Education nationale : Tableau noir

14 November, 2017 - 17:08

A l’occasion du passage la semaine dernière du ministre de l’Education devant l’Assemblée nationale, le député du Sursaut Abdallahi Ould Breihim s’est contenté de lire l’une des fameuses Mauritanides de feu Habib Ould Mahfoudh sur la situation de l’enseignement en Mauritanie. Ecrite il ya près de vingt ans, elle est plus que jamais d’actualité.

 

Qu’est-ce qu’on fait à l’Ecole maintenant ?

-On trouve les copains, on mâche des tonnes de chewing-gum, on se raconte la bonne dernière, on chahute le prof, on cause musique et vidéo, on fait une ou deux grèves pour la forme, on casse les vitres pour tuer le temps et…on passe en classe supérieure. C’est la mode : on soupire, on se prend la tête à deux mains, on lève les yeux au ciel et on dit que « l’enseignement, décidément, ça fout le camp ! »

 

Il reste que le malaise est certain. Quelque chose ne va pas. Mais quoi ?

Le niveau baisse-t-il réellement ? Les méthodes pédagogiques sont-elles appropriées ? Le contenu des programmes est-il adéquat ? Les réformes sont-elles adaptées et nécessaires ? Le corps enseignant est-il suffisamment formé ? Les questions ne manquent pas. Les réponses, si. Voyons voir.

 

Rien de plus difficile, en fait, que de jauger un niveau.

 

C’est d’abord une question « de tête et de queue ». Personne ne conteste que les Premiers, en classe, aux concours, au Bac, sont aussi bons que par le passé. Seulement, si la qualité demeure, la quantité se réduit. Le nombre de bons élèves fond à vue d’œil. Personne ne conteste non plus que les derniers de la classe sont de plus en plus faibles. On se retient parfois pour ne pas noter au-dessous de zéro …. Si leur niveau baisse, les derniers augmentent en nombre aussi. Les bons élèves, donc, de moins en mois nombreux sont toujours aussi bons tandis que les mauvais, de plus en plus nombreux, sont de plus en plus mauvais. En classe, cela pose un problème de « contagion ». L’enseignant doit adapter ses cours à la majorité ignorante au détriment des bons éléments qui perdent ainsi leurs chances et leur temps. C’est la politique de l’égalité par le bas…on sait où est-ce qu’elle a amené les autres….là-bas…

 

Remarquons aussi que l’expérience concrète des élèves s’est beaucoup enrichie, qu’ils possèdent une quantité d’informations inimaginables par leurs aînés des années 70. Mais demandons-nous à quoi sert ce savoir sans esprit critique, sans faculté de raisonnement sans pouvoir d’expression, sans capacité de synthèse. A peu de choses, sinon à rien.

 

Il est révélateur que la majorité des élèves de la Première année secondaire ne sachent ni lire ni écrire ou alors annoncent péniblement et donnent l’impression d’avoir fait leurs classes sous Toutankhamon, tellement ce qu’ils « écrivent » ressemble à des hiéroglyphes.

 

Il serait facile d’incriminer leur formation à l’école primaire…. Et c’est ce que je ferai, quand même. Chez nous, la baisse du taux de mortalité infantile, doublée de la hausse de la natalité, la croissance du taux d’urbanisation et donc des possibilités de scolarisation, se sont faites si rapidement que l’infrastructure scolaire n’a pas suivi.

 

A l’école cela se traduit par des élèves se serrant à cinq ou six par table. Cela veut dire un maximum de murmures, de chuchotements, de morve bruyamment reniflée, de toux comprimés, de rires étouffés, de soupirs de lassitude, d’odeurs suspects, de pieds qu’on traîne, de crayons qu’on ramasse, de pages qu’on froisse… La grande ambiance, quoi !

