Gorgol : grande mobilisation apparente…

7 December, 2017 - 02:14

Au lendemain des festivités du 57èmeanniversaire de l’indépendance du pays, célébrées, avec faste, à Kaédi, l’effervescence s’est évanouie, fondue comme neige au soleil, laissant apparaître une espèce de morosité dans la ville. Quel contraste avec tout le bouillonnement des jours précédents ! Des bruits des bottes des soldats aux ronronnements incessants des voitures et, tout d’un coup, le grand silence ! Ce 28 Novembre fut une occasion de mobilisation intense des populations kaédiennes qui ont réservé, nombreuses et bien colorées, un accueil chaleureux au chef de l’Etat, dans une ambiance électrique. Gros travail préparatoire, donc, des politiques, des leaders d’opinion, des autorités administratives, sous la baguette du wali, Mohamed Yahya ould Mohamed Vall. Les séances de mobilisation dans les quartiers ont porté leurs fruits. Les spécificités culturelles et artistiques des Gorgolois ont rythmé, durant toutes les étapes des festivités, la cadence des autorités. De l’arrivée du Président, en provenance du Brakna, jusqu’à la chute du dernier parachutiste, le lendemain, les populations qui portent ce double sentiment de satisfaction et d’appartenance à la République sont restées fidèles, collées  aux nouveaux symboles de celle-ci, diversement appréciés, au demeurant. De fête et de réjouissance populaire, Kaédi n’en n’avait presque jamais connu autant, « depuis les années fastes de feu Youssouf Koita », avancent les anciens. Et c’est un fait que durant ces quelques jours, hommes et femmes, jeunes et vieux, toutes générations confondues, ont partagé un même enthousiasme, lisible sur tous les visages. L’occasion était unique et les fils du Gorgol ont fourni de gros efforts de mobilisation, aussi bien matériels que financiers, pour épauler l’Etat, dans l’accueil des hôtes, en cédant maisons et bâtisses, pour combler le déficit d’infrastructures d’accueil, sans compter les cotisations pour tant d’autres charges. La carte  sociale de l’hospitalité s’est manifestée à fond, comme pour réhabiliter une citoyenneté jusque-là douteuse, pour certains, et un patriotisme enfoui vivant mais qui ne demandait qu’à être déterré. De l’axe principal reliant l’aéroport à la wilaya, réhabilité et élargi, sous le vernis d’un bitume éphémère, agrémenté par quelques feux de signalisation, pour la circonstance, ce tronçon est devenu  le point de promenade et de rencontres  de tous, comme pour savourer la réalisation des réalisations du Chef. A ce décor d’exception, s’ajoutent les lampadaires, leur lumière tamisée donnant, à Kaédi, hier sombre et obscure,  aujourd’hui, sous les projecteurs, une impression de renaissance lumineuse ; de vie, tout court.

Après l’inauguration de la plateforme logistique du poisson, dans les quartier de Tinzah, et du réseau d’extension de l’électricité, le chef de l’Etat a pris son temps, dans un bain de foule qui donna des sueurs froides à sa garde rapprochée, de saluer, d’un pas alerte, les gens massés tout au long  de ce qu’on pourrait désormais appeler le Boulevard ou l’Avenue de l’Indépendance. Quelques heures plus tard, alors que le crépuscule chassait les derniers rayons de soleil, c’est l’inauguration de la Fondation feu Youssouf Koita, sise au quartier Moderne. Peu avant, le Président s’est rendu au stade municipal pour remettre le trophée à l’ASAC Concorde, après sa victoire sur le FC Nouadhibou, devant un public nombreux et conquis. La journée du 28 commença avec la levée des couleurs à la wilaya, en présence de plusieurs ministres, ambassadeurs et personnalités politiques dont Boydiel et Maham avec lesquels Ould Abdel Aziz chuchota quelques mots. Etaient aussi présents les autorités militaires et administratives du Gorgol. Un moment solennel, empreint d’émotion, car après une gestation difficile qui fit couler tant d’encre, c’est au rythme du nouvel hymne national, que le nouveau drapeau s’est mis à flotter au gré du vent, marquant, pour la première fois de ses deux bandes rouges, à l’honneur, dit-on, de nos martyrs contre la pénétration coloniale, le décor des symboles nationaux. Comme à l’arrivée, la foule s’est ébranlée, tôt le matin, vers l’aéroport où a été plantée la tribune officielle, pour assister au défilé motorisé, pendant que les avions tracent, dans le ciel, le rouge, jaune et vert de la Mauritanie nouvelle. La cérémonie va durer plus de trois tours  d’horloge, sans nullement entamer la curiosité des uns et des autres qui ont  pu découvrir, en cette occasion, quelques facettes de l’Armée nationale. Epuisées, certes, les populations ne voulaient jamais se faire raconter ces instants inoubliables et ont pris le temps de savourer  leur  plaisir à admirer le clou des festivités marquant le 57èmeanniversaire de l’accession du pays à la souveraineté nationale.

