Les protégés du Prophète/ Ces Compagnons venus d’ailleurs(2) Par Moussa Hormat-Allah

14 December, 2017 - 00:58

Dans l’inconscient collectif, quand on évoque les noms de Bilal, Ammar, Salem…, la première chose qui vient à l’esprit, est qu’il s’agit de gens du petit peuple mecquois qui ont été sauvagement torturés par les mécréants Koraïches pour avoir embrassé l’Islam. De pauvres esclaves démunis, sans soutien tribal ou clanique, auxquels on a fait subir les châtiments les plus cruels pour les forcer à renier leur foi dans le message de l’Islam.

Rarement, on mesure à sa juste valeur le rang éminemment élevé et l’aura que leur a conférée, en pionniers, leur adhésion bénie au message divin de Mohammed.

Rarement, on se souvient des versets coraniques et des hadiths qui ont magnifié ces croyants de la première heure et les ont propulsés au firmament de la spiritualité, de la vertu et de la ferveur religieuse.

Rarement, on se souvient que le Prophète et ses califes leur ont donné la prééminence sur la quasi-totalité des autres Compagnons pourtant à la généalogie prestigieuse et dont certains, de surcroît, sont de proches parents du Messager de Dieu.

On a comme l’impression diffuse que le souvenir de ces monuments de l’Islam s’est quelque peu étiolé au fil du temps et qu’ils sont, c’est le moins qu’on puisse dire, relégués au second plan dans la mémoire collective.

En revanche, le souvenir de leurs compagnons est encore vivace. Est-ce parce qu’ils étaient issus d’une classe prétendument inférieure – ce qui est loin d’être une tare ? Peut-on, doit-on mesurer les mérites des Compagnons du Prophète à l’aune de leurs origines sociales ? Nullement.

Autant du vivant du Prophète, ils étaient respectés, honorés et parfois mêmes vénérés autant, au fil des siècles, les musulmans, consciemment ou non, semblent les confiner – non sans une admiration ambiguë – dans le statut clivant d’anciens esclaves qui ont bravé la mort pour conserver leur foi.

(…) Ces illustres Compagnons doivent retrouver la place qui leur sied dans la mémoire collective. La seule place qui vaille, celle où les ont placés Dieu et Son Prophète. 

Le Calame vous propose de découvrir ces éminents Compagnons venus d’ailleurs. Chaque semaine nous proposerons à nos lecteurs de faire plus ample connaissance avec l’un de ces Compagnons à partir d’extraits du livre de M. Moussa Hormat-Allah, intitulé : Les protégés du Prophète ou ces Compagnons venus d’ailleurs. Aujourd’hui Zaïd Ibn Haritha.

 

 

 

Zaïd Ibn Haritha

 

Zaïd connaîtra un destin fabuleux. Il passera à la prospérité comme étant le seul homme contemporain du Prophète qui fut nommément cité dans le Coran(1). Même les épouses du Prophète et ses Compagnons les plus proches n’ont pas eu cet honneur. La Révélation se contentera de faire allusion à certains d’entre eux. Cet honneur exceptionnel fait à un ancien esclave, originaire de surcroît d’un pays chrétien, met en exergue l’universalité du message coranique et souligne le profond respect des droits de l’homme en Islam.

En effet, l’Islam met sur un même pied d’égalité tous les êtres humains. « Pour Allah, les plus honorables parmi vous sont les plus pieux(2) ». Pour Allah, la piété est donc le seul critère d’hiérarchisation des hommes. Zaïd, un esclave, est une belle illustration de cette égalité et de cette fraternité que l’Islam a toujours prônées. Cet ancien esclave africain convolera en justes noces avec la propre cousine du Prophète, Zeïneb Bint Jahch. En scellant ce mariage, le Messager d’Allah a montré que les considérations ethniques, raciales ou matérielles ne pouvaient pas prendre les pas sur l’essentiel : la piété et l’attachement à Dieu et à Son prophète.

Zaïd, l’enfant-esclave, a été enlevé des bras de sa mère à l’âge de huit ans. Il fut acheté à la foire d’Oukaz avec un groupe de jeunes esclaves par Hakim Ibn Hizam, un neveu de Khadija, l’épouse de Mohammed. Hakim demanda à sa tante Khadija de choisir un serviteur parmi le petit groupe. L’épouse du Prophète choisit Zaïd malgré sa petite taille, son teint foncé et son nez camus. Khadija l’offrit, à son tour, à Mohammed qui n’avait pas encore reçu la Révélation. Mohammed qui n’avait pas la même conception des relations humaines que la plupart de ses concitoyens, l’affranchit aussitôt et, mieux encore, l’adopta comme son fils. Avec la Révélation ses liens filiaux avec le jeune Zaïd ne feront que se resserrer davantage. Quelques grands que soient les mérites des autres Compagnons, Zaïd occupait une place particulière dans l’entourage immédiat du Prophète. Comme Ali, Zaïd depuis sa tendre enfance a toujours eu l’immense privilège de côtoyer, au quotidien, le Messager d’Allah. La relation entre les hommes était fusionnelle. Honneur exceptionnel, Zaïd, après avoir été cité nommément dans le Coran, est passé à la prospérité pour avoir été parmi les quatre premières personnes à avoir embrassé l’Islam.