 

Mettez un homme – ou une femme – dans cette pétaudière, saupoudrez le tout de formation accélérée sur le tas, ajoutez-y une pincée de vexations personnelles et de rancœurs professionnelles, secouez le tout violemment, et vous aurez la recette d’une parfaite usine à cancres. L’enseignant, toujours au bord de la dépression, passe plus de temps à faire n’importe quoi qu’à enseigner : 30 minutes pour faire les rangs, petits devant – grands derrière – couvrez – fixe. Essayez ! Ce n’est pas facile ! Les petits ne sont jamais assez petits ni assez devant et les grands, il faut les trouver, et trouver où c’est derrière… 40 mn : les garnements rentrent, s’installent, ouvrent leurs sacs, perdent leurs crayons, les retrouvent, se volent joyeusement les cahiers, s’insultent copieusement, changent cinq à six fois de place jusqu’à l’intervention de l’instituteur. Son problème étant de frapper assez fort sans trop faire mal. (Question d’honneur – ne pas s’entendre traiter de mauviette – et question de ne pas s’attirer, les foudres des parents d’élèves). Exercice d’équilibre chevronné. Bon, après que chaque petit ange ait reçu son coup de bâton, (ça aussi c’est la démocratie), la leçon peut commencer. La bastonnade démocratique ayant duré 40 mn encore, on dispose tout juste de 10 mn avant la récréation. On ouvre les cahiers. L’instit-martyr écrit la date et… la cloche sonne. Récré de 30 mn. Le personnel enseignant se barricade en attendant que ça passe, Re-cloche. Les rangs – couvrez-fixe – rentrez silence – chahut – bastonnade – acrobaties – rires – bastonnage – pleurs – consolations – close, Midi.

 

Je caricature, c’est vrai, mais ce n’est pas loin de la réalité. Notons au passage l’absentéisme des enseignants du primaire, qui ont toujours mille et une raisons pour ne pas rejoindre Aweinat Zbil ou Kalanioro…. Qu’on ne me taxe pas de phallocrate, mais les institutrices avec leur batterie de congés, fictifs ou réels – de la maternité à la pauvre maman qui meurt cinq fois par an – perturbent sérieusement le système éducatifs elles aussi.

 

En second lieu vient le problème des méthodes pédagogiques. Ce ne sont pas les procédés – qui restent pour la plupart des vœux pieux – qui m’intéressent, mais l’enseignant lui-même. De l’image d’autorité dispensatrice de savoir des années 60, il est passé petit à petit à celle de Smicard méprisé, gagne-pain d’un savoir désuet et inutile, dans les années 80. La connaissance ne payerait-elle plus ? Dans l’une comme dans l’autre de ces images se trouvent des excès. Au début on confondait autorité avec tyrannie. Ensuite, il  a fallu décongestionner. Le style devient relaxe. Et on a confondu liberté avec laxisme. En voulant plus de liberté à l’école, on a oublié que le rôle de l’enseignant est de fortifier, développer entraîner par l’effort. Aux Etats-Unis, on se plaint de la baisse généralisée du niveau. Et c’est justement à cause de la suppression des méthodes sélectives qu’on a jugées frustrantes. Et l’on n’a pas pensé que l’ignorance frustre encore plus. Un retour à l’ordre, à l’effort, à la volonté s’impose. C’est une idée peut être réactionnaire. Moi, je préfère un réactionnaire intelligent à un révolutionnaire idiot …. Je ne sais pas, vous….

 

En troisième position se pose le problème de l’inadéquation des programmes. C’est à vous désespérer de l’humanité. Il est peut être exaltant de connaître le mode de reproduction chez les gastéropodes, le nombre des dents de lait d’une poule adulte, le nombre de Boudhas dans le Temple d’Aghor-Vat, le nom de la belle sœur de l’inventeur de la poudre à éternuer….mais on est en droit de se demander si c’est tellement nécessaire pour les élèves d’un pays du Tiers Monde. On ne peut pas, donner des cours de reboisement ou d’hygiène au lieu de disserter sur le nez de Cléopatre, des poèmes du Grand Seddoum au lieu de commenter un obscur passage de la poésie tunno-ougrienne ? D’Al Hadj Omar Tall au lieu de Pépin le Bref ?