 

 

… Sous fond de sourdes frustrations

C’est donc vrai qu’un moment, Kaédi aura symbolisé la République, incarné tout ce qui caractérise et fait la fierté d’une nation. « Est-ce pour autant que notre indépendance est acquise ? », s’interroge amèrement ce retraité de la fonction publique. La réponse est, peut-être, dans le quotidien du citoyen qui croule, chaque jour un peu plus, sous le poids de la survie, et peine à se frayer un chemin susceptible de l’ancrer, un tant soit peu, dans les valeurs qu’il vient de magnifier. Car au-delà des aspects festifs, l’indépendance suppose « l’incarnation des valeurs républicaines qui se fondent autour de la devise du pays et se traduisent, par conséquent, par un traitement égalitaire et équitable entre citoyens »,  poursuit, d’un ton élevé, notre interlocuteur impromptu. Admiratif de la mobilisation noire, celui qui dit « ne rien perdre, aujourd’hui, pour avoir dignement servi le pays », assène : « Le Gorgol, en même temps, rit, pleure et s’émeut, devant les parodies de politique à ce jour entretenues par les gouvernants, à travers une injustice plus que flagrante et assassine ». Sans chauvinisme aucun, cet autre cadre, encore en fonction, renchérit : « L’histoire retient que toute localité, fusse-t-elle républicaine, sait que le droit à la citoyenneté a une valeur, un sens, et, donc, une légitimité. Par leur peuplement historique, les populations locales devraient avoir leur part du partage et ne pas rester cantonnées dans leurs habitats d’origine, pendant que leur espace vital – le dieri – au nord de la ville, naguère lieu de cultures sous pluie, est distribué, à tour de bras, à d’autres, sans aucun respect du voisinage ». D’abord spoliée sous le nom, pompeux, de « ceinture verte », dans les années 80, et qui n’est, en réalité aujourd’hui, que « ceinture de sable », la zone s’est appropriée le vocable, très révélateur, de « gazra », appendice culturel, pour les autochtones, qui s’étire, comme un élastique, pour être occupé par ceux dont la vie mouvementée n’est que nomadisme. De nouveaux quartiers ont fait érection :Tinzah, Inity, Tarhil, Baghdad, Dar Salam  et autres noms aux consonances qui rappellent l’Irak de Saddam. Dans ces zones, on ne trouve, il faut dire les choses telles qu’elles sont, que « des maures, vivant entre eux, suivant donc une politique d’implantation manifeste, marginalisant toutes les autres communautés, comme si, par démagogie, la fracture sociale était devenue un commerce, aux antipodes de l’unité nationale. Il est  temps de réviser nos politiques, nos manières de faire et d’agir, pour fondre cette carapace de frustration dans une politique courageuse, fondée sur le droit. L’occasion est d’ailleurs là car des populations originaires de Gattaga, Touldé et Gourel Sagné ont, à leur tour, envahi l’espace restant, au cours du dernier mois, en y implantant des hangars de fortune, afin de s’octroyer des parcelles, comme les autres, s’inspirant de ce « droit de gazra », au demeurant non écrit. Ces hommes et  femmes se disent lésés dans leur propre territoire et, si le droit d’héritage était vraiment de mise, elles seraient, en effet, les seules et uniques ayants droit. Sans l’ombre d’un doute. Avec le départ du Président, seront-elles expulsées ou entendues, par les autorités locales qui sont restées bouche cousue, pour ne pas perturber l’accueil du chef ? Attendons voir. En tout cas, oui : le Gorgol se lasse de cette balance éternellement déséquilibrée dont « les fléaux tordus ne tournent plus autour du point de jonction de ce qui fait une nation, changeant selon les humeurs et les intérêts des gouvernants, comme si rendre justice était devenu un crime », lâche notre interlocuteur avec véhémence. Foin toutefois du moindre nihilisme : tous reconnaissent une « certaine » volonté politique  du chef de l’Etat, qui se traduit par la mise en branle d’infrastructures de base et le lancement des travaux de la commission chargée de l’état-civil, même si « beaucoup de choses restent à faire, au niveau de l’éducation, de la santé et, surtout, de la cohésion sociale ». Certes mais le chef de l’Etat aura-t-il seulement eu la possibilité d’entendre ce message ?

Biry Diagana

Cp Gorgol