Les parents de Zaïd finissent par apprendre qu’il se trouve à la Mecque dans le foyer d’un homme du nom de Mohammed. Son père et son oncle partirent alors pour la ville sainte pour racheter la liberté de leur enfant. Après avoir exposé l’objet de leur visite, le Prophète leur dit : « Appelons Zaïd et laissons-le choisir entre vous et moi. S’il vous choisit, il est libre de vous suivre sans aucune rançon de rachat. Mais s’il choisit de rester avec moi, par Dieu, je ne demande aucune rançon pour celui qui me préfère ! » Réjouis par une telle réponse, Haritha, le père de Zaïd, répondit : « Tu fais preuve d’équité et plus encore ! »

L’Envoyé de Dieu appela Zaïd et lui fit part de la proposition faite à son père et à son oncle. Sans même réfléchir, Zaïd répondit : « Je choisis de rester avec toi ». Son père lui répliqua alors : « Malheur à toi, Ô Zaïd ! Tu préfères l’esclavagisme à la liberté ? » Il lui répondit : « J’ai vu en cet homme des choses tellement extraordinaires que je ne pourrai jamais le quitter ». En entendant cela, le Messager de Dieu prit Zaïd par la main et l’emmena sur le parvis de la Kaâba où il trouve les Koraïches réunis. Il proclama devant eux : « Soyez témoins, Ô gens de Koraïche, que Zaïd est mon fils, il héritera de moi et j’hériterai de lui ! ».

A ces mots, le cœur de Haritha s’apaisa. Il sut qu’il avait laissé son fils entre des mains nobles et généreuses. Il revint dans son village serein et tranquillisé sur le sort de son fils(3) ».

Le Prophète non seulement affranchira Zaïd et l’adoptera mais en plus, il se chargera de son éducation. Il sera élevé avec Ali et les quatre filles de l’Envoyé de Dieu, Roukhaya, Oum Kelthoum, Zaineb et Fatima Ezzahra.

Zaïd fut longtemps connu sous le nom de Zaïd Ibn Mohammed. C’est seulement quand le Coran mit fin à la pratique de l’adoption au profit de la filiation naturelle qu’il redevint Zaïd Ibn Haritha. A ce sujet, Dieu dira : « Mohammed n’a jamais été le père d’aucun d’entre vous. Mais il est l’Envoyé de Dieu et le dernier des Prophètes(4) ».

Zaïd rendait bien au Prophète l’affection et l’estime qu’il lui vouait. Zaïd, en effet, fut un précieux soutien au Messager d’Allah aussi bien dans l’adversité à La Mecque que pendant la période faste de Médine.

Avec une fidélité remarquable, il le suivait partout, ressentant dans sa chair et dans son âme les affres des sarcasmes et des agressions que les incrédules lui faisaient subir comme ce fut le cas à Taïf où, avec le Messager de Dieu, ils furent en butte à l’hostilité et à la violence de ses habitants. Avec son corps, il essaya tant bien que mal de défendre le Prophète qui recevait des pierres jetées par des habitants de Taïf où il était venu prêcher l’Islam(5) ».

Plus tard, à Médine, avec le triomphe de l’Islam, Zaïd prendra le commandement de plusieurs expéditions de l’armée musulmane. Il fut un général courageux et respecté. Il tombera, en martyr, à la bataille de Mouta contre les Byzantins. Une bataille livrée en Syrie par trois mille combattants musulmans contre une armée byzantine de cent mille soldats. Le Prophète qui pressentait le destin qui attendait Zaïd, donna ses ultimes instructions avant que l’armée musulmane ne se mette en marche : « Zaïd prendra le commandement. S’il lui arrive quelque chose, Jaâfar prendra sa place. S’il arrive quelque chose à Jaâfar, Abdallah Ibn Rawâha prendra sa place. S’il arrive quelque chose à ce dernier, vous choisirez qui vous voudrez pour prendre le commandement(6) ».

Le Prophète a donné le commandement de cette armée à Zaïd. Pourtant, son commandant en second, Jaâfar Ibn Abi Taleb est le cousin germain du Messager d’Allah pour lequel il avait beaucoup d’affection et d’estime. Mais « par cette attitude, le Prophète Mohammed désavoue tout type de relation humaine fondé sur une « ségrégation » non justifiable, comme par exemple la « préférence familiale » dans l’attribution d’une fonction(7) ».

En effet, « d’après la conception islamique, Dieu ne se soucie guère de la généalogie d’un homme ou de ses apparences lorsqu’il s’agit de le placer à un rang élevé(8) ».

La relation entre Zaïd Ibn Haritha – le bien aimé – et le Prophète était fusionnelle. Aïcha rapporte : « Le Messager de Dieu n’a jamais envoyé Zaïd dans une expédition sans qu’il ne lui ait donné le commandement. Si Zaïd était resté vivant après le Messager, celui-ci l’aurait désigné comme son successeur(9) ».

Son fils Oussama, qui s’est abreuvé à la même source bénie, aura des liens tout aussi étroits avec le Prophète.

Comment du reste, pouvait-il en être autrement quand on sait qu’Oussama est le fils d’Oum Ayman et de Zaïd Ibn Haritha, ceux-là même dont on vient de souligner l’amour et la fidélité indéfectible pour le Prophète. (A suivre : Oussama Ibn Zaïd)

 

(1) Coran, Les Coalisés, Verset 37.

(2)  Coran, Les Appartements, Verset 13.

(3)  Cf. Messaoud Abou Oussama, op.cit.p.214.

(4)  Coran, 33/40.

(5) Messaoud Abou Oussama, op.cit, p.215.

(6) Ibid, p.216.

(7)  Frédéric Brabant, Les Compagnons du Prophète : des diamants humains. Editions   Al Bouraq, France, 2004, pp. 185 et 186.

(8) Ibid, page 85.

(9)  Khalid Mohammed Khalid, op.cit.