Ce serait si simple pourtant et tellement plus important.

 

Là aussi je caricature mais on fera aisément le rapprochement. Un programme doit être un tout cohérent réalisable. Ça doit être un ensemble d’objectifs que l’on se propose d’atteindre. Ce n’est pas une substance morte, caduque, réalisée à la va-comme-je-te-pousse. En sabotant les programmes de notre enseignement, nous hypothéquons notre avenir. Resterons-nous d’éternels amateurs ? Il nous faut mettre autant de sérieux dans la conception de nos programmes scolaires que dans le rituel du thé – seul domaine où notre professionnalisme n’est plus à démontrer.

 

La formation du corps enseignant est peut être l’un des grands points du problème scolaire. Trop souvent on ne devient professeur, instituteur, que parce qu’on a rien trouvé d’autre à faire. La formation est trop théorique, n’exigeant aucun effort particulier, souvent incomplète. Là aussi se pose le vieux problème de la connaissance et de la performance. On ne peut enseigner correctement que ce qu’on l’on connaît à fond. Une formation continue, par recyclages, stages, séminaires est nécessaire. Il faut que le prof, l’instituteur, soit tenu au courant des derniers résultats de la science, il faut qu’il évolue et se renouvelle. Les séminaires ne doivent plus être seulement l’occasion de retrouvailles et de jeux pédagogiques, mais doivent se tourner vers la connaissance. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bons enseignants, non. Il y en a, mais c’est une espèce en voie de disparition. Bientôt on verra un vieil homme barbu et ridé, tournant dans une cage de zoo sur laquelle on a écrit : « Silence », et les bambins lui jetteront des arachides, et les braves mamans pleureront en le voyant si triste. Et ce sera là l’un des derniers spécimens de l’Ordre des « Bonsenseignants ». 

 

Le tableau est-il assez noir ? Ce serait vraiment le comble quand on parle de l’Ecole. Revenons alors à notre niveau.

 

Last but not least, il y a le problème, inévitable, posé par la substitution de l’éducation massive à ce qu’on m’excusera d’appeler « l’éducation bourgeoise ». Les premiers enfants à l’école « moderne » étaient les fils d’une certaine « élite » mauritanienne. Ces enfants bénéficiaient d’un environnement assez favorable intellectuellement. Il est significatif que le milieu maraboutique ait plus facilement adopté le système éducatif colonial, que le reste de la population. Cela suppose une certaine sélection permettant aux enfants de cette élite de fréquenter la « Medersa » de Boutilimit ou « l’Ecole des fils de chefs » de Saint-Louis. La scolarisation généralisée d’après l’indépendance a permis à tous d’aller à l’école. Et assez souvent la qualité est inversement proportionnelle à la quantité.

 

Ce n’est pas tout, bien sûr. Mais à force de surcharger le tableau, je serai obligé de l’effacer. Et les éponges, ça manque énormément. J’ai voulu simplifier à l’extrême les grandes causes de ce que l’on appelle « la baisse des niveaux ». Ce qui ne l’empêchera pas de baisser. Mais, courage !

 

Un  jour, il remontera. Parce qu’il aura tellement baissé qu’il ne pourra pas ne pas remonter. Attendons, donc. Et laissons nos adorables élèves penser que Socrate vit toujours, qu’Ibn Khaldoum assistait au dernier Mundial et que Behanzin est disc-jockey dans « Miami-vice ». Entre un clip de Michael Jackson et la retransmission du match Bengladesh-Papouasie Nouvelle Guinée, ils en apprendront toujours assez sur les robes des jeunes égyptiennes, la circoncision chez les Hottentots ou la consommation des choux chez les vieilles dames berrichonnes. On a l’enseignement qu’on mérite.