu avant d’envoyer ses troupes en Irak pour combattre ‘’l’axe du mal’’ et tuer indistinctement des centaines de milliers de personnes, installant par là-même le chaos qui se déploie en ce moment au Moyen Orient et bouleversant ainsi tous les systèmes de valeurs de la région, ce qui facilitera par la suite les intrigues et les interventions militaires des puissances occidentales.  D’où tous ces crimes déchaînés que nous montrent quotidiennement les chaînes de télévision et dont les auteurs sont totalement dépourvus de toute valeur humaine et religieuse.

Et comme disait André Malraux, avec cette puissante lucidité qui le caractérisait : « Lorsque les systèmes de valeurs s’écroulent,  l’homme ne trouve plus qu’une chose, son corps, c’est-à-dire ce qui est physique, donc le sexe, la drogue et la violence qui deviennent alors des substituts naturels  de Dieu ».

 

‘’Chaos contrôlé’’

En créant « le chaos contrôlé »  par toutes ces guerres qu’il continue de mener au Moyen Orient, l’Occident a tout simplement bouleversé les systèmes de valeurs de la région et a provoqué, peut-être inconsciemment, la naissance d’une nouvelle forme de terrorisme qui en est la conséquence directe et qui se réfère abusivement à la religion pour emporter l’adhésion…  

Bref, en définitive, une identité ne saurait se bâtir à la fois sur des oublis et des  anathèmes ou des vindictes à l’encontre des minorités, elle risquerait sinon de s’épuiser et de s’immobiliser. Or ici, curieusement, elle traduit une profonde amnésie en même temps qu’elle renvoie à l’histoire immédiate de la France où les juifs étaient stigmatisés de cette sorte, comme l’a justement rappelé l’historienne Esther Ben Bassa : « ils ne sont pas comme nous ; la religion nous différencie totalement ; ils ne peuvent ou ils ne veulent pas s’intégrer ; ils sont une menace pour notre identité et notre sécurité ».[2]

Et qu’entendons-nous aujourd’hui sous le ciel de la République  laïque française? 

Exactement le même discours, mot pour mot, à l’égard de la minorité musulmane, quand bien même la mémoire collective se rappelle bien de ses horribles conséquences qui ont atteint leur  paroxysme durant la Seconde guerre mondiale.

L’histoire semble donc se répéter sous l’œil indifférent d’une certaine élite française, celle qui occupe le devant de la scène et qui rate ici l’occasion de s’inscrire dans la lignée de ses illustres prédécesseurs ; lesquels, eux, ne sauraient « manquer à l’histoire et au  cœur humain » ; et ce n’est pas la meilleure image qu’elle donne de son pays.

C’est un peu frustrant et même dirimant pour nous autres francophones et/ou francophiles qui n’aimons pas nous fâcher avec la France, par la faute de quelques cuistres qui envahissent son espace public de la pensée, surtout quand on sait que les grandes figurent de l’époque sus-évoquée ne l’eussent pas toléré.

Il n’en reste pas moins que des esprits intègres mais solitaires essayent difficilement de faire entendre raison dans ce paysage qui privilégie, recherche d’audience oblige, non pas le commentaire argumentatif mais le fauteur de propos qui s’exerce en toute circonstance à exploiter les sentiments primaires ci-avant indiqués, en usant toujours des mêmes approximations sur fond d’amalgame et de mauvaise foi.

 

Fatras d’élucubrations

On peut compter parmi cette catégorie le polémiste Eric Zemmour qui croit tout savoir sur tout et dont l’aura médiatique ne peut s’expliquer ni par sa rhétorique répétitive, ni par ses certitudes péremptoires, ni par l’outrecuidance de ses propos pleins de références mensongères et d’arguments fallacieux. D’autant qu’il choisit, pour mieux se vendre, la méthode la plus simple et la plus insidieuse, en exploitant lesdits sentiments comme naguère Dante et Voltaire qui s’y sont mis bien avant lui et avec beaucoup plus de talent.

C’est à coup sûr la méthode la plus facile, la recette la plus payante, parce qu’elle fonctionne toujours, aujourd’hui encore plus qu’hier, aussi bien en  France qu’ailleurs  en Europe. 

Le problème de Zemmour est le même que celui des éternels diffamateurs qui jugent l’Islam à l’aune de leurs ignorance tout en se prévalant d’être les détenteurs du savoir.  Les verdicts qu’ils prononcent ressemblent plus à un fatras d’élucubrations ridicules qu’à un trait de pertinence ou de clairvoyance. Leur façon de juger est conditionnée par leur orientation idéologique, elle est donc biaisée aussi bien dans la forme que dans le fond et elle ne repose sur aucune vérité. Elle est le fruit de spéculations millénaires et délétères, le produit d’un imaginaire aigri par le succès de cette religion qui gagne du terrain de plus en plus au sein même de leur société… 

 Aussi, contrairement à ses deux prédécesseurs précités, les subterfuges de Zemmour ne brillent pas par leurs qualités et restent insignifiants face à la réalité. Encore que sa prétention illimitée pourrait lui faire croire que ses succès en librairie étaient liés à ses qualités d’écrivain, alors qu’il n’y a aucun rapport. Sa célébrité est tout simplement gonflée par l’air du temps, cette atmosphère ambiante de l’islamophobie qui règne actuellement en France  et qu’il exploite à fond dans ses chroniques et ses publications.

S’y ajoute qu’il s’ingénue à véhiculer l’idée que l’extrême droite était devenue autre chose que cette figure d’imposture qui a toujours eu besoin d’ennemis intérieurs pour exister et nourrir ses fantasmes identitaires et son nationalisme étroit, lesquels sont les deux seuls éléments constitutifs de son programme. Et quel bouc émissaire plus indiqué par les temps qui courent que la minorité musulmane ?

Il se trouve qu’aujourd’hui, en France, la mémoire est sélective, l’histoire est ductile, la clairvoyance politique s’exprime rarement et la rigueur intellectuelle a laissé place à l’autocensure craintive, à une sorte d’instinct de survie. C’est triste, mais c’est ainsi…

J’interromps ici cette première partie de mon propos, espérant que son ton quelque peu amer par endroits me sera pardonné et que votre indulgence aura déjà compris que ce qui précède ne révèle point des prédispositions intellectuelles qui pourraient conduire à une quelconque légitimité permettant de parler de sujets aussi complexes, même si je m’y crois autorisé par l’affection que je porte à mes amis français et à la culture de leur pays.  

 

[1] Article publié au Figaro le 13 Août 1990

[1] Citée par Pascale Boniface

                                                                             

 

                                    Nouakchott, le 17 septembre 2017   

AHMEDOU  Ould  MOUSTAPHA